Maloya de Sergio Grondin, David Gauchard et Kwalud, mise en scène de David Gauchard

Maloya de Sergio Grondin, David Gauchard et Kwalud, mise en scène de David Gauchard

 

©Dan Ramaen

©Dan Ramaen

Sous l’impulsion du conteur Sergio Grondin, la compagnie Karanbolaz retrouve une parole réunionnaise, forte et fière, pour mettre en scène des spectacles populaires. Avec Maloya, leur  troisième réalisation en commun,  Sergio Grondin, le musicien Kwalud et le metteur en scène David Gauchard privilégient une écriture collective. A partir de collectes de témoignages et d’entretiens avec les habitants, musiciens, etc.,  les maîtres d’œuvre analysent les rouages du Maloya, une langue identitaire qui désigne aussi la musique traditionnelle de la Réunion et en est le symbole culturel et historique. Mais ce mot subit une mutation sémantique, à cause de la mondialisation indifférente à la préservation des identités.

 Ces créateurs  défendent donc le concept d’Edouard Glissant: une «mondialité» roborative qui, à l’inverse de la mondialisation, reconnaît la présence de cultures différentes mais vécues dans le respect de l’autre. Comment se départir des problématiques locales pour accéder à l’universel ? Ainsi, si le Kabar, lieu de célébration de la mémoire des ancêtres, est aussi celui de la parole dans toute sa diversité. Cette recherche identitaire, menée à la fois sur le territoire puis sur le plateau, évoque d’abord l’âme du Maloya, plutôt que sa tradition, à travers une enquête documentaire. Avec des relevés précis de vies, et un état d’esprit qui va de l’intime,  à  l’universel.

 Sur le plateau nu, le musicien Kwalud joue rock, jazz, hip-hop, électro, pendant que le conteur Sergio Grondin arpente la scène vide, encore étonné que ce soit en français  qu’il ait adressé ces mots à son nouveau né : « Bienvenue Saël, ta maman et moi, on est heureux de te voir !… »
Une  phrase  devenant une obsession pour le jeune père qui ne comprend pas pourquoi  elle lui est venue aux lèvres, spontanément en français et non en créole, sa langue maternelle parlée encore par 98% de la population réunionnaise. Danyel, un ami sexagénaire lui explique que, si sa génération a vécu, préservée du monde extérieur, celle de l’interprète est née « avec ce fameux monde du décor… dans ce monde-là, eh ! Bien c’est simple, la langue maternelle, elle n’existe pas. » Se pose une question paradoxale sur l’identité : l’enfant, né au monde, est-il obligé d’appartenir à une langue, à une région, à un peuple, à un drapeau ?

Un témoignage collecté parmi d’autres, résonne de façon similaire, avec Stéphane, né dans le Vaucluse, mais habitant depuis des années  la Réunion : est-il Réunionnais ? Il est né de père inconnu, et l’idée de filiation est restée abstraite pour lui d’autant qu’à son tour père adoptif d’une petite fille thaïlandaise, il a lancé loin encore l’idée de racine. L’amour parental pour un enfant est ce qui importe : une force interactive, et ces parents-là avouent pourtant qu’ils seraient heureux que leur fille apprenne le thaï, un choix qui est laissé seul, à sa liberté et à sa convenance 

Messager d’une parole décidée et fort de ses convictions, Sergio Grondin nous conte en créole, une langue vive, imagée, gourmande et joyeuse qu’il traduit aussitôt en français, le cours circonstancié de son histoire … Pour sauvegarder la langue et la laisser libre de se frayer tel passage ou tel autre, traçant sur le sol des lignes imaginaires, des territoires secrets, il place régulièrement, en guise de petits cailloux repérables comme ceux des contes de fée, les prénoms des hommes et femmes qui dessinent le Maloya:  une mémoire et un patrimoine.

 Mais aussi une leçon de choses et de vie, un paysage géopolitique, tenant lieu de Défense et Illustration de la langue créole, un humble et beau manifeste poétique, ici mis en scène avec efficacité.

 Véronique Hotte

 La Manufacture, 2 rue des Ecoles, Avignon, jusqu’au 26 juillet à 12h. T. :

 

 

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