Festival des Ecoles de Théâtre du Théâtre public
Festival des Ecoles de théâtre du Théâtre public
Le théâtre bouge, vit, et prend hélas, très vite, des habitudes. Les jeunes «collectifs » ont établi sans se concerter bien sûr, une grammaire commune, et les représentations se suivent et se ressemblent. Dans la liste des «passages obligés»: un chant choral pour commencer- plutôt beau, en général- et la constitution d’un groupe ; une table, familiale, conviviale, sanglante, et la fête qui va avec, comme élément scénographique central… Un homme mis à nu, éventuellement. De la vidéo en option, un « stand-up» et/ou un discours au public, du cru des acteurs, et la participation des spectateurs…
Carillon et Scarabée, d’après Les Frères Karamazov de Dostoievski, de l’E.S.A.D. (Ecole supérieure d’art dramatique de Paris), travail dirigé par Jeanne Candel et Lionel Gonzalez
Encore un spectacle qui se construit «d’après», ce qui implique le plus souvent la réduction à un langage pauvre et relâché, à un sous-texte, celui de nos premiers ateliers au lycée. Pour cette présentation de sortie d’école, Jeanne Candel et Lionel Gonzalez ont travaillé avec les élèves de l’E.S.A.D. (Ecole supérieure d’art dramatique de Paris). Un bon point, au moins avec ce titre Carillon et Scarabée: une fantaisie au moins clairement annoncée!
Mais cela reste «d’après», et de très loin ! Le prologue, avec chant funèbre et image forte (et drôle) du cadavre du père, trop grand pour le cercueil (il sera finalement enterré les pieds dehors, problème à jamais non résolu), est plutôt réussi. Des flots du roman, il reste juste de quoi tracer de grandes lignes (de conduite) et trois prénoms : Dimitri, l’exalté, Aliocha, le pieux, un peu naïf mais pas si bête, et un Ivan assez mal défini. Du côté des filles, c’est plus complexe et plus démonstratif: Katerina, la noble fiancée abandonnée par Dimitri, se révèle une sorcière ravageuse vêtue de rouge, c’est tout dire, et elle exhibe (longuement) sous sa robe, un sexe masculin postiche très satanique. Quant à Groucha, en vert (la Femme comme Nature ???), et au centre des tourments masculins, on la voit peu : un destin de femme ordinaire.
Les rôles ne sont pas indiqués sur la feuille de salle! Dommage! On ne citera donc pas les noms de ces élèves dont on aurait aimé faire la connaissance en particulier ce jeune homme, très fille mais pas du tout efféminé, qui nous gratifie de ce “stand up“ à froid. Quand on ajoute de jolis moments de musique en amateurs, et cela donne un spectacle, drôle parfois, avec des trouvailles mais sans l’intensité du «théâtre précipité», annoncé par les metteurs en scène. Prêts à jouer? Oui, mais il leur faudra déjà sortir de l’habitude, et ne pas avoir peur des textes…
Platonov, ou les désillusions de la jeunesse, d’après Anton Tchekhov, par les élèves de trois promotions de l’E.S.C.A. (Ecole supérieure de comédiens par alternance d’Asnières)
Une autre adaptation d’un grande pièce, sous la direction de Paul Desveaux. Mêmes renoncements: le sous-texte monte à la surface et se substitue au texte, une méthode usée pour attaquer (c’est le cas de le dire) une écriture, et la ramener au connu d’une psychologie banale. Et cette présentation réunissait tous les ingrédients déjà usés, et cités plus haut ! Les copains des élèves riaient, sans complexe, des blagues sexistes et avinées des personnages, et applaudissaient en même temps la protestation féministe de la comédienne qui venait de jouer le rôle de Maria Grekova, la jeune fille naïve de vingt-ans. Il faut quelquefois se demander de quoi on rit (sachant qu’au théâtre, c’est généralement en bonne compagnie) : camaraderie mais mauvaise pente, l’indulgence: un cadeau empoisonné !
Ce qui nous gêne ici: le théâtre est traité par le bas. Quand on monte sur une scène, y compris pour faire rire, ce doit être le signe d’une haute exigence. Mais le public a le droit, lui aussi, de découvrir la pièce de Tchekhov. Qu’est-ce qui fait un grand texte ? Que son interprétation soit sans fin, et qu’il parle successivement aux différentes générations. Nous n’avons pas besoin que des élèves-comédiens nous exposent en sous-texte ce qu’ils en ont retenu ! Les tourments de la jeunesse, nous les avons à la maison… Mais nous avons besoin de leur lecture, de leur interprétation, grandie, parce qu’ils auront eu à surmonter les difficultés de la pièce…
Bien sûr, Platonov parle à la jeunesse d’aujourd’hui. Bien sûr, on a le droit de couper largement dans les russitudes qui l’encombrent, pour aller droit au but, existentiel. Le public est intelligent, mais à condition, qu’on s’adresse à son intelligence et à sa sensibilité. La pièce en dit assez avec la brutalité et la clarté nécessaires, sur la domination masculine, et on n’a pas besoin d’un petit sermon adventice sur la question. Ces jeunes gens, doués et motivés, doivent faire le point sur leur désir de théâtre. Auraient-ils peur de l’ambition d’être un grand acteur, une grande actrice ? Sur cette voie-là, ils n’ont aucune chance de laisser des traces dans la mémoire du théâtre. Ce qui rend un texte accessible à tous, ce n’est pas la vulgarité mais la sincérité, la profondeur. On nous dira que ces jeunes commencent, qu’ils ont la vie devant eux pour devenir grands. Faux. Ils ont besoin de commencer haut, et non d’adapter les chefs-d’œuvre à la sauce quotidienne, et de les débiter à la vitesse des mentions obligatoires de la publicité radiophonique.
Deux proverbes, à méditer pour ceux qui entrent dans la carrière : «Au théâtre, on n’a pas d’excuses» et «Le devoir de tout artiste est de faire de l’art». Pas moins, s’il vous plaît. De même, Che Guevara disait: «Le devoir de tout révolutionnaire est de faire la révolution», ou encore, Simone Veil : «Travaillez, et ne soyez jamais modeste». Au sens d’une grande ambition, cela va de soi.
Christine Friedel
Présentations vues au Théâtre de l’Aquarium, Cartoucherie de Vincennes, les 27 et 28 juin.