Plus grand que toi, texte et mise en scène de Nathalie Fillion

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Plus grand que toi,  texte et mise en scène de Nathalie Fillion

Un sorte de portrait,  celui d’une jeune femme qui se demande pendant une petite heure ce qu’elle peut avoir d’unique… Ce «solo anatomique», pour une actrice d’un mètre quatre-vingt-un, dit Nathalie Fillion, a été conçu et écrit pour Manon Kneusé. Son personnage, une jeune femme, Cassandre Archambault, intarissable, parle sans cesse d’elle mais aussi des autres sur son petit vélo d’appartement : de ses parents, de ses amants et amis, et cette parole ainsi libérée a quelque chose d’un exorcisme fascinant. « La seule chose que je sais dans mon rêve, c’est que j’ai onze kilomètres à faire et que, si je ne les fais pas, quelque que chose de terrible arrivera, à ces gens et à moi, je ne sais pas quoi exactement, je sais juste qu’il ne faut pas que ça arrive, que je suis liée à ces gens, qu’ils sont liés à moi, je ne sais pas comment ni pourquoi, juste que si je ne pédale pas assez, quelque chose de terrible nous arrivera. Alors chaque nuit, je pédale, je pédale, quoi qu’il arrive, je pédale. »

 Elle répètera une trentaine de fois dans une sorte d’incantation personnelle, ses prénom et nom, comme pour mieux se persuader de son identité … Et, en pédalant sur son petit vélo, elle essaye de  se définir et de se connaître dans son rapport aux autres et au monde. Et quand elle s’arrête, immobile et debout,  seule, très seule, entièrement nue, elle prend les mesures de son corps avec un feutre : «Je m’appelle Cassandre Archambault. Je fais un mètre quatre-vingt un et j’ai le pied égyptien. Si j’additionne la longueur de tous mes doigts, de pieds et de mains, j’obtiens le nombre cent-trois. Cent-trois centimètres. C’est dingue. Un mètre trois. Un mètre trois de doigts. C’est dingue. C’est énorme. Tout ça n’a aucun sens. Mais j’ai découvert au centre de moi-même, une mesure parfaite. Un triangle équilatéral de vingt centimètres cinq de côté. Ici, entre mes deux pointes de seins, vingt centimètres cinq. De mon nombril à la pointe de chaque sein, vingt centimètres cinq. Qu’est-ce que ça signifie ? Qu’est-ce que je vais faire de ça ? Un triangle équilatéral au centre de moi-même. Une mesure parfaite ».

La mesure, une obsession chez elle qui peut tourner au délire: « Je m’appelle Cassandre Archambault. Je suis née le 13 mai 1986, Paris XIème. J’ai des chromosomes de fille mais j’ai pas envie qu’on me fasse chier. Je vais m’organiser. Si je ferme mon poing comme ça et que j’enroule autour la base de ma chaussette, j’obtiens la taille de mon pied : vingt-quatre centimètres cinq. Donc. Si je mesure ma plante de pieds, j’obtiens la circonférence de mon poing. Vingt-quatre centimètres cinq. Vingt-quatre centimètres cinq c’est la largeur exacte de mon front d’une tempe à l’autre. D’une tempe à l’autre. Vingt-quatre centimètres cinq. Ça j’aime bien. La cohérence de mes extrémités. Ça me donne une vague idée de mes potentialités. »

On pense à Orlan qui, dans les années soixante-dix, mesurait avec son corps, un monument historique, ou à Tadeusz Kantor, dont certains personnages avaient toujours un mètre à la main. On est ici encore ici sur une scène mais tout près des arts plastiques et d’une performance aussi bien physique que mentale, comme on en voit dans les centres d’art contemporain. Il y a heureusement un ventilateur devant le petit vélo : par plus de 30° à l’ombre, cela vaut mieux pour l’actrice, d’autant que cette performance dure un peu plus d’une heure.

