Poil à gratter, de et avec Adeline Piketty, mise en scène de Laurence Campet
Festival d’Avignon
Poil à gratter, de et avec Adeline Piketty, mise en scène de Laurence Campet
Ne pas se fier au titre : ça gratte, mais ça ne rigole pas, même si l’on sourit parfois de ce que dit d’elle-même, Chantalle, la clocharde. Elle gratte beaucoup plus profond. Ses premiers mots : «Je suis une femme», alors que nous avons devant nous, une silhouette indécise, épaissie par des couches de vêtements sombres, sans forme. Et ces premiers mots disent tout: sa force, sa vulnérabilité, l’injustice et la saloperie de l’ordre du monde.
De cet ordre, Chantalle ne veut plus. Alors, elle s’est construit une bulle de crasse, de mauvaise odeur. Là, elle est protégée, intacte, là, elle trouve son identité. Là, est le sens de sa prophétie : demandez-vous ce qui pue vraiment dans cette société. Là, est sa révolte : faire triompher le désordre, parvenir au chaos.
Adeline Piketty est de ces actrices rares qui imposent d’emblée un présence forte et troublante, à condition d’avoir un rôle correspondant à sa trempe. Celui-là, elle se l’est écrit, en écoutant une personne qu’en général on écoute peu et devant qui l’on fait un grand détour. De cette femme qui fait baisser les yeux aux passants, la clocharde de la rue de la Roquette, elle a transcrit les paroles muettes, ou inaudibles. Et elle a entrevu ou imaginé des pans de vie où elle sort de son isolement : retrouvant ses réflexes d’ancien médecin pour secourir un bébé Rom, jouant à faire des grimaces avec une petite fille… Ce que l’on ressent ? Surtout sa solitude massive, fière. Cela donne un théâtre, bourré d’émotion retenue, avec une vitalité animale qui renvoie à la question de l’humanité. Du solide, de l’implacable…
La mise en scène fait passer très simplement la comédienne, de l’incarnation au récit : d’un geste, d’un déplacement, elle s’adresse au public, et cela permet des respirations dans ce texte intense. Sans pathos, sans folklore urbain : le travelling est une question de morale, disait Jean-Luc Godard. La rigueur, la sobriété du costume et de la mise en scène, c’est du respect en actes. Voilà un texte rare et une grande comédienne : que demander de plus ?
Christine Friedel
Espace Alya, 14 h 30, jusqu’au 28 juillet. 31 bis rue Guillaume Puy, Avignon. T. : 04 90 27 38 23.