Love and Money de Dennis Kelly, mise en scène de Myriam Muller
Love and Money de Dennis Kelly, mise en scène de Myriam Muller
C’est l’histoire de David qui vit à Londres et qui envoie régulièrement des mails à Sandrine, une jeune Française qu’il a rencontré à un congrès et avec laquelle il a passé une nuit. Il lui avoue qu’avant, dans une autre vie, il a été professeur de lettres et qu’il était marié avec Jess qu’il aimait d’un grand amour. Mais saisie d’une envie permanente de consommation elle achetait ce qui lui faisait plaisir et cumulait les dettes. Pour les rembourser, David avait trouvé un autre travail mieux rémunéré. Hélas, les choses ne vont pas se passer comme prévu. «Tu vas souffrir pour gagner de l’argent» lui dit Val, une ex-amie de David, directrice d’une boîte de télécoms. L’une des femmes de cette galerie de personnages actuels que veut nous montrer Dennys Kelly. Pas très attachants, comme indifférents, on l’aura deviné, et incapables de la moindre empathie envers leurs collègues de travail.
Dennis Kelly montre avec une rare causticité, comment un couple en crise va partir en vrille dans une société où l’argent prime et où les femmes comme les hommes ont perdu tout repère. Le fric et l’amour : une association des plus bancales et qui en a broyé plus d’un. Et Jess finira par se suicider. On peut penser à cette critique virulente de la société suédoise à laquelle se livrait Stieg Larsson dans son fameux Millenium quand l’argent n’est plus un moyen d’échange commercial mais devient l’élément-clé d’un système complexe de marchés boursiers planétaires. Avec une énergie considérable dépensée pour accumuler des richesses et vivre aux dépens de ceux qui n’ont pas les compétences pour arriver à le faire mais aussi de la planète (maisons luxueuses, vacances à Hawaï par avion, etc). Tout le monde essaye de s’en sortir au moins mal mais les pauvres (les modestes comme on dit), les émigrés aux petits salaires, ou les gens aux retraites minables sont écrasés d’avance.
Reste dans les quartiers, le recours à la vente de dope et à la prostitution : aucune économie positive, aucune morale dans ce monde néo-libéral d’une violence inouïe sous des apparences bcbg. Dennys Kelly est un auteur britannique maintenant bien connu et joué en France mais Love and money, (voir Le Théâtre du Blog) malgré un dialogue de qualité, n’a sans doute pas la même force qu’Orphelins, ou Oussama, ce héros. Cette histoire de ce jeune couple commence plutôt bien mais on a souvent l‘impression qu’elle part ensuite un peu dans tous les sens. Etait-ce la faute à l’absence de clim qui pénalisait acteurs et spectateurs mais le texte nous a paru avoir de sacrées longueurs… Malgré quelques scènes, dont une formidable, toute en violence feutrée où, dans une boîte de nuit, Duncan, un homme glauque, plus très jeune, et aussi cynique que convaincant, va vanter à la très jeune Derbie, tous les avantages qu’elle en tirerait, s’il s’occupait de lui faire faire la pute par Internet. Dennys Kelly a toujours été un excellent dramaturge quand il décrit des situations où les protagonistes semblent pris dans un filet.
La scénographie assez maladroite- un étroit et long praticable qui coupe le plateau en deux- ne rend pas service à la mise en scène de Myriam Muller, par ailleurs d’une grande précision. Heureusement, elle sait diriger au mieux ses acteurs et Isabelle Bonillo, Delphine Sabat, Elsa Rauchs, Raoul Schlechter, Serge Wolf et Mathieu Moro sont tous très crédibles dans des rôles pas faciles. Et on entre facilement dans cet univers où hommes et femmes, sont impitoyables entre eux, dans une époque qui leur parait très dure, comme à tous ceux qui la vivent. Mais comme le disait Samuel Beckett: « Ne disons donc pas de mal de notre époque, elle n’est pas plus malheureuse que les précédentes. N’en disons pas de bien non plus. N’en parlons pas. Il est vrai que la population a augmenté. »
En tout cas, une bonne occasion de découvrir un auteur, une très bonne troupe luxembourgeoise et une metteuse en scène. Que demande le peuple ? Rien d’autre, sinon un peu de bien-être pour voir un spectacle… Rassurez-vous, depuis, la climatisation a été réparée et, nous a-t-on répété, la Commission de sécurité a donné son feu vert quant à l’équipement de cette salle qui a sans doute été revu et corrigé, ce qui n’était pas un luxe…
Philippe du Vignal
11-Gilgamesh Belleville, 11 boulevard Raspail, Avignon, jusqu’au 27 juillet, à 12h 55.`
Le texte est paru à L’Arche Éditeur.