Joueurs, Mao II, Les Noms, d’après Don DeLillo, adaptation et mise en scène de Julien Gosselin
Festival d’Avignon
Joueurs, Mao II, Les Noms, d’après Don DeLillo, traduction de Mariane Véron et Adélaïde Pralon, adaptation et mise en scène de Julien Gosselin
Julien Gosselin, souhaitant prospecter dans la caverne des littératures contemporaines, se penche sur une lecture croisée d’œuvres de Don DeLillo : Joueurs, Mao II, Les Noms, un matériau qui lui permet de tisser une étoffe dont la trame suit les motifs de la violence politique et sociale des années 1970 à 90.
Rapports de pouvoir entre les forces sociales d’un libéralisme décomplexé, surgissements terroristes : le spectacle évoque l’utopie généralisée de cette époque. Mais l’artisan adaptateur et metteur en scène a aussi des perspectives éthiques et esthétiques qui lui sont chères: variations des écritures, sous-textes, pouvoir des mots, et rapport inexorable de notre modernité au Temps.
Faire à la fois fiction et événement d’œuvres énigmatiques dans un monde éclaté où les flux d’informations alternent avec le temps suspendu. Les durées de la fiction et du réel se croisent ici : violence et terrorisme d’un côté, écriture et mise en scène de l’autre. Slogans, manifestes, paroles politiques fortes, et violence du langage (Les Noms), la discontinuité fait école, inspirée aussi par Jean-Luc Godard dont Don DeLillo s’est inspiré lui-même pour Joueurs. Comme, ici rejouée, cette scène du train de La Chinoise du cinéaste
Des bribes de texte apparaissent sur l’écran que le public lit rapidement: des citations de littérature contemporaine qui s’ajoutent à l’abondance des images, comme ces extraits de documentaires de la secte Moon, entre autres, qui soumet les gens par les mots ; une marche dans un sous-bois nocturne, un fouillis sylvestre qui cache un prisonnier. Ainsi, sur le plateau des projections de films mais peu de théâtre, et trois musiciens. Fractionnements et étirement du temps: fiction et quotidien avec une dramaturgie brisée, non linéaire. Ici, peu de jeu scénique et beaucoup de soumission au pouvoir et à la présence de la caméra. Le public ne voit pas directement- un mur les sépare- les acteurs qui compensent le peu de présence effective (projetée sur trois écrans avec des images en direct), en proférant leur texte- messagères et messagers en colère de la modernité- avec force sur fond musical et sonore appuyé.
Les visages filmés de près de personnages fermés à eux-mêmes. Des scènes d’intérieur intimistes dans un bureau, un appartement… entre collègues de travail et partenaires sexuels, hétéros et homos. Images d’attentats, trame de polars et fumigènes pour signifier et souligner la confusion des cœurs et des esprits.
Le mur tombe, une partie du spectacle est l’expérience d’un cinéma en direct: coupé de la salle, le plateau tient alors d’un studio, et on discerne au loin sur la scène, que cachent un peu à la vue d’immenses rideaux et des vitres transparentes, les comédiens furtifs suivis de leur cadreur. Don DeLillo a le mérite de poser les questions géopolitiques de notre temps et de s’intéresser au monde alentour, hors les Etats-unis, Athènes, Londres, Beyrouth… traduisant le mal-être d’individus en souffrance: sentiment de solitude, angoisse existentielle, insatisfaction foncière, et sentiment amer d’avoir manqué à soi et à sa vérité, à l’intérieur d’un temps qui vous échappe.
Avec cette création, Julien Gosselin offre à son public un nouvel épisode du rapport convivial qu’il a noué avec son collectif depuis quelque dix ans. Avantages et inconvénients : le groupe donne l’impression de se clôturer sur lui-même. Quand bien même, est présent pour la seconde fois, Frédéric Leidgens qui apporte le poids d’une d’expérience de théâtre et d’une existence vécue pleinement.
Les jeunes et beaux et acteurs, enjoués et impliqués, ne peuvent exprimer dans leur pleine mesure, les épreuves sinueuses des jours qui passent: il leur manque les indispensables repères intergénérationnels qui pourraient jouer sur les aléas de la vie et des temps divers dans un même présent, ici et là. On a l’impression d’assister avec ces moments festifs répétés, au bruit et à la fureur d’un univers de jeunes en goguette, celui de séries télévisées avec alcool et tabac surabondants: oubli de soi et des autres, au profit de jouissances minimales…
Véronique Hotte
La Fabrica, les 9, 11, 12 et 13 juillet.
Le Phénix, Scène nationale de Valenciennes, les 6 et 7 octobre. Théâtre du Nord, Lille, du 14 au 20 octobre.
Odéon-Théâtre de l’Europe, Festival d’automne à Paris, du 17 novembre au 22 décembre.