Thyeste de Sénèque, mise en scène de Thomas Jolly

THYESTE

Photo Christophe Raynaud de Lage

Festival d’Avignon

Thyeste de Sénèque, traduction de Florence Dupont, mise en scène de Thomas Jolly

 C’est l’une des dix tragédies de Sénèque, le philosophe  (1er siècle après J. C.). Elle a pour thème, la violente rivalité entre Atrée, roi de Mycènes et son frère jumeau, Thyeste, petits-fils comme lui, de ce Tantale qui avait offert aux Dieux, son fils Pélops… Bref, la violence et le meurtre, et une histoire de famille et de société. Donc Atrée a décidé de se venger de son frère et mime une réconciliation avec, à la clé, un banquet un peu spécial. Il va tuer en effet ses trois neveux, puis se livre à un travail méthodique de boucher, et pour finir, lui sert à son insu la chair de ses enfants à dîner, soit en grillades soit en cocotte. Tout cela pour se venger cruellement: Thyeste avait séduit sa femme Europe et avait volé le Bélier d’or, symbole de la royauté. Joie d’accomplir un meurtre d’un côté, et profonde douleur et dégoût de l’autre, quand Thyeste apprend par un messager le crime accompli par son frère.

Cela commence par un assez banal cocuage, puis continue par un vol important parce que symbolique, puis par un infanticide et finit par la préparation d’un repas, façon cannibale! Cela fait beaucoup et cette série de crimes est si horrible qu’elle réussit à faire dévier le soleil de sa course et à causer de nombreuses victimes -on dirait aujourd’hui collatérales- qui en auront à subir les conséquences toute leur vie. Ce qui pose aussi la question des motivations profondes d’un homme capable d’une telle tragédie. Mais qui remet aussi en cause l’ordre humain, déjà si pénible à construire. Comme le rappelle Thomas Jolly, Sénèque dans De la Colère, l’écrivait avec une grande lucidité : «Nous sommes tous inconsidérés et imprévoyants, tous irrésolus, portés à la plainte, ambitieux. Pourquoi déguiser sous des termes adoucis, la plaie universelle? Nous sommes tous méchants. Oui, quoi, qu’on blâme chez autrui, chacun le retrouve en son propre cœur. (….) « La peste est chez tous. Soyons donc, entre nous, plus tolérants : mauvais, nous vivons parmi nos pareils. Une seule chose peut nous rendre la paix : c’est un traité d’indulgence mutuelle. »

En cinq actes mais assez courte (un peu plus de mille vers) avec prologue, chants du chœur, scènes  violentes entre protagonistes, récit du messager, la pièce s’inspire des tragédies grecques de Sophocle, Eschyle, Euripide qui ont traité ce même thème mais aussi d’auteurs latins, et que l’on retrouvera chez Shakespeare avec Titus Andronicus. Pour Thomas Jolly, cette tragédie est un attentat à l’humanité avec un réplique-clé tout à fait étonnante  : « Mets-toi bien dans l’esprit que faire du mal à son frère, Même si c’est un mauvais frère, c’est attenter à l’humanité. »

Photo Christophe Raynaud de Lage

Photo Christophe Raynaud de Lage

Cela dit, comment réactiver aujourd’hui ce conflit tragique qui est à la base de Thyeste, une pièce rarement jouée  et la créer sur un aussi grand plateau que celui de la Cour d’honneur ? Côté cour, un grosse tête humaine couchée sur le côté avec en haut, une sorte de balconnet en fer, et côté cour, une main gauche humaine avec l’index et le majeur levés. Soit sans doute, le symbole de la pensée et de l’action,  tout aussi nocifs d’un homme qui va se transformer en monstre. Cette scénographie, assez réussie sur le plan visuel mais pas très originale ( on l’a vue un peu partout)  et à part la verrue en ferraille au-dessus de la tête, elle ressemble à une sorte de sculpture qui sert finalement très peu.

Et la mise en scène ? Vraiment pas très fameuse, plus proche d’effets faciles, genre mauvais music-hall, avec lumières clignotantes, rayon vert traversant toute la Cour d’Honneur, couronnes des deux rois posées sur une autre rayon vert, vapeurs sortant du sol, projections de fragments de texte sur le grand mur du Palais- la manie actuelle- costumes et accessoires sans unité et assez laids. Et, du côté jeu et direction d’acteurs, cela ne vaut guère mieux: les acteurs criaillent sans arrêt sur fond musical et, comme le son est démesurément amplifié, on sature vite devant cette avalanche de signes qui parasitent un texte très noir, souvent passionnant mais qui aurait mérité un vrai travail sur l’interprétation. Et cette mise en scène, sèche comme un coup de trique, ne dégage pas la moindre émotion…Mais peut-être est-ce la volonté de Thomas Jolly?

