Arctique, mise en scène d’Anne-Cécile Vandalem

©Christophe Raynaud de Lage

©Christophe Raynaud de Lage

Festival d’Avignon:

Arctique mise en scène d’Anne-Cécile Vandalem

Rendez-vous en 2025 à bord de l’Artic Serenity, pour son dernier voyage: tractée par un remorqueur vers le Groenland,  l’épave renflouée sera transformée en hôtel de luxe. Saboté lors de son unique traversée par des écologistes de l’A.P.F. (Artic Protection Front) luttant contre l’exploitation des ressources naturelles du Groenland, le navire accueille des passagers clandestins, tous convoqués par lettre anonyme.
Leur identité va se dévoiler au fil de la pièce : l‘ancien commandant de bord qui se prend pour le capitaine Francklin, l’ex-première ministre du Groenland, un journaliste bien curieux, une bourgeoise effarouchée, veuve d’un membre du Consortium minier, une femme revêche entre deux âges, une jeune fille énigmatique. Sans compter les fantômes dont celui de la chanteuse et militante Mariane Thuring, morte lors du naufrage. Bientôt, le bateau, largué par le remorqueur, dérivera aux milieux des glaces arctiques… Vaisseau fantôme en proie à une malédiction.

Ces personnages mal appariés se révèleront tous concernés ou impliqués dans l’histoire de ce navire. Rassemblés  dans le luxueux salon, ils découvrent peu à peu la situation. Une bonne part de l’action se déroule hors-champ, filmée en direct  dans les coursives, la salle des machines, les cabines et le pont où ils circulent et s’affairent.  L’Arctic Serenity Band  -un pianiste, un guitariste et un batteur- intervient comme au cinéma, pour créer des ambiances à la David Lynch ou tel un orchestre d’hôtel, pour accompagner la chanson fétiche de feu Mariane Thuring, Serenity.

Des éclairages verts, bleus ou rouges, dilués dans une brume omniprésente donnent un côté  fantastique à cette intrigue politico-policière rondement menée, avec suspense et rebondissements jusqu’à la fin. Les comédiens habitent leur personnage en le composant assez légèrement pour rester crédibles. Mélanie Zucconi (Eleonor Ann Ormerod) force un peu sa voix et peut agacer, bien qu’elle joue une bourgeoise idiote; Epona Guillaume (Inka Thuring), par sa présence intrigante, garde tout le mystère de son identité, révélée lors du coup de théâtre final…

Dans un tempo parfait, cette création nous tient en haleine. La metteuse en scène cerne bien la situation paradoxale du Groenland à l’essor économique  fulgurant, et maintenant indépendant du Danemark… mais au prix d’une catastrophe humaine et écologique. «Situer l’action dans un passé relativement proche, dit la metteuse en scène, me permet d’alerter le spectateur sur les problèmes qu’embrasse le spectacle»,.

Elle a conçu Arctique après un voyage au Groenland, où elle voulait enquêter sur l’ouverture du mythique passage du Nord-Ouest, jusque là infranchissable, une bonne partie de l’année. Conséquence du réchauffement climatique, la fonte des glaces permet l’accès aux richesses du sous-sol, une aubaine pour les compagnies minières et pour certains Groenlandais, malgré la déportation de milliers d’autochtones. « Arctique, dit Anne-Cécile Vandalem, est l’histoire d’une vengeance : celle de la Nature sur un monde dérivant et sur la corruption profonde des êtres humains. Cette Nature, représentée par les Inuit du Groenland et leur monde dévasté, se venge. » Une pièce visionnaire…

Mireille Davidovici

Spectacle joué du 18 au 24 juillet, à La Fabrica, Avignon.

Le 11 octobre, International Theatre Forum Minsk (Biélorussie).
Les 7 et 8 novembre Le Volcan, Le Havre ; du  21 au 24 novembre, Théâtre de Liège (Belgique) ; les 29 et 30 novembre, Espace Jean Legendre, Compiègne 
Du 8 au 11 janvier, Théâtre des Célestins, Lyon; du 16 janvier au 10 févier, Odéon-Théâtre de l’Europe, Paris.
Les 14 et 15 février, Comédie de Saint-Etienne.


Archive pour juillet, 2018

Les Gravats, collectif de réalisation : Jean-Pierre Bodin, Alexandrine Brisson, Jean-Louis Hourdin et Clotilde Mollet

Festival d’Avignon:

Les Gravats, collectif de réalisation : Jean-Pierre Bodin, Alexandrine Brisson, Jean-Louis Hourdin et Clotilde Mollet

© DIDIER GOUDAL

© DIDIER GOUDAL

On ne dit pas “vieux“, ça n’est pas correct. On dit “seniors“, sortes d’ex-jeunes  qui ont beaucoup de temps libre et rient de toute leur prothèse dentaire dans des réclames pour toutes sortes de choses qu’on peut acheter pour rester un éternel ex-jeune. N’empêche, on reçoit un jour, et ça peut même arriver en plusieurs fois, un “coup de vieux“. De là, à penser à la mort, il n’y a qu’un mauvais pas. «L’homme libre ne pense à rien moins qu’à la mort », dit Spinoza, mort lui-même fort jeune.

