Festival d’Avignon: bilan

 Des compagnies de théâtre du festival « off » accrochent leurs affiches dans Avignon. / Hiely Cyril/photopqr/la provence/max


Des compagnies de théâtre du festival « off » accrochent leurs affiches dans Avignon. / Hiely Cyril/photopqr/la provence/max

 

Festival d’Avignon 2018: un bilan contrasté…

« La singularité, dit Olivier Py, directeur du festival In jusqu’en 2021, est le nom que donnent les physiciens au centre tout puissant des trous noirs, origine d »une énergie inconnue mais si forte qu’elle pourrait arrêter le temps. Parfaite définition de l’art: une singularité qui concentre tant d’énergie positive qu’elle peut courber le temps et arrêter l’héritage du malheur. » Pas mal vu.

Même si le festival in a toujours un regrettable côté branchouille avec des spectacles aux places qui, sont pour quelques-unes à 10€, mais quand même le plus souvent à 30, voir 40 €! Et  quoi qu’en dise la direction du festival, ils n’attirent absolument plus les jeunes ! Peu de  textes, peu de spectacles « grand public » et une tendance à être de plus en plus longs (deux heures et demi pour un Thyeste dans la Cour Honneur, très ennuyeux. Voire quelque quelque dix heures, comme chez Julien Gosselin (voir Le Théâtre du Blog). A quand un grand moment de théâtre réellement populaire? Pourquoi pas dans la Cour d’Honneur, une belle comédie musicale, comme Jérôme Savary savait en faire…

Le In et son frère le Off, devenus quasi-jumeaux, commencent en même temps: le 6 juillet et finissent pour le premier: le 26, et pour le off, c’est selon les compagnies, parfois avant et souvent quelques jours après. Avec, on l’a souvent constaté le meilleur et le pire: dans l’un, un certain académisme et peu de prises de risques. Mais de plus en plus, un grand professionnalisme dans le off qui a acquis de belles parts de marché. Avec quelque 1.538 spectacles de théâtre – soit environ cinq fois plus qu’il y a trente ans- très souvent des solos, ou de faux solos, mais aussi de la danse, du  cirque, des tours de magie, des spectacles musicaux, des marionnettes  etc.! Peu de classiques, et comme le reste de l’année, nombre d’adaptations de romans ou nouvelles. Ce supermarché théâtral commence à  8 h 30 (sic) et les dernières représentations débutent à 23h 30 !

Dans le In, quarante-sept spectacles, avec 227 représentations en quarante lieux! Parfois même hors remparts. Avec un taux de fréquentation record: 95,5% et 108.000 billets vendus! Et quelques manifestations gratuites. Bien entendu, cela ne peut se faire qu’avec une organisation, en amont comme en aval d’une rigueur exemplaire, et un travail en continu d’équipes importantes: soit quelque 1.750 artistes, techniciens, personnel administratif, etc. relevant du régime spécifique des intermittents du spectacle. Bref, une très grosse machine parfaitement rodée, sous la houlette des plus efficaces de Paul Rondin, proche collaborateur d’Olivier Py. Et qui fonctionne à plein régime pendant trois semaines pour que ce festival connu dans le monde entier puisse accueillir correctement public, producteurs, professionnels, et journalistes qui bénéficient d’un remarquable service de presse.

Mais, dit Jean Couturier, tous les ans, des spectateurs se plaignent de ne pas avoir obtenu de places, même pour la Cour d’honneur quelques heures seulement après l’ouverture des réservations! Et autre bémol: la difficulté de plus en plus grande pour se loger! En effet, depuis une dizaine d’années, le prix des hôtels ne cessent de grimper (plus de cent € minimum, la nuit!) et les particuliers louent une chambre, dans un appartement, 70 € la nuit, voire le double, si elle est indépendante. Les maisons correctes se négocient, elles, à plusieurs milliers d’euros! Et les réservations se font d’une année sur l’autre! Bref, toute l’économie de la ville un mois durant- est fondée sur le commerce avec les participants au festivals, public comme intervenants à un titre ou à un autre. Et fonctionnent à flux tendu les parkings, hôtels, restaurants, bars, taxis, commerces du centre ville, imprimeries, grandes surfaces de bricolage, supermarchés, mais aussi particuliers qui louent leur habitation, souvent au noir bien entendu, etc. Bref, tout Avignon, y compris la Ville, elle-même profite largement du festival. Cette soixante-douzième édition se porte donc fort bien sur le plan économique…

