Noces de Sang d’après Federico García Lorca, adaptation et mise en scène de Vincent Goethals

©Jean Delmarty

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Noces de Sang d’après la pièce de Federico García Lorca, adaptation et mise en scène de Vincent Goethals, direction musicale de Gabriel Mattei

A l’origine, un fait divers qu’avait relaté le journal espagnol A.B.C. il y a tout juste quatre-vingt dix ans ce mois-ci et comme il en existe sans doute encore parfois: un mariage entre jeunes gens s’annonce bien mais au dernier moment, bascule et part en vrille à cause d’une ancienne passion. Avec, en conclusion, un bain de sang.  Federico García Lorca avait fini d’écrire ces  Bodas de sangre en 1932, donc  six ans avant d’être assassiné par des franquistes qui ne supportaient ni les idées politiques ni l’homosexualité du poète, maintenant devenu une icône en Espagne.

Cela se passe au Sud de l’Espagne… Le jeune et beau Novio a de bonnes terres et est  fiancée à la belle et riche Novia. On prépare la fête du mariage qui doit se dérouler selon les traditions mais on le sent bien: quelque chose coince. D’abord, la mère de Novio, veuve d’un mari et mère d’un autre fils tué par la famille de la Novia, ne s’est jamais remise de ces deuils successifs. Et quand elle voit son fils lui échapper, c’en est trop, et elle apprécie peu cette union, puisqu’elle se retrouverait seule dans sa maison jusqu’à sa mort. Mais elle donnera finalement son accord, pour avoir des petits-enfants qui, au moins, ne la laisseront peut-être pas seule…

©Jean Delmarty

©Jean Delmarty

La Novia, elle, a choisi de se marier, même si elle sait que la société la condamnera à rester enfermée dans sa maison avec son époux. Mais elle se souvient aussi qu’encore libre et très jeune, elle aimait d’une passion absolue, Leonardo, trop pauvre et maintenant marié à une autre, père d’une enfant et bientôt d’un autre…  Et quand il apprend son futur mariage, il va aller roder à cheval la nuit sous la fenêtre de la Novia.  Le matin même du mariage, Leonardo arrive le premier, retrouve son ex-fiancée et c’est une évidence, l’histoire d’une passion réciproque entre elle et lui et que les deux familles  avaient violemment repoussée, est loin d’être éteinte.  Sinon, il n’y aurait pas de pièce… Les deux ex-amoureux se séparent donc et le mariage aura bien lieu, suivi d’une très belle fête. Mais Leonardo et la Novia s’enfuient tous les deux loin du village dans les bois. Le Novio a fait rechercher Leonardo: ils vont se battre et se tuer réciproquement, au couteau. Le destin a encore frappé ce pauvre village où tout le monde se connaît. Et ce sont les femmes et surtout la jeune mariée qui auront été sacrifiées… Zéro partout : un père et un fils déjà tués, et ensuite un jeune père de famille et un nouveau marié. Les trois veuves : la vieille mère, la mariée encore vierge et la femme de Leonardo seront unies par une même douleur et pleureront leurs hommes morts au champ des passions. La pièce- rarement montée en France- est ancrée dans une Espagne rurale d’autrefois mais garde encore quelque chose de fascinant malgré quelques longueurs. Reste à savoir comment on peut la mettre en scène aujourd’hui. Terrain glissant en effet: soit on recrée une Espagne rurale pur-jus, stéréotypée, avec murs de ferme blanchis à la chaux sous un soleil brûlant, avec costumes noirs et musique ethnique… Ce genre de théâtre-carte postale serait sans doute insupportable ! Ou alors il y faudrait un sacré génie! Soit on épure les choses, sans les moderniser, tout en gardant aux habitants de ce village, à la fois acteurs et victimes de cette tragédie, leur personnalité, au risque de tomber dans une certaine sécheresse. et quant les marges de manœuvre restent donc  limitées… Comment dire en effet, la tension et la violence sous-jacente de ce monde d’autrefois mais pas si lointain qui traverse toute la pièce, et de façon efficace, sans tomber dans le pathos et la grandiloquence? Daniel San Pedro n’avait pas mal réussi son coup dans le magnifique petit théâtre d’Aix-en-Provence il y a  deux ans (voir Le Théâtre du Blog).

