Bohème, notre jeunesse, d’après Giacomo Puccini, direction d’Alexandra Cravero, mise en scène de Pauline Bureau

BOHÈME, NOTRE JEUNESSE

Bohème, notre jeunesse, d’après Giacomo Puccini, adaptation musicale de Marc-Olivier Dupin,  direction d’Alexandra Cravero, mise en scène de Pauline Bureau

Le chef-d’œuvre de Giacomo Puccini (1858-1924) fut créé à Turin en 1896, sur un livret de Giuseppe Giacosa et Luigi Illica, d’après Scènes de la vie de bohème du romancier français Henry Murger (1822-1861). Il nous revient, rajeuni et dépoussiéré par Pauline Bureau et Marc-Olivier Dupin, à l’Opéra-Comique où il triompha dès 1898 et où il resta à l’affiche… jusqu’en 1971.

 Du livret, retraduit, Pauline Bureau a gardé quatre tableaux avec les scènes-clefs, et s’est focalisée sur les personnages principaux. Débarrassée du chœur et de séquences anecdotiques, l’œuvre nous fait ainsi accéder directement aux « tubes » de la partition, sous la direction énergique d’Alexandra Cravero. Rares sont les femmes-chefs,  et l’orchestre Les Frivolités Parisiennes excelle sous sa baguette.

Nous sommes dans le Paris de la Belle-Époque, en décembre 1889. Aux travaux entrepris par le baron Haussmann  font suite ceux de  l’Exposition Universelle, avec, entre autres, l’édification de la Tour Eiffel… La poussière nappe les rues, comme l’écrit Mimi à sa mère, à la lueur d’une chandelle dans sa petite chambre. La jeune cousette rêvasse derrière sa fenêtre nimbée de lumière. A l’étage au-dessus, le poète Rodolphe et ses amis: le peintre Marcel, le philosophe Colline et le musicien  Schaunard maudissent  la rigueur hivernale, et brûlent meubles et manuscrits pour se réchauffer. Mimi vient rallumer sa bougie éteinte à la flamme de Rodolphe, et c’est le coup de foudre. «On m’appelle Mimi,  je vis toute seule dans une petite chambre blanche», chante-t-elle dans la célèbre aria. « Oh ! Douce fille», lui répond-t-il, avec sa voix de ténor, en entonnant le fameux duo amoureux où ils se jurent fidélité…

Une fidélité inconnue de Musette, la maîtresse de Marcel. Chanteuse éprise de liberté, elle le fait tourner en bourrique. Dans les rues enneigées, on suit les deux couples et leurs amis. Une vie de bohème pour ces artistes sans le sou. Ils ont vingt ans, leurs cœurs s’enflamment ou se déchirent : ils s’aiment, se séparent, se retrouvent. Le froid qui règne dans la ville, a raison des amants désunis : la maladie rattrape Mimi, qui, un soir où les garçons font bombance, vient mourir, dans les bras de Rodolphe…

 Pour figurer Paris avec, en toile de fond,  ses vieilles bâtisses, ses ruelles tortueuses et la Tour Eiffel en chantier, Emmanuelle Roy a imaginé une structure métallique mobile où s’appuient des plateformes flanquées d’escaliers. Avec des images projetées, pour figurer les lieux des différents tableaux: devanture de café, façades d’immeubles… Cette structure mise à nu accueillera la dernière scène : la mort de Mimi.

 Ces rapides changements de perspective, sous les lumières délicates de Bruno  Briand, contribuent à ramener le spectacle à une heure trente sans entracte,  en évitant ainsi  les longueurs de la pièce.  Et il y a une belle unité de jeu et une grande qualité de voix chez Sandrine Buendia (Mimi), Kevin Amiel (Rodolphe), Marie-Eve Munger (Musette), Jean-Christophe Lanièce (Marcel), Nicolas Legoux (Colline) et Ronan Debois  (Schaunard). Et pour une fois, ces chanteurs, pour la plupart membres de la Nouvelle Troupe de la salle Favart, ont l’âge de leur rôle!

 L’Opéra-Comique entend, avec cette création confiée à Pauline Bureau, «rajeunir l’image de l’opéra et en démocratiser l’accès». Avec cette version abrégée, qui ne nécessite ni fosse d’orchestre ni cintres, l’équipe, presque exclusivement féminine, espère rencontrer des publics éloignés de l’opéra, en s’associant à des structures et à plusieurs lycées d’Ile-de-France.