Pour Mireille Davidovici, « l’ambiance reste festive, quoique toujours un peu nerveuse, et le public est toujours  au rendez-vous dans le In comme dans le Off dont un lieu en particulier,  la Manufacture  compte quarante spectacles sur sept scènes, intra et extra muros, et une dizaine de compagnies étrangères invitées. Et un nouveau site pour le In: la Scierie, hors les remparts. Mais, souligne Mireille Davidovici, comme les autres collaborateurs  du Théâtre du Blog: pas de grands coups de cœur, sauf à la FabricA, avec Arctique d’Anne-Cécile Vandalem, une dystopie politico-policière rondement menée, et dans le off, Cendres, de la norvégienne Yngvild Aspeli.

« Preuve est faite ici que les femmes de théâtre valent bien les hommes ». Une réponse à la polémique lancée par la metteuse en scène Carole Thibault, invitée par David Bobée à participer à son feuilleton quotidien en treize épisodes Mesdames, Messieurs et le reste du monde, dans les jardins de la médiathèque Cecanno. Relayée par les réseaux sociaux, son intervention a défrayé la petite chronique avignonnaise… Le 13 juillet, la directrice du Centre dramatique national de Montluçon, a simulé une cérémonie des Molières: “Je vous remercie pour ce Molière. Probablement, le seul Molière que je recevrai jamais…  Mets-toi bien ça dans le crâne, petite bonne femme créatrice : la Cour d’honneur et les Molière ne sont pas pour toi», avant de dénoncer, chiffres à l’appui, le sexisme de la programmation du Festival…

Effectivement,  bon nombre de critiques et de spectateurs regrettent que ce festival  semble être la chasse gardée d’amis proches, voire très proches d’Olivier Py: Julien Gosselin, David Bobée, Thomas Jolly, Ivo van Hove, Raymund Hoghe, Milo Rau,  Emanuel Gat…  Mais peu de femmes: Chloé Dabert, Karelle Prugnaud… et une seule connue du grand public: Sasha Waltz. Cherchez l’erreur et Carole Thibaut a bien raison de se mettre en colère:  on est loin en effet, une fois de plus, de la parité, surtout dans les grands lieux. Avec des spectacles assez élitistes. Ce qui est regrettable pour l’image de marque de ce festival international, depuis longtemps reconnu dans le monde entier..

Quant au Off, Julien Barsan constate lui, « une politique expansionniste: ainsi, La Manufacture, rue des Ecoles, ouvre un lieu supplémentaire extra-muros avec navette, et  Le 11-Gilgamesh, une autre salle. Et on trouve presque des multiplexes de théâtre avec plusieurs guichets, plateformes de réservation par internet, serveur vocal … On peut se demander jusqu’où ira le Off!  Côté qualitatif, pas de gros coup de cœur, mais quelques bons spectacles quand même. » Effectivement depuis 2010,  les règles ont bien changé et de 1.077 spectacles, on est passé à plus de 1.600!  Avec plus de 65.000 cartes de réduction vendues 16€, ce qui réduit le coût d’un billet de 30%,  et bien entendu, au détriment des compagnies qui doivent déjà payer 310 €, le droit d’entrée au gros mais programme sur papier. Gratuit et d’une rare précision, il est devenu un indispensable outil de travail pour les critiques comme pour les programmateurs. Mais vouloir faire de l’argent avec un spectacle dans le off est illusoire: cela permet parfois, mais pas toujours, de se faire connaître et de vendre un spectacle pour quelques dates la saison prochaine…

Même si on le dit chaque année, le off a acquis en 2018 une remarquable autonomie avec un lieu de rencontres, services de location, de presse et de relations publiques, et de nombreuses attachées de presse parisiennes très efficaces, etc. Il y aussi un phénomène qui s’accentue: nombre de compagnies françaises ou étrangères viennent de l’autre bout du monde comme Tahiti, et certains lieux sont devenus au fil des années, une sorte de In du Off:  La Chapelle du Verbe Incarné, le Théâtre des Halles, Le Théâtre du Balcon, Présence Pasteur, Le Petit Louvre, La Manufacture, et plus récemment l’Artéphile… Certains étant ouverts une partie de l’année, et servant de lieu de répétitions pour les compagnies. Cela dit, le Off pourrait-il exister sans le In? Rien n’est moins sûr, le festival reste un incontournable pôle d’attraction  pour les professionnels qui s’intéressent de plus en plus au off mais vont souvent voir un ou deux spectacles dans le in… Bref, une curieuse alchimie!