Dans ce voyage, elle a -brillantissime- un langage oral et gestuel d’une fabuleuse qualité; elle évoque avec énergie et avec une grande exigence (mais très simplement) cette Cassandre Archambaut, qui parle pour mieux se reconstruire, de ses joies et de ses doutes, dans une sorte de voyage intérieur. De ceux que l’on fait quand on s’endort, où tout se mélange, le passé et le présent, le rêve et le réel, l’ici et l’ailleurs. Comme dans un essai pour vivre au moins mal, une époque dure ou qui, du moins, nous paraît dure : celle où l’extrême droite n’en finit pas de passer le bout de son nez menteur à la Pinocchio, celle des twits permanents de Donald Trump, de la guerre en Syrie,  et des réfugiés et migrants… Il y a dans ce texte comme de la nostalgie dans l’air, celle d’une époque où l’on communiquait moins vite mais peut-être mieux, et où, en tout cas, on prenait le temps d’écrire et de parler.

Manon  Kneusé, bien dirigée, nous fait partager une heure durant la solitude mais aussi toute la sensibilité et l’intelligence de cette Cassandre Archambault qu’on a l’impression de connaître. Elle parle ainsi de sa conception un été quand ses parents étaient en Grèce : «Cassandre. Une idée de mes parents, pour rire, en hommage à la crique, un clin d’œil à l’été. Imparfait. C’était à la fin du siècle passé. La Grèce était un pays bleu et blanc. Mes parents, jeunes, beaux, insouciants, avaient pris un vol charter Paris-Athènes, portant dans leurs bagages en cabine des flacons de plus cent-cinquante centilitres, des bombes aérosol, des épingles à nourrice, plein de ciseaux à ongles et de couteaux suisses, un harpon gros calibre pour chasser le mérou, et ils passaient tout ça, tranquilles. »  (…) « L’avion charter décollait avec six heures de retard, le pas cher avait un prix : le temps. On était patients. On ne comptait pas les heures, on n’avait pas de réseau, pas de téléphone intelligent. Tellement bien déconnectés, qu’on ne savait même pas qu’on l’était. »

Elle parle de Paris et de tous les ailleurs qu’elle a connus, de ce qui la relie aux autres mais aussi du Temps : son passé personnel, et le futur, et on n’est alors pas loin d’une quête existentielle: «Je m’appelle Cassandre Archambault, je fais un mètre quatre-vingt-un. Est-ce qu’un jour, j’aurai une touffe blanche, là ? Voir ce que deviennent mes poils pubiens, j’aimerais bien. Et mon triangle équilatéral, qu’est-ce qu’il deviendra ? J’aimerais bien voir ça. Avoir le temps de ça.

Et cela va parfois jusqu’au délire : « Je vais lever une armée. Je vais conquérir la terre. Je vais déclarer la paix. Je vais être la première. La première femme impérialiste. La première femme expansionniste. (… )  Je m’appelle Cassandre Archambault, je vais me coucher. Et y’ a pas intérêt à me réveiller, derrière moi, y’a une armée. »

 On ne peut tout citer mais, si vous êtes en ce moment en Avignon, ne ratez pas ce spectacle : sans aucun doute un des meilleurs solos de cette année, à la fois par la qualité d’un texte poétique, et servi par une comédienne exceptionnelle. Vue juste après ce bavard et médiocre Ovni(s) dan le in, cette performance fait un bien fou! On se dit, une fois de plus, que le théâtre, cela peut être aussi ce genre de petit bijou, généreux et sans prétention, comme celui-là…

Philippe du Vignal

Théâtre des Halles, rue du Roi René, Avignon, jusqu’au 29 juillet à 17h.T. : 04 32 76 24 51.

Le 18 octobre,  à Cesson Sévigné (Ile-et-Vilaine) .
Le 8 février, Théâtre Jean Vilar, Suresnes ( Hauts-de-Seine).
Et du 2 au 28 février, Théâtre du Rond-Point, Paris VIIIème.