Pari gagné en tout cas ce soir-là… Cette mise en scène a emporté l’adhésion du public, séduit par l’intelligence de la réalisation, la vigueur de l’orchestration et une esthétique qui, pour être simple, ne manque pas de magie, avec une rare maîtrise du décor en vidéo. En choisissant une œuvre qui parle aux jeunes, et en retendant le fil dramatique au plus près des personnages, la metteuse en scène a évité de montrer les larmoiements d’un romantisme désuet et a fait la part belle aux passions de la jeunesse et à la lutte pour survivre dans des conditions économiques difficiles, tout en gardant foi en sa volonté de création. Espérons que cette expérience se poursuivra à l’Opéra-Comique, et fera école…

 Mireille Davidovici

 Du 9 au 17 juillet, Opéra-Comique, 1 Place Boieldieu, Paris II ème  T.: 01 70 23 01 00.

Les 16 et 17 avril, Théâtre Jean Vilar, Suresnes (Hauts-de-Seine). T. : 01 46 97 98 10. Les 16 et 17 mai, Théâtre Montansier, Versailles (Yvelines). T.:  01 39 20 16 00.

 


Archive pour 13 juillet, 2018

Fake de Marylin Mattei et Le Préjugé vaincu de Marivaux, mise en scène de Marie Normand

 

Les Préjugés: Fake de Marilyn Mattei et Le Préjugé vaincu de Marivaux, mise en scène de Marie Normand

Crédit photo : Emmanuel Ciepka

Crédit photo : Emmanuel Ciepka

 Avec quatre jeunes acteurs motivés  et un plus âgé qui supervise les choses, tous heureux d’en découdre à la fois avec un texte contemporain d’une jeune auteure de trente-trois ans mais aussi avec une comédie de Marivaux dans une belle mise en scène…

Facéties de la jeunesse et de la maturité, malices, clins d’œil à vol jetés au public et plaisir fanfaron pour les interprètes enclins à s’amuser et à se moquer, en provoquant librement le personnage sur lequel tel autre a jeté son dévolu, sans se l’avouer lui-même clairement,  et dans la langue exigeante de Marivaux.

 Le Préjugé vaincu (1746) est une pièce en un acte fondée sur un préjugé de naissance, élément neuf de critique sociale dans le théâtre de l’époque. Angélique, fille du Marquis, aime Dorante, un bourgeois fortuné qui l’aime aussi. Mais elle, ne veut pas d’une mésalliance avec quelqu’un d’une autre classe. Elle se confie à sa suivante Angélique qui mène la danse  un patois de campagne, celui de Saint-Ouen et Montmorency au XVIII ème siècle. Fille d’un simple procureur fiscal et amante consentante de L’Epine, le valet coquin de Dorante,  elle ne veut pas non plus déroger à sa condition, même modeste.

 Calculateur, Dorante propose à Angélique de rencontrer un ami bourgeois: un beau parti dont elle se détourne, et quand il lui avoue être ce prétendant, la demoiselle le refuse, s’opposant aussi à ce qu’il demande la main de sa sœur. Et l’orgueil cédera enfin devant l’amour, ce qu’avait bien prédit le Marquis clairvoyant.

Trois siècles plus tard, Fake revient sur les mêmes préjugés cette fois non plus de classe mais de reconnaissance entre jeunes gens, ce qui entrave aussi l’éclosion, comme l’accomplissement, du désir amoureux. Théo, Hector, Léna et Mina ont seize ans et éprouvent des difficultés à trouver leurs marques sur cette terre inconnue des adultes qu’ils ne tarderont pas à être. De nouvelles relations sociales et affectives s’imposent, dont les règles ne sont pas évidentes. Et ils n’échappent pas à la question existentielle. Entre ce qu’ils sont, ce qu’ils aimeraient être, l’image qu’ils donnent d’eux, et celle que les autres reçoivent, se déroule un drôle de jeu de rôles, où se mêlent réalités et apparences, désirs et rejets, amours et regrets. Avec, en filigrane, des préjugés réels et projetés qui peuvent mener jusqu’aux drames intimes.