Le 11 Guilgamesh, situé lui boulevard Raspail donc en centre ville, a pris la suite du restaurant Flunch et a ouvert l’an dernier avec une très importante surface… encore en cours d’aménagement. Et côté sécurité, avant que la commission ad hoc ne passe, mieux valait ne pas être trop exigeant: blocs-secours lumineux pas aux normes, sortie de secours encombrée, petite marche non indiquée, climatisation en panne… On peut être indulgent sur le confort, mais jamais sur la sécurité du public.

Ce que le grand public ne sait pas toujours et que les propriétaires de salles ne crient pas sur les toits: les compagnies louent toujours, et parfois fort cher, les endroits où elles jouent. Ainsi un lieu en centre ville, avec trente places, doté d’un petit plateau pour un solo voire deux acteurs, et d’une loge, correctement aménagé mais sans plus, s’est négocié plus de 4.000 € pour un mois! Quand, et c’est la majorité des cas, sept compagnies s’y succèdent par jour, le calcul est vite fait, et cela rapporte vraiment de gros sous… Alors que les compagnies rentrent au mieux dans leurs frais: « faire Avignon »  comme on dit, est devenu pour une petite troupe sans grosses subventions, un véritable luxe: location d’une salle, d’une maison, transport des comédiens et d’un décor même réduit et de quelques accessoires sans compter les indispensables services d’une attachée de presse, revient au minimum à  20.000 €.

Ce qui explique que, de plus en plus, nos Régions, ou un pays comme la Belgique, louent une salle pour toute la durée du festival pour que leurs compagnies, puissent jouer à Avignon. Mais c’est souvent sur concours auquel même en France, un Centre Dramatique National doit aussi se soumettre. On peut regretter cette surenchère mais les faits sont têtus: le off sert aussi de plus en plus de vitrine, et nombre de directeurs de structures françaises mais aussi étrangères, viennent faire leur marché en Avignon.

Notre amie Edith Rappoport ressent, elle, comme une sorte de lassitude quant à la programmation du In: « C’est la deuxième fois depuis 1966, dit-elle, où, comme critique professionnelle, je n’ai vu aucun spectacle du In. Mais j’ai suivi avec plaisir plusieurs spectacles de Villeneuve en Scène à Villeneuve-lès-Avignon, où l’on retrouve un peu du climat exaltant disparu depuis des années en Avignon, celui du temps de Jean Vilar puis de Paul Puaux. Avec des spectacles insolites comme Boxon(s) du Petit Théâtre de Pain, L’Absolu au Clos de l’Abbaye. » Et une dizaine du off avignonnais sont tout à fait intéressants et d’une grande qualité de jeu et de mise en scène qui n’ont rien à envier  à ceux du In. On comprend qu’ils séduisent de plus en plus le public, las des grandes machines du In, d’un coût de réalisation élevé, et pas toujours convaincantes… »

Un bilan donc contrasté: de plus en plus de monde dans les petites rues d’Avignon avec un indéniable souffle de liberté, des spectacles dans le in assez coûteux (la plupart venant de structures officielles richement subventionnées), un off qui ne cesse de progresser en qualité et où le public se précipite. Rares sont les salles peu remplies… Bref, un sacré mélange mais où on peut encore trouver son compte: on a beau râler, ce festival, malgré la foule, la chaleur et le bruit  parfois infernal, les erreurs de programmation du in, la fatigue intense de journées et soirées sans fin, reste un événement  incontournable pour qui s’intéresse au spectacle contemporain.

Philippe du Vignal, avec la collaboration de Christine Friedel, Mireille Davidovici, Julien Barsan, Edith Rappoport et Jean Couturier.

