Pas Pleurer de Lydie Salvayre, adaptation et mise en scène de Denis Laujol
Pas Pleurer de Lydie Salvayre, adaptation et mise en scène de Denis Laujol
C’est l’histoire de la mère de l’auteure, Montserrat (Montse), plongée à quinze ans dans la guerre civile espagnole, à l’été 1936. Nonagénaire à présent, victime de troubles de mémoire, elle a oublié sa vie, sauf cette courte période où un vent de liberté a soufflé sur elle. Elle a vécu une aventure collective politique avec l’invention de la révolution sociale et autogestionnaire, faite par des anarcho-syndicalistes engagés, issus des villes et des campagnes. Ils brandissaient le drapeau d’une Espagne en rouge et noir, mouvement dont se réclame le frère aîné de Montse et ses amis, la plupart travailleurs agricoles.
Le spectacle s’articule à partir de deux voix entrelacées, deux conscience parallèles. Celle révoltée, de Georges Bernanos, témoin direct de cette guerre civile; il dénonce la terreur exercée par les Nationaux, avec la bénédiction de l’Eglise, contre les « mauvais pauvres». Son pamphlet Les Grands Cimetières sous la lune (1938) heurtera même son propre camp, la droite catholique française et européenne. Sur l’île de Majorque, il a assisté, horrifié, aux massacres de paysans républicains par les Franquistes dont la violence répressive est notoire. La voix off suggestive d’Alexandre Trocki prend en charge la parole mélancolique de Georges Bernanos et sur le mur au lointain, s’animent en fondus-enchaînés les images-vidéo de Lionel Ravira, un film de tableaux conçus par Olivier Wiame, lui-même inspiré par les maîtres de la peinture catalane, Tàpies et Miro, pour s’en éloigner ensuite.
Il y a aussi la voix et le corps de Montse, interprétée par l’enthousiaste et malicieuse Marie-Aurore d’Awans, prix 2017 de la Critique du meilleur espoir féminin pour Pas pleurer, au Théâtre de Poche de Bruxelles. Dans une langue savoureuse et expressive, le fragnol, mélange de français et d’espagnol parlé par la mère de l’auteure, réfugiée en France depuis des années.
La comédienne, catalane d’origine, parle le français, l’espagnol et le catalan. Energie, fougue, humour et idéalisme, elle est cette jeune paysanne, silencieuse qui prend de l’assurance, et qui finira par rejoindre Barcelone et son rêve politique. Elle quitte donc sa campagne pour cette ville révolutionnaire, et est toute étonnée quand elle voit des femmes qui ne sont pas prostituées, vêtues d’un pantalon et fumant dans la rue…
L’actrice joue la fille mais aussi sa mère, à qui elle offre des anisettes, laquelle est heureuse de narrer les éblouissements de sa vie : «J’écoute ma mère et je me demande… Ses rêves se sont-ils dissous (sont-ils tombés au fond d’elle-même comme ces particules qui se déposent au fond d’un verre ?) Ou bien un feu-follet brûle-t-il encore au fond de son vieux cœur, comme il me plaît infiniment de le croire ? Les braises encore tièdes de ce mois d’août 36 où l’argent fut brûlé comme on brûle l’ordure… »
Rêve d’une société égalitaire où l’argent-roi est déchu, comme un tyran abusif. La foi en un monde meilleur déclenche une énergie vitale chez la mère. La comédienne, reprend avec rage et talent les leitmotivs de Malena Sardi, à la guitare et à l’archet.
Un beau spectacle théâtral et musical où l’artiste déclame, d’un personnage à l’autre, et des années de la Guerre d’Espagne aux nôtres, strictement contemporaines, le récit d’un cycle qui laisse se dessiner des lendemains qui chantent…
Véronique Hotte
Théâtre des Doms, 1 bis rue des Escaliers Sainte-Anne, Avignon, jusqu’au 26 juillet, à 14h30. T. : 04 90 14 07 99
Le texte est édité aux éditions du Seuil/Points.