Ces adolescents d’aujourd’hui catégorisent, «postent» et «affichent» avec une grande aisance, «likent»…. ou pas. Mais ils répandent parfois des rumeurs qui, comme une traînée de feu, avec photos et documents-miracles à l’appui, font un travail souterrain d’exclusion très efficace ! Ainsi, on n’ose plus aimer telle jeune fille «affichée » par tous, pour telle ou telle raison honteuse… absolument inventée. Une autre jeune fille est considérée à tort comme inexistante, alors que les garçons en pincent pour elle, justement à cause de cette étrangeté!.

 Ici, cette pièce contemporaine  es jouée avant celle de Marivaux, comme pour aiguiser l’appétit. Mais le public apprécie beaucoup ce premier plat. Mêmes barrières et obstacles, même fausses idées que l’on se fait aveuglément de la vie, des êtres et des jours qui passent, sans aller plus avant. Leçon pertinente! Et Ulysse Barbry, Bruno Dubois, Martin Lenzoni, Clotilde Maurin et Apolline Roy font passer un bon moment au public. Et Sarah Dupont a imaginé- ce qui ajoute au plaisir théâtral- une salle de classe avec parois et portes vitrées où tous les personnages sont vus ou pas, puis cachés et enfin trouvés. Et les acteurs dansent, leurs corps jubilent, mais ils savent aussi donner à la langue savante et sinueuse de Marivaux tout le goût acidulé qu’on en attend. Vous avez dit théâtre ? Oui, du théâtre bien vivant qui se donne sans réserve comme tel.

 Véronique Hotte

La Caserne des Pompiers, 116 rue de la Carreterie, Avignon jusqu’au 23 juillet, à 17h15. T. : 04 90 01 90 28. 

Trentième anniversaire du festival Arte Flamenco de Mont-de-Marsan

Trentième anniversaire du festival Arte Flamenco de Mont-de-Marsan

69E3329E-725F-461A-BEE0-82B998159F37A l’âge d’une plénitude accomplie, ce festival est  toujours tourné vers l’avenir: né à l’instigation d’Antonia Emmanuelli, aficionada du flamenco, il s’est, dès sa première édition en 1988, donné comme enjeu, de faire partager sa passion à un public de connaisseurs comme de néophytes. Cette musique traditionnelle, trop souvent galvaudée ou dévoyée, méritait d’être mieux connue, comme l’Andalousie d’où elle est issue, et, plus particulièrement, le peuple gitan, son interprète privilégié, capable de transcender un vécu, souvent difficile, pour trouver dans des formes musicales mais en les sublimant, le mode d’expression privilégié de ses peines et de ses joies : «Digo mis penas cantando, porque cantar es llorar»: «Je raconte mes peines en chantant, car chanter, c’est pleurer »…

« Au départ, il y a la souffrance des peuples (les gitans savent les difficultés d’une vie de paria…) Et cette tragédie, vécue au quotidien, nourrit  un art incomparable, disait Antonia Emmanuelli, en 2006,  dans un texte repris dans la plaquette : Arte Flamenco, trente ans de ferveur. Et Mont-de-Marsan s’est en effet laissée happer par le flamenco, chaque année pendant la première semaine de juillet, mais le festival déborde largement en deçà et au-delà de cette période. Ont commencé à affluer les artistes les plus célèbres, d’autres moins connus, des aficionados, ou des amateurs, et un public fidèle, toujours plus nombreux, venu partager pendant quelques jours cette  «esta forma de vivir», cette façon de vivre du flamenco :  bouger, parler, respirer et laisser battre son cœur  selon le compás (rythme).

Les places, bars, restaurants et boutiques vivent à l’heure du  flamenco, Et des films sont présentés dans les cinémas, des expositions de photos ou d’affiches ont lieu dans les musées ou les librairies, et des conférences données un peu partout. Le Village du festival,  place Saint-Roch, vend photos,  costumes,  chaussures, bijoux et accessoires du parfait flamenco. Un stand de librairie propose aussi toute une littérature autour de cette musique et de l’Andalousie. Et chaque matin, des conférences de presse sont données par les artistes qui se produisent le soir-même. Et il y a, enregistrées en direct, des émissions de radio régionales ou nationales.