 

 


Archive pour juillet, 2018

Tribulations d’un musulman d’ici, de et par Ismaël Saïdi

Tribulations d’un musulman d’ici, de et par Ismaël Saïdi.

Nous avions croisé cet auteur en juin dernier à l’Institut français à Tokyo, où il avait présenté sa pièce Djihad,  jouée fréquemment en France, (voir Le Théâtre du blog). Interprétée  en version japonaise et mise en scène par Misaki Satoyama, au Sainokuni Saitama Arts Theater.

Toujours encadrée d’un débat, elle a déjà été jouée quatre cent cinquante fois avec succès dans le monde entier. «C’est juste une pièce de théâtre, précise Ismaël Saïdi, ce n’est pas un vaccin». Nous retrouvons Ismaël Saïdi ici dans une petite salle, avec un monologue autobiographique de soixante minutes, plein d’énergie et d’humour, où il retrace  les grandes étapes de sa vie de fils d’immigrés marocains né en Belgique. Refus de choisir entre deux cultures malgré certaines pressions familiales, expérience de policier pendant plus de dix ans, rencontres qui ont façonné sa vie : tout cela décrit avec sincérité, tendresse et sensibilité quand en particulier, il évoque la mémoire de celle qu’il nommera: «Madame» toute sa vie, jusqu’à sa mort à 99 ans… Une Belge vivant seule qu’il a connu enfant. «Elle s’occupait de moi tous les jours, me soignait, aidait ma mère à me laver. Dès que j’ai eu quatre ans, elle lui a dit qu’il faillait commencer à m’apprendre à lire pour que je prenne de l’avance. Elle me rapportait des livres et les déchiffrait avec moi».

Ce goût des mots et de l’écriture  ont fait qu’Ismaël Saïdi s’est peu à peu écarté de ce que pouvait être sa destinée de musulman de seconde génération. Cette prise de conscience de la valeur de l’écrit et le fantôme protecteur de «Madame» l’ont amené à devenir un auteur à succès et un interprète aujourd’hui en constant dialogue avec cette femme. Un beau travail, utile et émouvant de mémoire…

Jean Couturier

Le spectacle a été joué au Théâtre de l’Observance, 10 rue de l’Observance, Avignon, du 6 au 29 juillet à 15h30. 

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Feu la mère de madame et Mais n’te promène pas toute nue de Georges Feydeau, mise en scène de R. Acquaviva

 

Feu la Mère de Madame de Georges Feydeau, mise en scène de Raymond Acquaviva

A578ACCB-7DFB-4A34-A778-52196D80B2B1Un caissier des Galeries Lafayette rentre d’un bal costumé. En perruque Louis XIV, portant une épée, il pénètre dans la chambre  où dort Yvonne,  sa femme. En le voyant  ainsi déguisé, elle l’injurie copieusement. Puis, elle va réveiller sa bonne alsacienne assez ridicule qui tombe de sommeil. L’épouse est furieuse des dépenses de son époux :« Onze francs soixante quinze, pour aller au bal ! ».
Tout d’un coup, on sonne: Joseph un valet est chargé d’apporter une terrible nouvelle:  « Et, quand je dis très malade, c’est une façon de parler ; parce que, à vrai dire, elle est plutôt… elle est plutôt… -Quoi, quoi ? dit Yvonne, Qu’est-ce qu’elle est plutôt ?… Et Joseph lâche le morceau:  »
Elle est plutôt ? Morte ! » La mère de madame est en effet décédée

Le couple enjoint alors la bonne de les aider à se préparer pour l’enterrement et ils s’habillent. Mais Joseph a fait très fort et s’est trompé de porte: c’est la mère du voisin de palier qui est morte ! Les époux, soulagés, sont tout de même furieux.

Ce quiproquo fondé sur le ridicule, est joué avec une belle emphase un peu démodée dans les rapports de classes. Tout se passe comme si on assistait à une bizarre visite dans un passé lointain 1908! Quand parut la pièce de Georges  Feydeau…

Ne t’promène pas toute nue de Georges Feydeau, mise en scène de Raymond Acquaviva

Une œuvre transposée étrangement en 2018, dans un studio de mode. La femme d’un député de gauche, qui ambitionne d’obtenir le portefeuille des Outremers , se dispute  avec lui qui lui reproche de se promener sans cesse en combinaison affriolante. Mélenchon, un ami député du mari, entre chapeau à la main. Le mari ne cesse d’envoyer sa femme s’habiller correctement, mais elle fait la sourde oreille et entre sans arrêt, en tenue légère.

