Les Champignons de Paris d’Émilie Génaédig, mise en scène de François Bourcier

Festival d’Avignon:

Les Champignons de Paris d’Émilie Génaédig, mise en scène de François Bourcier

©Tahiti zoom

©Tahiti zoom

La compagnie  du Caméléon basée en Polynésie française existe depuis vingt-trois ans  et avec la programmation d’un théâtre citoyen,  «invite à l’échange et à l’éveil des consciences, agissant comme une incitation permanente à décentrer notre regard et à alimenter une pensée libre, éclairée et critique. »
Cette pièce qui a reçu le prix Beaumarchais 2016 a pour thème l’effroyable programme militaire d’essais de bombes nucléaires que notre pays, a réalisé de 1960 à 1996, avec près de deux cent tirs aériens puis souterrains! D’abord dans le désert algérien puis en Polynésie française, à Moruora et Fangataufa!  

Dans la bonne conscience générale- on a voulu l’oublier mais c’est Pierre Mendès-France alors président du Conseil en 1954 qui  donna le feu vert à l’armée pour qu’elle commence à faire joujou avec la bombe nucléaire. Et comme les médecins militaires disaient que cela n’avait rien de dangereux, pourquoi se gêner ! La machine commença vraiment à se mettre en marche avec des moyens financiers considérables en 1965. Ainsi la Marine nationale française créa un groupe aéronaval, avec plus de 3.500 hommes, un porte-avions, trois escorteurs d’escadre, deux pétroliers et un bâtiment de soutien!  Tout cela, d’abord sous la présidence de de Gaulle, puis de Georges Pompidou, Valéry Giscard d’Estaing, François Mitterrand et Jacques Chirac. Lui finalement mettra fin à ces expériences nucléaires. Raison répétée jusqu’à plus soif, par les gouvernements de gauche comme de droite: garantir la paix au nom du peuple français, à la France, quels que soient les dommages causés à la population locale très souvent atteinte de cancers incurables, et à l’environnement! 

 Peu ou pas de répliques de l’opposition : la Polynésie, même si c’est la France, c’est loin, très loin. Et la mer est vaste. Et puis le trop fameux secret-défense fonctionne à plein régime. Et tout le pouvoir militaire en place, bien entendu, fermait les yeux. La honte! Seul et courageusement, le général de Bollardière décédé en 86, manifesta de façon non violente en 1973, au large de Muruora contre ces essais nucléaires.
Mais la Marine française intercepta le voilier envoyé par Greeenpace, où il se trouvait avec un prêtre, Jean Toulat, un écrivain Jean-Marie Muller et Brice Lalonde,  alors qu’il était en dehors des eaux territoriales! Mais à l’intérieur du périmètre de sécurité.
Arrêté, il renvoya sa Grand croix de la Légion d’honneur!  Plus tard en 1985, le fameux Rainbow Warrior alla jusque dans la zone militaire interdite. Et, sur ordre du Ministre de la Défense, une équipe de nageurs de combat coula le petit voilier dans la baie d’Auckland, avec un mort à la clé. La honte et un scandale international.

 C’est tout cela que raconte le spectacle, à la fois grâce à des images vidéo qui font froid dans le dos et à de courtes scènes. Il faut voir les explosions nucléaires avec le trop fameux champignon,  mais aussi l’insupportable et suffisant Messmer, alors ministre de la Défense, dire tout le mépris qu’il a pour les actions de Greenpace contre ces essais! Mais comme l’avait bien  vu cette organisation,ils  allaient faire des dégâts considérables -à court mais aussi à très long terme- sur les populations locales mais aussi sur l’environnement et qu’on n’a pas fini de payer. Bravo la France!

Et bien après, il y seulement a six ans! (sic) Une levée partielle du secret-défense portant sur une cinquantaine de documents, permit de confirmer que les zones touchées par les retombés radioactives s’étendaient bien au-delà du périmètre défini par la loi d’indemnisation des victimes et les décrets d’application. L’ensemble des cinq archipels de la Polynésie est donc pris en compte. Après combien de vies foutues à cause des cancers, combien de désastres écologiques, tous toujours niés ou très minorés par le Ministère de la Défense et de morts: des militaires venus de métropole comme des civils polynésiens. La honte! Toujours la honte irréversible…

Le spectacle est encore brut de décoffrage et il y a une redoutable scénographie à base de toiles plastiques. Mais la direction d’acteurs de François Bourcier est précise et Tepa Teuru, Tuarii Tracqui et Guillaume Gay se sortent bien d’un texte souvent bavard, et aux dialogues assez faibles. Mais les extraits choisis de discours politiques de l’époque et les images sont accablants! Tout se passe comme si l’auteure hésitait un peu à dénoncer haut et fort, sauf à la fin, ce scandale qui reste d’une actualité brûlante mais dont on ne parle jamais en métropole: celui des nombreuses victimes de ces essais nucléaires. Mais aussi celui des conséquences, après plusieurs décennies, sur l’environnement maritime, avec, à la clé, la menace d’un possible tsunami.

Les Champignons de Paris manque sans doute encore de virulence, malgré les témoignages indéniables sur les tirs effectués à Muruora qu’il détaille avec une grande précision. Mais il peut au moins agir comme une piqûre de rappel sur cette aberration qui a duré plusieurs dizaines d’années… En tout cas, les spectateurs semblaient effondrés par ce qu’ils venaient d’apprendre. Et c’est tout à l’honneur de la Chapelle du Verbe Incarné, d’avoir invité cette compagnie du Caméléon. En venant de Tahiti jusqu’en Avignon, elle aura au moins contribué à libérer la parole, à dire la vérit, et surtout à détruire le mythe des essais propres, jusque là véhiculés avec complaisance par l’armée française et les présidents de la République successifs et de tout bord politique.

Avec un texte revu et corrigé, Les Champignons de Paris, sans doute encore imparfait, a de réelles qualités de théâtre d’agit-prop, et mériterait d’être accueilli l’an prochain dans le In. Ne rêvez pas trop du Vignal, et cela ne plairait sans doute ni au Ministère de la Défense ni à l’Élysée. Mais bon, qu’importe… Allez, encore un effort, Olivier Py, vous qui programmez une chose aussi niaise que ces Ovni(s) (voir Le Théâtre du Blog), vous pourriez donner une chance à ce spectacle où des acteurs français tahitiens osent dire aux Français métropolitains, une vérité qui dérange encore… Le festival In assez branchouille y gagnerait en tout cas une crédibilité qui lui fait bien défaut cette année…

 Philippe du Vignal

Chapelle du Verbe Incarné, rue des Lices, Avignon, jusqu’au 28 juillet à 21h 35. T. : 04 90 14 07 49.

 

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