Mais en plein air, devant la façade des plus imposantes d’un beau château XVI ème siècle -revu début vingtième- sur  un plateau d’une ouverture d’une trentaine de mètres et devant huit cent personnes, cela donne quoi ? Du meilleur, vraiment et du pas très bon… D’abord le meilleur : rendons d’abord hommage à l’auteur de cette scénographie sobre et intelligente, Benoît Dugardyn, brutalement décédé en mars dernier juste après avoir fini les décors (des noces de sang avec le théâtre !). Il a imaginé des praticables  rouges en planches avec table, chaises et tabourets, des gradins aussi en bois adossés à de la façade, et côté jardin, un petit kiosque pour les trois musiciens.  Sobre et suffisant pour cette grande cour où des éléments réalistes, quels qu’ils soient, auraient été ridicules.

Et Vincent Goethals a eu une très belle idée : demander chaque soir à une trentaine de spectateurs volontaires de tout âge de figurer en costume noir et blanc, les gens du village invités au mariage. Sagement assis contre le mur du fond, ils assistent au spectacle, et en même temps, viennent se mêler parfois aux acteurs, chantent et dansent aux moments et endroits qu’on leur a précisés avant le spectacle. Ce qui représente un discret petit tour de force pour le metteur en scène, puisqu’il faut recommencer l’opération chaque soir !

 Deuxième trouvaille pour ce festival grand public, distribuer un petit programme avec les paroles d’une courte chanson en espagnol à interpréter. Quand Mélanie Moussay, actrice-chanteuse, leur fera signe. Auparavant, fort habile pédagogue, elle aura fait répéter quelques minutes ce chant choral. Et cela fonctionne! Avec quelques approximations bien sûr, mais suffisamment pour créer une belle unité entre acteurs, figurants et public. Autre belle idée: une image absolument magnifique, comme on en voit  peu, et qu’aurait apprécié le célèbre Polonais Tadeusz Kantor (lui qui aimait tant les mariées et les longues tables nappées de blanc). Soit une entrée en silence, par la lourde porte en bois du château, du marié et de la mariée avec une très longue traîne blanche d’une quinzaine de mètres qui servira ensuite de nappe au banquet des noces. Avec ensuite un chant choral de grande beauté…

Et du côté moins bien?  Une mise en scène sans beaucoup de rythme un peu sèche d’où ne se dégage pas beaucoup d’émotion, surtout au début où les choses ont du mal à se mettre en marche. Vincent Goethals aurait pu nous épargner des effets faciles avec fumigènes éclairés en bleu ou rouge qui s’échappent par la grande porte. Lesquels fumigènes se sont cruellement vengés, en déclenchant dans les salles du château pendant cinq minutes- ce qui a paru une éternité- une alarme des plus stridentes. Les comédiens, malgré tout, ont continué à jouer ! Chapeau ! Et le public les a applaudis quand l’alarme s’est arrêtée…

©Jean Delmarty

©Jean Delmarty

Côté distribution: il y a heureusement Anne-Marie Loop,  formidable comédienne belge, qui joue la Mère. Diction et gestuelle impeccable, elle impose tout de suite son personnage mais ses jeunes -et moins jeunes- camarades ont bien du mal à rendre crédible toute la violence contenue et la sensualité qui s’expriment dans les  scènes imaginées par Federico Garcia Lorca. Notamment Angèle Baux Godard ( la fiancée), Nabil Missoumi (Léonardo), Sébastien Amblard (Le fiancé). Et c’est tout de même ennuyeux pour des rôles principaux… Et ce moment crucial avec un combat au couteau entre les deux garçons- ici faiblard et pas crédible pour une peseta- aurait dû être réglé par un maître d’armes spécialisé pour la scène, comme le grand Bob Heddle-Roboth aujourd’hui disparu.   Le petit orchestre -accordéon, violoncelle et vibraphone- joue bien mais il faudrait le sonoriser car on l’entend mal et c’est dommage, car la musique et les chansons sont capitales dans cette œuvre. Côté lumières, on se disait que cela n’irait pas sans une bonne douche rouge sur la façade! Et Vincent Goethals est tombé dans le piège, à la fin seulement, mais quand même !

Bref, une mise en scène inégale qui se rodera sans doute et qui a encore le temps de se bonifier. De toute façon, cette pièce, intimiste, ne convient pas  vraiment à ce lieu magnifique et chargé d’histoire mais trop vaste et un peu écrasant pour cette tragédie rurale. Presque un siècle après sa création, Noces de sang a encore des choses à nous dire et peut nous toucher, à condition d’imaginer une dramaturgie solide… Et Vincent Goethals aurait intérêt à resserrer de toute urgence les boulons côté interprétation.  Donc à suivre…

Philippe du Vignal

Fêtes nocturnes de Grignan (Drôme), du 27 juin au 25 août, à 21 h. T. : 04 75 91 83 65.