Archive pour 14 juillet, 2018

Plus grand que toi, texte et mise en scène de Nathalie Fillion

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Plus grand que toi,  texte et mise en scène de Nathalie Fillion

Un sorte de portrait,  celui d’une jeune femme qui se demande pendant une petite heure ce qu’elle peut avoir d’unique… Ce «solo anatomique», pour une actrice d’un mètre quatre-vingt-un, dit Nathalie Fillion, a été conçu et écrit pour Manon Kneusé. Son personnage, une jeune femme, Cassandre Archambault, intarissable, parle sans cesse d’elle mais aussi des autres sur son petit vélo d’appartement : de ses parents, de ses amants et amis, et cette parole ainsi libérée a quelque chose d’un exorcisme fascinant. « La seule chose que je sais dans mon rêve, c’est que j’ai onze kilomètres à faire et que, si je ne les fais pas, quelque que chose de terrible arrivera, à ces gens et à moi, je ne sais pas quoi exactement, je sais juste qu’il ne faut pas que ça arrive, que je suis liée à ces gens, qu’ils sont liés à moi, je ne sais pas comment ni pourquoi, juste que si je ne pédale pas assez, quelque chose de terrible nous arrivera. Alors chaque nuit, je pédale, je pédale, quoi qu’il arrive, je pédale. »

 Elle répètera une trentaine de fois dans une sorte d’incantation personnelle, ses prénom et nom, comme pour mieux se persuader de son identité … Et, en pédalant sur son petit vélo, elle essaye de  se définir et de se connaître dans son rapport aux autres et au monde. Et quand elle s’arrête, immobile et debout,  seule, très seule, entièrement nue, elle prend les mesures de son corps avec un feutre : «Je m’appelle Cassandre Archambault. Je fais un mètre quatre-vingt un et j’ai le pied égyptien. Si j’additionne la longueur de tous mes doigts, de pieds et de mains, j’obtiens le nombre cent-trois. Cent-trois centimètres. C’est dingue. Un mètre trois. Un mètre trois de doigts. C’est dingue. C’est énorme. Tout ça n’a aucun sens. Mais j’ai découvert au centre de moi-même, une mesure parfaite. Un triangle équilatéral de vingt centimètres cinq de côté. Ici, entre mes deux pointes de seins, vingt centimètres cinq. De mon nombril à la pointe de chaque sein, vingt centimètres cinq. Qu’est-ce que ça signifie ? Qu’est-ce que je vais faire de ça ? Un triangle équilatéral au centre de moi-même. Une mesure parfaite ».

La mesure, une obsession chez elle qui peut tourner au délire: « Je m’appelle Cassandre Archambault. Je suis née le 13 mai 1986, Paris XIème. J’ai des chromosomes de fille mais j’ai pas envie qu’on me fasse chier. Je vais m’organiser. Si je ferme mon poing comme ça et que j’enroule autour la base de ma chaussette, j’obtiens la taille de mon pied : vingt-quatre centimètres cinq. Donc. Si je mesure ma plante de pieds, j’obtiens la circonférence de mon poing. Vingt-quatre centimètres cinq. Vingt-quatre centimètres cinq c’est la largeur exacte de mon front d’une tempe à l’autre. D’une tempe à l’autre. Vingt-quatre centimètres cinq. Ça j’aime bien. La cohérence de mes extrémités. Ça me donne une vague idée de mes potentialités. »

On pense à Orlan qui, dans les années soixante-dix, mesurait avec son corps, un monument historique, ou à Tadeusz Kantor, dont certains personnages avaient toujours un mètre à la main. On est ici encore ici sur une scène mais tout près des arts plastiques et d’une performance aussi bien physique que mentale, comme on en voit dans les centres d’art contemporain. Il y a heureusement un ventilateur devant le petit vélo : par plus de 30° à l’ombre, cela vaut mieux pour l’actrice, d’autant que cette performance dure un peu plus d’une heure.