« Mon candidat, c’était Benoît Hamon, affirme le député ! » La jeune femme piquée par une guêpe veut que son mari lui suce la fesse, en vain ! Il fait mine de partir, elle le retient, elle le provoque, il la rejette. Elle jette  coussins et boîtes. Tout se termine sur un joyeux chœur chanté. « Rien ne change chez l’homme, sinon son apparence ! ».

Bon…

Edith Rappoport

Théâtre du Lucernaire 54 rue Notre-Dame des Champs, jusqu’au 19 août. T. : 01 45 44 57 34

Adieu, Irène Sadowska-Guillon

 

irèneAdieu, Irène Sadowska-Guillon

Notre amie d’origine polonaise qui  vivait depuis très jeune à Paris, a longtemps travaillé pour Le Théâtre du Blog. Elle s’est éteinte lundi à Madrid dans l’appartement où elle habitait depuis quelques années, après une longue et très douloureuse maladie contre laquelle elle a courageusement lutté.  Critique de spectacles bien connue, elle avait collaboré  à France-Culture et à des revues de théâtre contemporain, comme Théâtre Public, Cassandre, Conjunto, Tablas, et AD Teatro, etc.

Elle avait été aussi présidente des Échanges Franco-Hispaniques des Dramaturgies Contemporaines Hispanité Explorations. Mais elle avait aussi assumé la lourde tâche de la trésorerie de l’Association Internationale des Critiques de Théâtre, et du Syndicat Professionnel de la Critique de Théâtre en France.

Toute l’équipe du Théâtre du Blog et moi-même, embrassons chaleureusement son mari François Guyon. Adieu, Irène et merci.

Philippe du Vignal

Un Rapport sur la Banalité de l’amour de Mario Diament, traduction et mise en scène d’André Nerman

Festival d’Avignon:

Un Rapport sur la Banalité de l’amour de Mario Diament, traduction et mise en scène d’André Nerman

En 1925, donc il y a presque un siècle, on assiste à la première rencontre entre Hannah Arendt, une jeune étudiante juive de dix-huit ans, et Martin Heidegger, son professeur à l’Université de Fribourg.  Très vite séduite: «Ma dissertation, lui dit-elle, je l’ai écrite pour vous », . « Tout cela, lui répond le philosophe de trente quatre ans, m’encourage à être votre mentor. » Et elle deviendra vite son amante..
Mais Hannah Arendt est effrayée par la montée du nazisme et leur relation devient plus difficile: elle veut  aller faire sa thèse avec Karl Jaspers. Martin Heidegger lui, est marié et soutient, tout en s’en défendant, le parti nazi qui, dès 1930, remportera 14 % des votes. Et il croit y voir un renouveau pour l’Allemagne ! Et trois ans plus tard, le philosophe, devenu recteur de l’Université, adhèrera au parti et licenciera sans état d’âme les professeurs juifs.

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«Nous avons essayé de nous fondre dans l’océan qui nous a toujours rejetés !  Je ne me suis jamais sentie chez moi en Allemagne, dit Hannah, je vais quitter Günter mon mari!». Martin Heidegger est  désespéré : « Tout le monde est convaincu que j’ai été nazi ! » mais il s’en défend. Malgré tout ce qui les sépare, Hannah ne pourra jamais se défaire de cet amour.
Remarquablement interprété par Emmanuelle Vion et André Nerman, ce spectacle créé il y a cinq ans au Théâtre de la Huchette à Paris et qui retrace, en quelques rencontres de 1925 à 1950, l’histoire de ces deux philosophes, est tout à fait passionnant.

Edith Rappoport

Théâtre de la Luna, 1 rue Séverine, Avignon, à 18 h 50. T. : 04 90 86 96 28.

