Antigone de Sophocle, traduction de Florence Dupont, mise en scène d’Olivier Py et Enzo Verdet
Antigone de Sophocle, traduction de Florence Dupont, mise en scène d’Olivier Py et Enzo Verdet, avec les détenus du Centre pénitentiaire d’Avignon-Le Pontet
« Tes lois sont sans valeur face aux traditions», lance Antigone à Créon. Des mots sonnent de manière particulière, quand ils sont incarnés par un homme devant ses codétenus. La tragédie, ramassée ici en cinquante minutes, concentre le débat autour des questions de la justice humaine, imposée par Créon, un tyran aveuglé par son autoritarisme. « Même si mes lois ne sont pas justes, dit-il, Il faut que je défende la société et l’ordre établi sans me laisser diriger par une femme … ».
Comme Prométhée et Hamlet, deux précédents spectacles d’Olivier Py, le maître d’œuvre de ce projet, Antigone est né en prison: « Il y a deux ans, dit-il, que nous travaillons et jouons Antigone d’abord au Centre pénitentiaire, et maintenant au Festival. En prison, il y a ceux qui partent. La troupe varie donc. » Aujourd’hui, ils sont sept acteurs de l’atelier-théâtre que dirige depuis 2004 Olivier Py avec Enzo Verdet: Gryne, Jacques, Jean-Michel, Mourad, Paul Andria, Pierrick, Redwane et Youcef.
La violence de cette tragédie réduite a minima, apparaît dans sa brutalité. Pour tout décor, la photo d’un vaste champ de ruines derrière un praticable carré, celui de Pur Présent (voir (Le Théâtre du Blog) autour duquel le public est installé. Sans accessoires, les acteurs ont pour seul appui, la traduction dépouillée et tranchante de Florence Dupont. Avec un jeu clair et franc. Sans temps psychologique. Ils s’envoient les répliques à bout portant.
Créon apparaît, nerveux et rigide, en costume noir. Antigone va l’affronter. Un duel dont elle sortira victorieuse, par-delà de la mort. Deux gestes lui suffisent pour figurer l’ensevelissement du corps de Polynice laissé lui, « sans sépulture, son cadavre livré aux oiseaux et aux chiens », par décret de Créon. Son frère Etéocle sera mis au tombeau selon les rites funéraires dû à un guerrier. Même simplicité dans la scène où Ismène refuse d’aider sa sœur : « Si nous transgressons la loi, nous mourrons ». Et elle la traite de « pauvre fille ! ».
Une situation vite campée avec un dialogue tendu : « -Antigone : Nous héritons ensemble des malheurs et des crimes d’Œdipe, notre père. Nous sommes maudites toi et moi. Ce à quoi, Ismène lui répond : « Nos deux frères se sont entretués. » Parfois le Chœur-des voix parmi le public -intervient, hors champ. Surgissent aussi de la salle, le Messager, Tirésias, et le fils de Créon, fiancé à Antigone qui la suivra dans la tombe : pour mourir, on le voit simplement descendre du plateau et se coucher à ses côtés.
D’une rare efficacité, les mots émouvants de Sophocle s’entendent dans toute leur actualité devant la ville dévastée qui domine la scène. Et, malgré la dureté de la pièce, la poésie n’est pas loin comme dans la belle adresse de Tirésias à Créon : «Cette ville est malade à cause de toi. (…) Les oiseaux ne croassent plus les messages des Dieux, parce que leur bec dégouline de chair et de graisse humaine. (…) Oeil pour œil mort. Tu as fait descendre sous terre une fille qui appartient à la lumière. » On pense alors aux tyrans d’aujourd’hui, sourds aux intérêts de leur peuple, enfermés dans leur superbe…
Pour Olivier Py, il est essentiel de travailler de grands textes : «Ce lien avec de grands textes- qui peut paraître aride-structure le quotidien de ces prisonniers qui doit donc absolument croiser une nécessité : les questions qu’ils se posent ou qu’ils veulent poser à la société. (…) Ils ont été frappés par cette Antigone qui pense que la dignité humaine est au-dessus du jugement social. (…) En prison, les détenus parlent beaucoup de cette double peine. Ils acceptent la perte de liberté mais pas celle de leur dignité. (….) Les acteurs ont profondément compris qu’il y a dans Antigone, l’idée qu’un homme reste un homme, quoiqu’il ait fait.»
Et nous partageons volontiers les questions de ces prisonniers sur la justice et les lois, jusqu’à nous demander si l’injustice sociale ne serait pas la vraie coupable ? Joué dans un nouveau lieu hors les remparts, à deux pas de la porte Saint-Lazare, ce spectacle a rencontré un public chaleureux, saluant autant les acteurs que l’initiative. A en croire Olivier Py: « C’est un exploit juridique et administratif de pouvoir présenter cet atelier. » « Les représentations d’Antigone, précise le programme du festival sont conditionnées, aux autorisations de sortie délivrées quelques jours avant, par l’autorité judiciaire. »
Mireille Davidovici
Le spectacle a été joué du 18 au 20 juillet, à la Scierie, 15 boulevard Saint-Lazare, Avignon.