Dans ce voyage, elle a -brillantissime- un langage oral et gestuel d’une fabuleuse qualité; elle évoque avec énergie et avec une grande exigence (mais très simplement) cette Cassandre Archambaut, qui parle pour mieux se reconstruire, de ses joies et de ses doutes, dans une sorte de voyage intérieur. De ceux que l’on fait quand on s’endort, où tout se mélange, le passé et le présent, le rêve et le réel, l’ici et l’ailleurs. Comme dans un essai pour vivre au moins mal, une époque dure ou qui, du moins, nous paraît dure : celle où l’extrême droite n’en finit pas de passer le bout de son nez menteur à la Pinocchio, celle des twits permanents de Donald Trump, de la guerre en Syrie,  et des réfugiés et migrants… Il y a dans ce texte comme de la nostalgie dans l’air, celle d’une époque où l’on communiquait moins vite mais peut-être mieux, et où, en tout cas, on prenait le temps d’écrire et de parler.

Manon  Kneusé, bien dirigée, nous fait partager une heure durant la solitude mais aussi toute la sensibilité et l’intelligence de cette Cassandre Archambault qu’on a l’impression de connaître. Elle parle ainsi de sa conception un été quand ses parents étaient en Grèce : «Cassandre. Une idée de mes parents, pour rire, en hommage à la crique, un clin d’œil à l’été. Imparfait. C’était à la fin du siècle passé. La Grèce était un pays bleu et blanc. Mes parents, jeunes, beaux, insouciants, avaient pris un vol charter Paris-Athènes, portant dans leurs bagages en cabine des flacons de plus cent-cinquante centilitres, des bombes aérosol, des épingles à nourrice, plein de ciseaux à ongles et de couteaux suisses, un harpon gros calibre pour chasser le mérou, et ils passaient tout ça, tranquilles. »  (…) « L’avion charter décollait avec six heures de retard, le pas cher avait un prix : le temps. On était patients. On ne comptait pas les heures, on n’avait pas de réseau, pas de téléphone intelligent. Tellement bien déconnectés, qu’on ne savait même pas qu’on l’était. »

Elle parle de Paris et de tous les ailleurs qu’elle a connus, de ce qui la relie aux autres mais aussi du Temps : son passé personnel, et le futur, et on n’est alors pas loin d’une quête existentielle: «Je m’appelle Cassandre Archambault, je fais un mètre quatre-vingt-un. Est-ce qu’un jour, j’aurai une touffe blanche, là ? Voir ce que deviennent mes poils pubiens, j’aimerais bien. Et mon triangle équilatéral, qu’est-ce qu’il deviendra ? J’aimerais bien voir ça. Avoir le temps de ça.

Et cela va parfois jusqu’au délire : « Je vais lever une armée. Je vais conquérir la terre. Je vais déclarer la paix. Je vais être la première. La première femme impérialiste. La première femme expansionniste. (… )  Je m’appelle Cassandre Archambault, je vais me coucher. Et y’ a pas intérêt à me réveiller, derrière moi, y’a une armée. »

 On ne peut tout citer mais, si vous êtes en ce moment en Avignon, ne ratez pas ce spectacle : sans aucun doute un des meilleurs solos de cette année, à la fois par la qualité d’un texte poétique, et servi par une comédienne exceptionnelle. Vue juste après ce bavard et médiocre Ovni(s) dan le in, cette performance fait un bien fou! On se dit, une fois de plus, que le théâtre, cela peut être aussi ce genre de petit bijou, généreux et sans prétention, comme celui-là…

Philippe du Vignal

Théâtre des Halles, rue du Roi René, Avignon, jusqu’au 29 juillet à 17h.T. : 04 32 76 24 51.

Le 18 octobre,  à Cesson Sévigné (Ile-et-Vilaine) .
Le 8 février, Théâtre Jean Vilar, Suresnes ( Hauts-de-Seine).
Et du 2 au 28 février, Théâtre du Rond-Point, Paris VIIIème.

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