Pur Présent, texte et mise en scène d’Olivier Py, d’après une idée de Pierre-André Weitz
©Christophe Raynaud de Lage
Depuis dix ans, les tragédies d’Eschyle montées par Olivier Py, metteur en scène de théâtre et d’opéra, directeur du Festival d’Avignon, prennent vie selon une scénographie économique et un rapport de proximité aux spectateurs. Ici, Eschyle, avec Les Suppliantes , éclaire la situation des femmes et des migrants, et avec Les Sept contre Thèbes, le rapport entre la guerre et les médias et enfin avec Les Perses, le devoir de mémoire.
L’esthétique de Pur Présent avec trois pièces, La Prison, L’Argent, Le Masque, procède de l’expérience pratique des tragédies d’Eschyle données dans un théâtre, collège, lycée, prison… mais aussi des ateliers menés par le dramaturge au Centre pénitentiaire d’Avignon-Le Pontet. Trois acteurs pour neuf personnages dans La Prison, L’Argent, Le Masque. Avec chacun, leur trio, que l’acteur soit personnage ou chœur. Le dépouillement -fond et forme- est ici de bon aloi, puisque le spectacle se donne dans un nouveau lieu avignonnais La Scierie, dans un esprit de partage.
Un esprit tonique de théâtre de tréteaux, avec saltimbanques et joutes verbales à vue. Sur un ring, en rapport tri-frontal avec le public, se tiennent les personnages principaux. Mais aussi dans les couloirs attenant aux quatre côtés, où le personnage du chœur chemine, commentant l’action… Humour, réflexions personnelles et questionnements métaphysiques : les argumentations se succèdent, et sont ici patiemment pesés le pour et le contre des enjeux. Et le chœur n’hésite pas à se hisser sur le ring pour rejoindre tel solo ou duo.
Avec verve et dynamique corporelle, Dali Benssalah joue le chœur ou le compagnon de prison du « roi » dans La prison ; celui du secrétaire du directeur dans L’argent et du salarié rebelle dans Le Masque. Nazim Boudjenah, de la Comédie-Française, incarne avec morgue, plaisir et cynisme, le rôle du chef, du maître, du patron, du truand à la Jean Genet. Il conserve la dimension de figure paternelle dans L’Argent, où il joue un responsable des finances pris à partie par son propre fils qui veut l’éliminer sans l’oser vraiment.
Joseph Fourez incarne d’abord l’aumônier de prison, un fils de bourgeois, dans la première pièce, l’autre fils du directeur de banque dans la seconde, et enfin le provocateur et partenaire de joutes verbales du Révolutionnaire dans la troisième. De quoi est-il question? De l’amertume et du délitement d’une société en faillite: consommation à volonté pour certains et injustice grandissante pour tous les autres qui n’ont pas accès aux jouissances proposées et inventées sournoisement. Mais sont aussi évoqués les rapports de pouvoir et domination des hommes et leurs egos mais aussi l’amour… toujours.
Pourquoi tant d’ habitants des « quartiers » dans les prisons surpeuplées ? L’aumônier en recherche d’âme, se sent abandonné devant l’horreur économique et sociale. Moqué et ridiculisé par le roi des prisonniers.Les acteurs s’invectivent et se provoquent physiquement : qui, le chat et qui, la souris. Après la prose poétique énoncée, liée à un beau mysticisme – l’abîme et les étoiles, la vérité et la beauté, tendance Victor Hugo et Jean Genet, viennent les coups corporels. Les armes présentes ne visent pas l’ennemi comme ce père avide de gains, et ciblé par le fils impuissant qui voudrait le mettre à mal mais elles se retournent contre leur détenteur.
Les masques, des cagoules masculines qui pourraient être des voiles féminins, révèlent aux passants comme aux collègues, ceux qu’on ne voit pas. Inégalités, injustices, enrichissements de certains et appauvrissement des autres: comment les êtres sauvegardent-ils leur dignité en ignorant leurs responsabilités ? Où sont alors l’éthique et les valeurs humanistes existentielles… qui vont alors à vau-l’eau.
Olivier Py, à la fois par son écriture, sa mise en scène et sa direction d’acteurs, convainc d’autant plus qu’il se penche avec tact sur les relations humaines malmenées. Ses acteurs réactifs, tendus et à l’écoute, partagent l’espace avec le public .Et au piano, Guilhem Fabre, attentif au temps scénique, joue Liszt, Ravel, Prokofiev, Rachmaninov, Ligeti, Schumann, Beethoven…
Véronique Hotte
La Scierie, Avignon, jusqu’au 22 juillet.