 

Mein Kampf, de George Tabori, mise en scène de Luca Ruffini et Magali de Leeuw

Festival d’Avignon:

Mein Kampf, une farce de George Tabori, mise en scène de Luca Ruffini et Magali de Leeuw

spectacle_23844Écrite en anglais, ensuite traduite en allemand par Ursula Griitzmacher Tabori, la pièce a été créée en 1987 au Burgtheater à Vienne. Hitler, paysan autrichien mégalo, hypocondriaque et antisémite, arrive à Vienne avec sa valise et un carton à dessins sous le bras. Il ne trouve rien d’autre pour dormir qu’un asile de nuit…  Il y est accueilli par deux clowns, caricatures de juifs tremblotants et voûtés;  l’un d’eux, le vieux Schlomo Hertzl, colporteur de Bibles et de kamasutras, va le protéger et  lui  annoncera une bonne nouvelle: «J’ai réduit les Dix Commandements à trois!  La foi ne se commande pas.».

Hitler veut devenir peintre, et doit se rendre à l’Académie des Beaux-Arts le lendemain. On lui coupe sa grosse moustache, il hurle, on le bâillonne Mais il ratera son concours d’entrée et se réorientera vers une carrière politique avec le succès que l’on sait. Schlomo, qui écrit un livre, Mein Kampf, lui fait cadeau du titre pour l’aider dans sa future carrière.

Malheureusement,  on se perd vite dans cette  histoire et ce huis-clos grotesque à, l’humour plus que grinçant, reste peu compréhensible, si l’on excepte la carrière de peintre raté d’Hitler, et ne fonctionne pas.

Edith Rappoport

Théâtre du Verbe Fou, 95 rue des Infirmières, Avignon, à 22 h. jusqu’au 29 juillet. T. : 04 90 85 29 90.

 

Heures Séculaires, conception et interprétation de Laura de Lagillardaie et Olivier Brandicourt

 Festival d’Avignon:

Heures Séculaires, conception et interprétation de Laura de Lagillardaie et Olivier Brandicourt

 

©Jean Couturier

©Jean Couturier

Sans aucun doute, un des plus beaux moments de ce festival, le matin à 8 h 30 dans le jardin du Musée Vouland. La façade de cet hôtel particulier du XVIII ème siècle sert d’écrin aux artistes. «Vous êtes assis confortablement sur des banquettes de velours rouge , vous êtes à l’Opéra et vous allez sortir votre smartphone, prendre des photos et permettre à vos voisins derrière vous, de voir à quel point vous êtes un bon photographe …» dit Olivier Brandicourt avec humour, tout en sécurisant le portique devant cette belle façade.

Les cloches sonnent, le soleil levant génère les premières ombres, et le public assis sur des gradins en bois peut entrer doucement dans ce rêve matinal. Sur une musique d’Erik Satie – qui donne le titre à cette pièce-  et avec des textes du compositeur lui-même, de Francis Picabia, de Marcel Duchamp et de bien d’autres dits par les artistes, Olivier Brandicourt va aussi accueillir sur son portique aérien donc entre ciel et terre, Laura de Lagillardaie.

 Chaque geste nous apparaît d’une délicatesse incroyable, quand ils se lancent dans un corps-à-corps aérien d’une beauté renversante. Pas de performance dangereuse ici, mais une poésie de figures réalisées qui fait naître une réelle émotion. «Je suis né très jeune, dans un monde très vieux» : le fantôme d’Erik Satie accompagne avec bonheur ce moment unique que l’on peut  peut aussi apprécier au coucher du soleil, dans une autre perspective visuelle. La compagnie les Sélène a participé à l’aventure tzigane du cirque Alexandre Romanès, (voir Le Théâtre du blog). Et dans le même esprit, elle nous fait vivre un moment rare de quarante-cinq minutes qui restera longtemps imprimé dans nos mémoires.

Jean Couturier

 Jardin du Musée Vouland, 17 rue Victor Hugo, Avignon, le matin à 8h30 et à 20h 30 ,jusqu’au 29 juillet.