Seule, Lamya Regragui, dans le rôle du Messager, simple et efficace, arrive à nous convaincre. Le spectacle dure deux heures et demi! Et c’est terriblement ennuyeux ! Alors que le texte, souvent d’une violence et d’une beauté virulentes,  vaut mieux que cette mise en scène approximative et qui a dû coûter fort cher. Dès les premières minutes, on a bien senti que les choses n’allaient pas fonctionner surtout sur cet immense plateau: jouer dans la Cour d’Honneur est un cadeau que tout metteur en scène rêve un jour de recevoir pour son petit Noël, mais… elle ne fait justement aucun cadeau!

 Cette Cour d’Honneur (qui en a vu d’autres) et le festival s’en remettront ! Mais pour le spectacle d’ouverture, on aurait aimé voir autre chose de plus solide! Le public, assez âgé comme d’habitude, sommeillait un peu ou regardait son portable comme ce metteur en scène bien connu qui, lui, écoutait ses messages avec une oreillette. (Il faut bien s’occuper !) Mais peu de gens se sont enfuis. Les inconditionnels de Thomas Jolly ont applaudi, les autres peu, et pas longtemps. Que sauver de ce pauvre ovni ? Quelques belles images mais quand on a des moyens aussi considérables, c’est disons, le minimum syndical… Comme celle de la scène où les frères ennemis sont chacun à un bout d’un belle et très longue table du festin nappée de blanc (on l’a vue un peu partout mais cela fait toujours plaisir, et merci au passage à Tadeusz Kantor qui en eut l’idée, il y a … quelque quarante ans!). Il y a aussi la disparition de la course du soleil avec l’obscurité totale dans la Cour : impressionnant.

Photo Christophe Raynaud de Lage

Photo Christophe Raynaud de Lage

Tout comme la chorale d’enfants à la fin… Mais ces quelques rares moments ne font pas un spectacle réussi et on est beaucoup trop loin du compte. Thomas Jolly est un jeune metteur en scène doué, et il l’a prouvé avec ses Shakespeare. Mais là, il s’est vraiment planté, et on ne vous conseille pas d’y aller voir, que ce soit maintenant, ou en novembre dans une salle… Vous pourrez en regarder quelques minutes le 10 juillet sur France 2 : cela vous suffira amplement pour constater les dégâts… En tout cas ici, on a la nette impression que le metteur en scène s’est surtout fait plaisir, et cela donne une image de marque assez branchouille du festival. Dommage!

Philippe du Vignal

Cour d’Honneur du Palais de papes, Avignon, les 7, 8, 9, 10, 12, 13, 14 et 15 juillet à 21h 30. Diffusion en direct sur France 2 le 10 juillet.

Tournée en France.

 

 


2 commentaires

  1. Merci de votre message;j’admire votre persévérance!
    Etvotre jugement,rassurez-vous, est partagé par de nombreux spectateurs et téléspectateurs, qui m’ont dit ne pas avoir une très haute opinion de ce cette chose assez prétentieuse, et encore une fois produit par un ami d’Olivier Py!Le soir de la première, le public pas très jeune s’ennuyait sec et les applaudissements nont pas été généreux.
    Ma chère consœur que je connais depuis plus de trente an et qui a « découvert » Thomas Jolly, ne peut donc qu’être évidemment ravie de ce que produit ce jeune metteur en scène dont elle a une haute opinion.Mes collaborateurs du Théâtre du Blog ne sont guère enthousiaste,et personnellement, vous l’aurez compris,je ne suis pas du tout d’accord avec elle…
    Le spectacle a sans doute un peu évolué mais a dû garder ses graves défauts de dramaturgie, comme de scénographie, mise en scène et direction d’acteurs.
    Dommage, je suis passé par Millau une semaine après avoir vu ce Thyeste, on aurait pu prendre un café, et en parler de vive voix, si vous étiez là. Au plaisir de vous rencontrer à Millau ou à Pari quand vous y monterez: faites moi-signe.
    cordialement

    Philippe du Vignal

    cordialement

    Philippe du Vignal

  2. Lavabre dit :

    Votre critique me rassure quant à mon ressenti, même si je n’ai pu voir « Thyeste » qu’à la télé. Les critiques sont tellement enthousiastes (cf celles du Masque et la Plume du 15 07) que je me pose bien des questions sur ma difficulté à suivre jusqu’au bout un spectacle que la critique encense.Le soir de la diffusion en différé, j’ai dû m’endormir et n’ai vu que la fin de Thyeste (Le banquet), j’ai donc repris plus tard en replay le visionnage et n’ai pu aller jusqu’au bout. J’ai persévéré en 3 étapes pour arriver au bout, avec toujours le même malaise.
    Que Thomas Jolly s’apparente à Jean Vilar et au Théâtre Populaire me dérange, où est « le peuple » dans la Cour d’Honneur ?
    Pour me situer, je suis présidente des ATP de Millau, et nous sommes fédérés à la FATP.
    Je ne connaissais pas Théâtre du blog, un ami à qui je faisais part de mon ressenti sur Thyeste me l’a conseillé.
    Merci pour votre engagement pour que le théâtre reste vivant. Bel été.
    Claudette Lavabre présidente de l’ASSA-ATP de Millau (12)

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