 


Archive pour 1 juillet, 2018

Noces de Sang d’après Federico García Lorca, adaptation et mise en scène de Vincent Goethals

©Jean Delmarty

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Noces de Sang d’après la pièce de Federico García Lorca, adaptation et mise en scène de Vincent Goethals, direction musicale de Gabriel Mattei

A l’origine, un fait divers qu’avait relaté le journal espagnol A.B.C. il y a tout juste quatre-vingt dix ans ce mois-ci et comme il en existe sans doute encore parfois: un mariage entre jeunes gens s’annonce bien mais au dernier moment, bascule et part en vrille à cause d’une ancienne passion. Avec, en conclusion, un bain de sang.  Federico García Lorca avait fini d’écrire ces  Bodas de sangre en 1932, donc  six ans avant d’être assassiné par des franquistes qui ne supportaient ni les idées politiques ni l’homosexualité du poète, maintenant devenu une icône en Espagne.

Cela se passe au Sud de l’Espagne… Le jeune et beau Novio a de bonnes terres et est  fiancée à la belle et riche Novia. On prépare la fête du mariage qui doit se dérouler selon les traditions mais on le sent bien: quelque chose coince. D’abord, la mère de Novio, veuve d’un mari et mère d’un autre fils tué par la famille de la Novia, ne s’est jamais remise de ces deuils successifs. Et quand elle voit son fils lui échapper, c’en est trop, et elle apprécie peu cette union, puisqu’elle se retrouverait seule dans sa maison jusqu’à sa mort. Mais elle donnera finalement son accord, pour avoir des petits-enfants qui, au moins, ne la laisseront peut-être pas seule…

©Jean Delmarty

©Jean Delmarty

La Novia, elle, a choisi de se marier, même si elle sait que la société la condamnera à rester enfermée dans sa maison avec son époux. Mais elle se souvient aussi qu’encore libre et très jeune, elle aimait d’une passion absolue, Leonardo, trop pauvre et maintenant marié à une autre, père d’une enfant et bientôt d’un autre…  Et quand il apprend son futur mariage, il va aller roder à cheval la nuit sous la fenêtre de la Novia.  Le matin même du mariage, Leonardo arrive le premier, retrouve son ex-fiancée et c’est une évidence, l’histoire d’une passion réciproque entre elle et lui et que les deux familles  avaient violemment repoussée, est loin d’être éteinte.  Sinon, il n’y aurait pas de pièce… Les deux ex-amoureux se séparent donc et le mariage aura bien lieu, suivi d’une très belle fête. Mais Leonardo et la Novia s’enfuient tous les deux loin du village dans les bois. Le Novio a fait rechercher Leonardo: ils vont se battre et se tuer réciproquement, au couteau. Le destin a encore frappé ce pauvre village où tout le monde se connaît. Et ce sont les femmes et surtout la jeune mariée qui auront été sacrifiées… Zéro partout : un père et un fils déjà tués, et ensuite un jeune père de famille et un nouveau marié. Les trois veuves : la vieille mère, la mariée encore vierge et la femme de Leonardo seront unies par une même douleur et pleureront leurs hommes morts au champ des passions. La pièce- rarement montée en France- est ancrée dans une Espagne rurale d’autrefois mais garde encore quelque chose de fascinant malgré quelques longueurs. Reste à savoir comment on peut la mettre en scène aujourd’hui. Terrain glissant en effet: soit on recrée une Espagne rurale pur-jus, stéréotypée, avec murs de ferme blanchis à la chaux sous un soleil brûlant, avec costumes noirs et musique ethnique… Ce genre de théâtre-carte postale serait sans doute insupportable ! Ou alors il y faudrait un sacré génie! Soit on épure les choses, sans les moderniser, tout en gardant aux habitants de ce village, à la fois acteurs et victimes de cette tragédie, leur personnalité, au risque de tomber dans une certaine sécheresse. et quant les marges de manœuvre restent donc  limitées… Comment dire en effet, la tension et la violence sous-jacente de ce monde d’autrefois mais pas si lointain qui traverse toute la pièce, et de façon efficace, sans tomber dans le pathos et la grandiloquence? Daniel San Pedro n’avait pas mal réussi son coup dans le magnifique petit théâtre d’Aix-en-Provence il y a  deux ans (voir Le Théâtre du Blog).