Etant eux-mêmes aussi gens fort libres, Jean-Pierre Bodin, Alexandrine Brisson, Clotilde Mollet, Jean-Louis Hourdin et autres poètes n’ont pas besoin de nous faire la leçon. Pire, ils ont cherché et trouvé un grand nombre de titres, avant de s’arrêter aux Gravats. On rit trop pour s’en souvenir, et que, du coup (de vieux ?), on se met à son tour à carburer. Ex-jeunes, toujours-là ? Voilà du vrai « spectacle vivant » qui rend le public un peu plus vivant. Eux, ces trois-là et ceux qui ne sont pas sur le plateau, réussissent à mettre les objets eux-mêmes en liberté : voyez valser ces fauteuils-crapaud, roulez jeunesse ! Voyez ce lit “médicalisé“ avaler son usager, voyez l’attirail de l’homme orchestre –car la musique aussi est en liberté- décoré d’angelots-squelettes, assistez à l’extraction d’un os qui fait mal, écoutez les propos recueillis auprès de “vrais gens“, de vieux qui n’ont pas peur des vérités surprenantes !

Jean-Pierre Bodin et Clotilde Mollet illustrent chacun une décennie. On signale que Thierry Bosc, le doyen, remplace, presque au pied levé -oui, oui, c’est un sport pratiqué au théâtre-  son ami Jean-Louis Hourdin, excusé pour cause de soins médicaux. En voyant le spectacle, on a l’impression qu’il a été à l’origine du projet, et c’est une impression juste : il fait partie  de cette famille de théâtre, qui s’est illustrée, entre autres, à Hérisson, dans l’Allier, pas loin de Montluçon. Il a aussi en lui, toute l’histoire du Théâtre de l’Aquarium, et quelques autres aussi fraternelles et inventives. Ils se retrouvent donc  dans un collectif poétique, sans barrière autre qu’une éthique solide. Est-ce d’ailleurs une barrière ? Plutôt le socle de la liberté.

Mais revenons à nos moutons, qui ont décidé de ne pas l’être. Bon, on ne parlera pas des E.H.P.A.D. (Etablissement d’Hébergement pour Personnes Agées Dépendantes) où “le personnel » (façon des déshumaniser les jeunes femmes qui font ce travail) devrait coucher un vieille personne en sept minutes. À peine moins que le temps pour une femme de chambre d’hôtel de “faire“ la dite chambre. Dénoncer ? Du temps perdu…

 Jean-Pierre Bodin  et sa bande posent la question autrement, et répondent par l’affirmative : une vieille personne peut avoir la liberté d’être joyeuse, fantaisiste, si ça lui chante, ou triste selon la forme de son âme ; libre  aussi de désirer et le dire, comme tout être de parole, et susceptible de prendre du temps avec son corps qui se complique.  Les acteurs  prouvent le mouvement en marchant et pas dans les clous, en dansant.
Voilà un spectacle singulier, un bric-à-brac qui nous donne sans cesse à penser et à rire, avec des moments d’émotion tranquille et de respiration. Mais aussi avec des paroles qui rendent le spectateur intelligent et fraternel, et du temps pour se poser la question du temps et se rassurer… Eh ! Oui, inutile de courir après notre jeunesse, elle est en nous, dans notre mémoire. Et si d’aventure, on ne sait jamais, nous mourons, nous aurons vécu. Gloire au futur antérieur contenu dans notre présent. En attendant, comme il faut penser à tout, les acteurs nous distribuent à la fin, la très sérieuse Charte des droits du mourant. Avis à la population : défendez votre droit à voir ce spectacle singulier.

Christine Friedel

Fabrik’Théâtre,(théâtre permanent d’Avignon) à 11h, jusqu’au 29 juillet, 1 rue du Théâtre ( 10 route de Lyon) Avignon. T. : 04 90 86 47 81.

 

Poil à gratter, de et avec Adeline Piketty, mise en scène de Laurence Campet

Festival d’Avignon

Poil à gratter, de et avec Adeline Piketty, mise en scène de Laurence Campet

 

©Victor Tonelli-

©Victor Tonelli-

Ne pas se fier au titre : ça gratte, mais ça ne rigole pas, même si l’on sourit parfois de ce que dit d’elle-même, Chantalle, la clocharde. Elle gratte beaucoup plus profond. Ses premiers mots : «Je suis une femme», alors que nous avons devant nous, une silhouette indécise, épaissie par des couches de vêtements sombres, sans forme. Et ces premiers mots disent tout: sa force, sa vulnérabilité, l’injustice et la saloperie de l’ordre du monde.
De cet ordre,  Chantalle ne veut plus. Alors, elle s’est construit une bulle de crasse, de mauvaise odeur. Là, elle est protégée, intacte, là, elle trouve son identité. Là, est le sens de sa prophétie : demandez-vous ce qui pue vraiment dans cette société. Là, est sa révolte : faire triompher le désordre, parvenir au chaos.