De nombreuses actions de sensibilisation et  d’animation s’adressent aussi bien aux enfants des écoles, et de l’Institut médico-éducatif, à des crèches mais aussi aux résidents de l’EHPAD ou de l’Hôpital psychiatrique… De nombreux stages ou ateliers constituent une des activités les plus importantes du festival, dispensés par des spécialistes andalous et s’adressent à des participants: débutants, avancés, mais aussi à des artistes confirmés. Et ils concernent toutes les disciplines: baile (danse), guitare, cajon (percussion), compás,  palmas (battements de mains) et cante (chant). Et il y a même un stage pour apprendre à photographier le flamenco… Ces cours, très fréquentés, sont essentiels pour sensibiliser les gens à cet art complexe et aussi, dans une grande mesure, savant.

Le spectacle d’ouverture-important- nécessitait des conditions techniques particulières et a donc eu lieu à l’Espace François Mitterrand. Les autres sont donnés au Cafe Cantante, spécialement aménagé, qui reproduit, en plus grand, les conditions des cafes cantantes andalous ou madrilènes. Créés  au milieu du XIX ème siècle, à un moment  où le flamenco est passé de la sphère familiale ou privée, à une audience plus élargie et publique. Ses chanteurs, danseurs, et guitaristes sont alors devenus professionnels et le flamenco a commencé à se structurer. Et dans ce Cafe Cantante, ont sans doute lieu les soirées les plus mémorables, dans une proximité et un vrai partage.

Nous n’avons pu assister à tous les spectacles et concerts, à cause d’un retard de train de six heures, dû d’un arbre tombé sur la voie ! Bravo à la SNCF, incapable  de résoudre rapidement le problème! Mais il y eut deux moments de grâce absolue, avec Memoria de Los Sentido (Mémoire des Sens), un concert de Vicente Amigo et son sextet,  avec,  à la guitare, Vicente Amigo, et Añil Fernàndez; à la basse, Ewen Vernal; chant : Rafael de Utrera; cajon: Paquito Gonzalez  et danse: El Choro.

Vicente Amigo, prodigieux instrumentiste, du niveau du célèbre Paco de Lucia, a été précoce et surdoué, et il y a maintenant longtemps qu’il trace son chemin. Ces dernières années, il avait vagabondé vers d’autres directions musicales (fusion, jazz…)  ,déconcertant parfois ses fidèles… Serait-ce l’entrée vers la maturité (il a dépassé la cinquantaine et paraît toujours aussi  jeune), mais ce concert est une sorte de retour aux sources d’un flamenco auquel il fut initié presque enfant. Un flamenco qui ne recherche pas les effets, qui ne veut rien démontrer mais tient d’une  confidence…Quand il joue en solo, sa guitare est tout en contrastes subtils, allant de la douceur la plus délicate, à une force qui peut frôler la violence, passant de l’incandescence, à une grâce proche de la rêverie. Ses partenaires et lui sont à la mesure de cette quête : aucune surenchère sonore, mais un bonheur évident de participer à une œuvre exceptionnelle, de partager ce miracle entre eux, et pour nous. Ce concert s’acheva par un immense triomphe et trois rappels… qui auraient pu être plus nombreux, s’il ne leur avait fallu céder la place à un autre groupe d’artistes !

Autre moment-phare: Paseo a dos  (Promenade à deux)  avec Dorantes au piano et Renaud  Garcia-Fons, à la contrebasse. Là aussi, un concert absolument admirable. Avec des qualités musicales hors du commun, comme leurs capacités d’écoute et d’attention. Eux aussi témoignent du plaisir, de la joie d’être ensemble, dans une osmose parfaite, au service de la musique qu’ils aiment. De ce partage, qui va bien au-delà d’une simple complicité, jaillit l’harmonie la plus parfaite, si loin, là encore, du fracas que nous imposent quelquefois certains praticiens du flamenco.  Car, même si les instruments sont ici moins traditionnels, il s’agit bien du même art, interprété avec une rare exigence. Quand il atteint de tels sommets, il n’a rien à envier aux musiques les plus prestigieuses. Ce concert, précédé d’un entretien avec ces artistes, a été enregistré et retransmis en direct sur France-Musique.

Vicente Amigo et ses musiciens, puis Dorantes et Renaud Garcia-Fons ont offert au festival de Mont-de-Marsan, un somptueux cadeau d’anniversaire, grâce à leur ferveur musicale, si généreusement partagée avec un public enthousiaste, à la mesure de ces deux événements exceptionnels.

Chantal Maria Albertini

Le Festival Arte Flamenco a lieu  à Mont-de-Marsan (Landes) du du 2 au 7 juillet.

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