Un jour j’ai rêvé d’être toi de et avec Anaïs Muller et Bertand Poncet

Festival d’Avignon:

Un jour, j’ai rêvé d’être toi, de et avec Anaïs Muller et Bertand Poncet

 

243BB8CC-319F-494E-98A1-981F98A32C05Il y a d’abord un petit film en noir et blanc, à la Jean-Luc Godard  où on se trouve en haut des arènes d’Arles. Puis entrent une jeune femme en robe élégante et un jeune homme en costume neutre blanc, boucles d’oreille, bagues aux doigts, et ongles vernis. Bert et Ange  jouent à jouer, ou jouent à être, on ne sait pas exactement. Ils ont quelque chose d’intemporel, et on ne parvient pas à savoir dans quel espace-temps, ils évoluent. Bert aimerait être une femme, Ange joue l’homme. Aucun n’est à l’aise dans sa personnalité. Et on sent chez eux une certaine tristesse et un sentiment d’échec.

Devant nous, ils rejouent des scènes, s’interpellent et nous perdent, on ne sait plus si ils sont eux-mêmes ou leur personnage. Mais eux non plus, ne le savent peut-être plus très bien. Il y a entre eux une grande complicité, une belle affection que les coups de colère de l’un ou de l’autre n’entame pas. Cette comédie est porteuse de belles références Anaïs Muller se compare physiquement à Bernadette Lafont dans La Maman et la Putain, et on croise aussi le film Femmes Femmes de Paul Vecchiali.

Pour ces créateurs et interprètes, « Bert et Ange se complètent et s’assemblent, et se renvoient tel un miroir, l’image fantasmée d’eux-mêmes. C’est l’idée du double qui s’exprime selon nous, par l’angoisse de savoir qu’on est incapable d’établir son existence par soi-même, l’angoisse de ne pas faire partie du réel. Mais les personnages découvrent qu’il est vain de rêver à être un autre, qu’il faut arriver à s’accepter soi-même, tel que l’on est. Notre pièce, c’est l’enterrement des fantasmes qu’on aurait de soi et des autres. »

 Quel plaisir d’être baladés et perdus par ces acteurs qui jouent une partition bien plus précise et intelligente qu’elle n’y paraît d’abord. Anaïs Muller et Bertrand Poncet arrivent à « bien mal jouer» ce qui est très difficile au théâtre. Au-delà du rire, ils installent une jolie mélancolie et un rapport avec le temps qui passe, très finement pensé. Voilà un ovni qui fait du bien dans la paysage traditionnel du festival !

 Julien Barsan

 Théâtre du Train Bleu, 40 rue Paul Saïn, Avignon, jusqu’au 29 juillet à 17 h 30 T. : 04 90 82 39 06.

 

Je demande la route, texte et mise en scène de Roukiata Ouedraogo et Stéphane Eliard

Photo Fabienne Rappeneau

Photo Fabienne Rappeneau

 

Festival d’Avignon:

Je demande la route, texte et mise en scène de Roukiata Ouedraogo
 
L’humoriste bien connue des auditeurs de France-Inter se produit ici dans un nouveau lieu du off, Le Théâtre du Train Bleu, et non dans une des salles qui accueillent habituellement les humoristes «vus à la télé». Ce spectacle retrace avec une certaine auto-dérision, le parcours qui l’a menée d’une école de Ouagadougou, aux scènes des théâtres parisiens, en passant par un salon de coiffure à Château-Rouge où elle travaillait, et le cours Florent à Paris où elle s’initie au théâtre. Roukiata Ouedraogo raconte en détail les différences entre les cultures française et burkinabé. Par exemple, un enseignement avec des classes peuvent compter plus d’une centaine d’élèves, alors que les professeurs français se plaignent d’effectifs de trente élèves! Et quand sa mère lui demande ce qu’elle a fait pendant une journée d’école, elle réponde simplement : l’appel !

On suit son arrivée chez nous et la découverte de ses voisins. L’adaptation à la culture française se fait parfois dans la douleur: elle vexe ainsi une dame en l’appelant «la vieille», une expression courante et presque respectueuse au Burkina. Les dialogues dans un salon d’esthétique à Château-Rouge à Paris où elle travaille, sont très drôles. Avec émotion, elle explique le titre du spectacle : en Afrique, « demander la route » signifie prendre congé d’une personne. On doit le formuler trois fois; car si votre interlocuteur répond favorablement tout de suite, cela  veut dire qu’il souhaite se séparer de vous, et c’est impoli. On assiste aux conversations téléphoniques empreintes de beaucoup de tendresse avec le pays. Avant de finir de parler avec sa mère, chacun prend le téléphone et lui demande de lui rapporter qui, un sac Gucci, qui, un pantalon Prada …

