Les Cinq Fois où j’ai vu mon père de Guy Régis Jr., mise en voix par Armel Roussel
Festival d’Avignon:
Ça va ça va le monde ! RFI 2018 (suite): Les Cinq Fois où j’ai vu mon père de Guy Régis Jr. , mise en voix par Armel Roussel
Nous l’avions quitté au Festival des Quatre-Chemins, en Haïti, à l’automne dernier (voir Le Théâtre du Blog) un festival foisonnant qu’il dirige depuis 2014. Il s’apprêtait alors à venir en France en résidence à la Maison des auteurs des Francophonies en Limousin. Nous le retrouvons ici pour entendre l’adaptation scénique du roman qu’il y a écrit. Il évoque, dans son récit, ses cinq rencontres avec son père, échelonnées de l’âge de trois ans, à l’adolescence… «Maman, mon père est-il une ombre, un oiseau ? (…) Il s’est envolé (…) Un oiseau noir, un ombre puisqu’il s’est envolé pour ne plus jamais revenir ? »
Dans un compte à rebours, de la cinquième à la première fois, les personnages de l’écrivain et du père (ombre présente-absente !) sont joués par Thomas Dubot, qui dialogue avec la mère (Caroline Berliner). En décor sonore, les bruits d’Haïti, restitués par Pierre Alexandre Lampert ancrent la lecture dans un ailleurs réaliste. En prose précise et mouvementée, remontent les souvenirs. Le roman, dialogué, se prête à une adaptation théâtrale dont les cinq séquences sont autant de scènes denses mais distanciées par la beauté de la langue et l’humour sous-jacent.
Le politique et l’intime se côtoient ici : ce père, c’est aussi tous les pères de tous les pays « sens dessus-dessous » : « Etait-ce la raison de ta fuite, ce pays sens dessus-dessous qui n’a que faire de ses enfants ? Tu as fui la décrépitude du pays, mais ce pays te poursuit encore. Comment effacer un pays ? »… « Aujourd’hui encore, à l’âge où je suis vieux, je ne cesse de le chercher, écrit l’auteur.(…) Il n’est, bien sûr, pas encore mort. Il est bien en vie, mon père. Il donne toujours pas de nouvelles. ».
Au terme de la représentation, le public a les larmes aux yeux. Non moins ému, Guy Régis Jr. nous dit : «J’ai essayé de rassembler les cinq fois où j’ai vu mon père. De recoller les morceaux pour comprendre. Il n’est pas le seul qui est parti. On demande de l’argent à l’homme, dans un pays où il n’y en a pas. » Son père a «ouvert un autre chapitre de sa vie au Etats-Unis. C’est ça aussi l’exil. Pour construire son roman, l’auteur s’est aussi appuyé sur des témoignages d’enfants dans un atelier sur le thème de l’absence, qu’il a animé à La Rochelle. : « ça m’a nourri énormément ».
Un long chemin parcouru par l’écrivain, poète et metteur en scène, depuis la création de sa première compagnie en Haïti, NOUS Théâtre, avec des chanteurs, dessinateurs, acteurs, musiciens qui jouent dans la rue et sur les places comme beaucoup ici, faute de salles. Ils ont rencontré un beau succès avec Service Violence Série en tournée de 2001 à 2005 en France, Belgique, et aux États-Unis.
Ida, sa pièce la plus connue, souvent montée dans son pays et au-delà, est publiée par Vent d’ailleurs. De 2007 à 2012, il est accueilli en résidence, d’abord aux Récollets à Paris où il écrit Mourir tendre, lue par Anne Alvaro aux Francophonies de Limoges en 2013 (voir Le Théâtre du Blog ), et publiée aux Solitaires Intempestifs, comme la suite de ses œuvres dont la dernière une comédie amère: Reconstruction.
La question qu’on pose à tout Haïtien, c’est : où en est la reconstruction du pays après le tremblement de terre ? « Beaucoup de politiciens n’ont pas reconstruit, mais se sont reconstruits eux-mêmes», ironise Guy Régis Jr., et cette pièce montre comment une bande de rapaces s’est accaparé les subsides destinés à réparer les dégats. Dans la pièce, le Président s’est retiré dans l’unique bibliothèque du pays et depuis trois ans, passe son temps à lire et à philosopher « pour se reconstruire». Le peuple se plaint de cette inaction par le voix de L’Opposition mais les ministres se reconstruisent pour leur propre compte, avec l’argent des impôts et des O.N.G… Le public est appelé à participer aux péripéties de cette farce politique qui brocarde un régime immobile et corrompu depuis des décennies.
Alors qu’il a déjà traduit en créole L’Etranger d’Albert Camus et a commencé à le faire avec A la Recherche du temps perdu de Marcel Proust, il avoue qu’il est “compliqué d’écrire dans cette langue de l’oralité. Il y a pourtant une littérature créole, on trouve bien entendu la Bible mais aussi les pièces de Sophocle.»
Quand on lui demande comment il peut mener toutes ses activités de front, l’artiste répond simplement qu’il fait une chose après l’autre, et qu’il prend un temps entre chaque projet. En ce moment, il travaille à la programmation de son prochain festival dont les grandes lignes sont tracées. Le thème: la politique. Laurent Gaudé sera présent, avec des mises en scène et lectures de ses textes. Guy Régis Jr. recevra aussi la troupe de théâtre de rue BITH (Brigade d’Intervention Théâtrale-Haïti et mettra le focus sur la florissante poésie haïtienne, en partant de la phrase-phare : Pays poète, poète, poète…Et de la poésie en créole, c’est quotidiennement que Guy Régis Jr. en écrit.
Mireille Davidovici
Les Cinq Fois où j’ai vu mon père (en version scénique) sera diffusée sur R.F.I. , le 5 août à 12 h 10.
Une nouvelle lecture en sera donnée par les élèves de L’Académie du Centre Dramatique National de Limoges, aux Francophonies en Limousin, le 29 septembre à 11 heures 30, Théâtre Expression 7, 20 Rue de la Réforme, Limoges. Entrée libre mais réservation conseillée. T. : 05 55 10 90 10.
Le roman sera publié chez Gallimard, collection Haute Enfance, à l’automne
La Quinzième édition du Festival des Quatre Chemins du 19 Novembre au 1er Décembre,