Mais en plein air, devant la façade des plus imposantes d’un beau château XVI ème siècle -revu début vingtième- sur  un plateau d’une ouverture d’une trentaine de mètres et devant huit cent personnes, cela donne quoi ? Du meilleur, vraiment et du pas très bon… D’abord le meilleur : rendons d’abord hommage à l’auteur de cette scénographie sobre et intelligente, Benoît Dugardyn, brutalement décédé en mars dernier juste après avoir fini les décors (des noces de sang avec le théâtre !). Il a imaginé des praticables  rouges en planches avec table, chaises et tabourets, des gradins aussi en bois adossés à de la façade, et côté jardin, un petit kiosque pour les trois musiciens.  Sobre et suffisant pour cette grande cour où des éléments réalistes, quels qu’ils soient, auraient été ridicules.

Et Vincent Goethals a eu une très belle idée : demander chaque soir à une trentaine de spectateurs volontaires de tout âge de figurer en costume noir et blanc, les gens du village invités au mariage. Sagement assis contre le mur du fond, ils assistent au spectacle, et en même temps, viennent se mêler parfois aux acteurs, chantent et dansent aux moments et endroits qu’on leur a précisés avant le spectacle. Ce qui représente un discret petit tour de force pour le metteur en scène, puisqu’il faut recommencer l’opération chaque soir !

 Deuxième trouvaille pour ce festival grand public, distribuer un petit programme avec les paroles d’une courte chanson en espagnol à interpréter. Quand Mélanie Moussay, actrice-chanteuse, leur fera signe. Auparavant, fort habile pédagogue, elle aura fait répéter quelques minutes ce chant choral. Et cela fonctionne! Avec quelques approximations bien sûr, mais suffisamment pour créer une belle unité entre acteurs, figurants et public. Autre belle idée: une image absolument magnifique, comme on en voit  peu, et qu’aurait apprécié le célèbre Polonais Tadeusz Kantor (lui qui aimait tant les mariées et les longues tables nappées de blanc). Soit une entrée en silence, par la lourde porte en bois du château, du marié et de la mariée avec une très longue traîne blanche d’une quinzaine de mètres qui servira ensuite de nappe au banquet des noces. Avec ensuite un chant choral de grande beauté…

Et du côté moins bien?  Une mise en scène sans beaucoup de rythme un peu sèche d’où ne se dégage pas beaucoup d’émotion, surtout au début où les choses ont du mal à se mettre en marche. Vincent Goethals aurait pu nous épargner des effets faciles avec fumigènes éclairés en bleu ou rouge qui s’échappent par la grande porte. Lesquels fumigènes se sont cruellement vengés, en déclenchant dans les salles du château pendant cinq minutes- ce qui a paru une éternité- une alarme des plus stridentes. Les comédiens, malgré tout, ont continué à jouer ! Chapeau ! Et le public les a applaudis quand l’alarme s’est arrêtée…

©Jean Delmarty

©Jean Delmarty

Côté distribution: il y a heureusement Anne-Marie Loop,  formidable comédienne belge, qui joue la Mère. Diction et gestuelle impeccable, elle impose tout de suite son personnage mais ses jeunes -et moins jeunes- camarades ont bien du mal à rendre crédible toute la violence contenue et la sensualité qui s’expriment dans les  scènes imaginées par Federico Garcia Lorca. Notamment Angèle Baux Godard ( la fiancée), Nabil Missoumi (Léonardo), Sébastien Amblard (Le fiancé). Et c’est tout de même ennuyeux pour des rôles principaux… Et ce moment crucial avec un combat au couteau entre les deux garçons- ici faiblard et pas crédible pour une peseta- aurait dû être réglé par un maître d’armes spécialisé pour la scène, comme le grand Bob Heddle-Roboth aujourd’hui disparu.   Le petit orchestre -accordéon, violoncelle et vibraphone- joue bien mais il faudrait le sonoriser car on l’entend mal et c’est dommage, car la musique et les chansons sont capitales dans cette œuvre. Côté lumières, on se disait que cela n’irait pas sans une bonne douche rouge sur la façade! Et Vincent Goethals est tombé dans le piège, à la fin seulement, mais quand même !

Bref, une mise en scène inégale qui se rodera sans doute et qui a encore le temps de se bonifier. De toute façon, cette pièce, intimiste, ne convient pas  vraiment à ce lieu magnifique et chargé d’histoire mais trop vaste et un peu écrasant pour cette tragédie rurale. Presque un siècle après sa création, Noces de sang a encore des choses à nous dire et peut nous toucher, à condition d’imaginer une dramaturgie solide… Et Vincent Goethals aurait intérêt à resserrer de toute urgence les boulons côté interprétation.  Donc à suivre…

Philippe du Vignal

Fêtes nocturnes de Grignan (Drôme), du 27 juin au 25 août, à 21 h. T. : 04 75 91 83 65.

 

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