Elle fait le choix de quitter son emploi au salon de coiffure,  pour entrer au Cours Florent; après quelques embûches,  elle voit une carrière de comédienne s’ouvrir à elle, avec le succès que l’on sait.
Roukiata Ouedraogo  possède une présence solaire, et a un sourire qui capte le public. Son spectacle utilise les codes du solo, et dotée d’un micro-casque, elle arpente le plateau nu de cour à jardin, sous des lumières parfois un peu brutales.
Ceux qui aiment ce style de spectacle comique passeront un excellent moment. Ceux qui y cherchent autre chose, pourront être une peu déçus par son aspect anecdotique: les différences culturelles y sont en effet abordées en surface, et surtout pour faire rire. Mais dans ce cas, malgré le grand talent de Roukiata Ouedraogo, mieux vaut sans doute aller voir sur ce même thème, Stand Up-rester debout et parler, au 11 Gilgamesh Belleville, à Avignon…
 
Julien Barsan
 
Théâtre du Train Bleu, 40 rue Paul Saïn, Avignon, jusqu’au 29 juillet à 13 h 30.  T. : 04 90 82 39 06.
Théâtre du Lucernaire, 53 rue Notre-Dame des Champs, Paris, à partir du 27 septembre. T. : 01 45 44 57 34.

Story Water direction artistique, chorégraphie, scénographie et lumières d’Emanuel Gat.

180722_rdl_1026Festival d’Avignon :

Story Water direction artistique, chorégraphie, scénographie et lumières d’Emanuel Gat.

 Cette œuvre, présentée dans le cadre unique de la Cour d’honneur du Palais des Papes, témoigne de l’union de deux expressions artistiques : celle de l’Emanuel Gat Dance, et la musique de l’Ensemble Modern de Francfort. Dans un environnement blanc, du tapis de danse aux costumes, dix danseurs dialoguent avec les partitions de Pierre Boulez,  Rebecca Saunders  et Emanuel Gat, jouées par des musiciens installés à cour sur le plateau.

 Les vingt dernières minutes de la cinquième partie du spectacle, sont de loin les plus intéressantes et émouvantes. Des textes projetés sur le grand mur du Palais évoquent, chiffres à l’appui, la situation des habitants de la Bande de Gaza. Et  les six danseuses et quatre danseurs évoluent en un groupe harmonieux sur une musique inspirée d’airs traditionnels que le chorégraphe a créée avec l’Ensemble Modern de Francfort. Mais le spectacle,  d’une durée variable : environ une heure vingt, en fonction des improvisations, est peu lisible et déçoit. Et un décompte du temps, lui bien visible, s’affiche en chiffres rouges, sous une fenêtre du Palais !

  «Je cherche des interprètes qui ont la capacité d’assumer une part de responsabilité par rapport à l’œuvre, ce qui permet ensuite une part de liberté à l’intérieur de l’œuvre», dit Emanuel Gat. Directives appliquées à la lettre par ses danseurs. Au début de spectacle, réunis en deux groupes distincts, ils prennent l’un après l’autre l’initiative d’un mouvement et entraînent leur partenaire à leur donner la réplique.
Dans la deuxième partie, ils se regroupent en cercle et semblent repartir dans d’autres improvisations résolument contemporaines, et un violoncelliste se mêle à eux, assis sur le plateau, en retrait de l’orchestre. Emanuel Gat dit avoir effectué une mise en scène chorégraphique et musicale dans un même processus de travail.
Musiciens et danseurs sont tous remarquables mais le tout reste froid, sans cohérence ni émotion. Et chaque séquence sauf dans la dernière partie, semble s’éterniser et l’ennui gagne. On peut quand même espérer que ce spectacle, avec de vraies dissonances, musicales et chorégraphiques, puisse évoluer d’ici l’an prochain…

 Jean Couturier

Cour d’Honneur du Palais des Papes, Avignon, du 19 au 23 juillet.

En janvier 2019, Théâtre National de la Danse de Chaillot,Paris ( XVIème).

 

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