Adeline Piketty est de ces actrices rares qui imposent d’emblée un présence forte et troublante, à condition d’avoir un rôle correspondant à sa trempe. Celui-là, elle se l’est écrit, en écoutant une personne qu’en général on écoute peu et devant qui l’on fait un grand détour. De cette femme qui fait baisser les yeux aux passants, la clocharde de la rue de la Roquette, elle a transcrit les paroles muettes, ou inaudibles. Et elle a entrevu ou imaginé des pans de vie où elle sort de son isolement : retrouvant ses réflexes d’ancien médecin pour secourir un bébé Rom, jouant à faire des grimaces avec une petite fille… Ce que l’on ressent ? Surtout sa solitude massive, fière. Cela donne un théâtre, bourré d’émotion retenue, avec une vitalité animale qui renvoie à la question de l’humanité.  Du solide, de l’implacable…

La mise en scène fait passer très simplement la comédienne, de l’incarnation au récit : d’un geste, d’un déplacement, elle s’adresse au public, et cela permet des respirations dans ce texte intense. Sans pathos, sans folklore urbain : le travelling est une question de morale, disait Jean-Luc Godard. La rigueur, la sobriété du costume et de la mise en scène, c’est du respect en actes. Voilà un texte rare et une grande comédienne : que demander de plus ?

Christine Friedel

Espace Alya, 14 h 30, jusqu’au 28 juillet. 31 bis rue Guillaume Puy, Avignon. T. : 04 90 27 38 23.

 

 

Shakespeare vient dîner, de William Shakespeare mise en scène d’Aude Denis et Thomas Gornet

 

Shakespeare vient dîner de William Shakespare, mise en scène d’Aude Denis et Thomas Gornet
 
©horric.comNous sommes chaleureusement invités à prendre place dans la salle, accompagnés par un homme et une femme élégants, tout vêtus de noir. Un invité se fait attendre, puis des coups de sonnette retentissent, ils se précipitent à la porte, mais cet invité-mystère ne vient pas… Shakespeare viendra-t-il dîner?

Quelques images s’échappent alors d’un vieux projecteur super 8 manipulé par le jeune homme, puis ce sont les murs d’une cuisine en stratifié comme dans les années 60 qui occupent l’écran de fond. A bien y regarder, on y découvre quelques anomalies, comme une poule qui picore le carrelage. On entend à la radio quelques vieilles réclames pour Cointreau, Alsa ou Aspro, pendant qu’une jeune femme prépare une recette à base de légumes. Un feuilleton commence sur les ondes,  et elle se prend à en suivre l’action, jusqu’à animer courgettes et brocolis pour qu’ils deviennent Démétrius, Hermia ou Titania du Songe d’une nuit d’été de Shakespeare ! A la fois drôle et très bien vu: le satyre est représenté par un couteau avec un manche en pied de chevreau, et la forêt prend vie avec une botte  de persil …

Lui débarrasse vite la table, pour en dresser une autre, celle d’un bistrot chic, pendant que la vidéo et la musique nous occupent.  La jeune fille lit Macbeth. Ici, la tragédie est suggérée par un steak de viande rouge avec épices et  du sang… Pour finir en apothéose, nous voilà transportés à la fin d’une  dans une noce avec gueule de bois des invités garantie et pièce montée dégoulinante. C’est bien sûr, Roméo et Juliette dans une salle des fêtes de village. Les protagonistes des deux familles ennemies sont représentées par des petits verres remplis de liquide bleu ou rose:  Montaigu ou Capulet.Là encore, les objets collent toujours bien à l’histoire. Grâce à la manipulation simple et efficace de Caroline Guyot, c’est drôle et la narration a toujours le dessus. Les  acteurs n’essayent jamais de nous en mettre plein la vue,  quitte à passer « par-dessus » l’histoire.

Un spectacle pour découvrir Shakespeare? Oui, mais mieux vaut surtout pour les plus jeunes, avoir déjà un peu avoir lu ces pièces, de façon ne pas être trop perdu dans les scénarios dont Caroline Guyot tire quelques épisodes pour que le spectacle dure une heure, temps imparti pour la représentation… La créatrice a rencontré récemment le théâtre d’objets avec des formateurs comme Christian Carrignon et Katy Deville du Théâtre de Cuisine, et Agnès Limbos, de Gare Centrale…Et elle y  fait une belle entrée avec ce spectacle qui vous apportera bien plus que les cinq fruits et légumes quotidiennement recommandés !
 
Julien Barsan
 
 Présence Pasteur, 13 rue du Pont Trouca, Avignon, jusqu’au 29 juillet à 19h. T. : 04 32 74 18 54

Antigone de Sophocle, traduction de Florence Dupont, mise en scène d’Olivier Py et Enzo Verdet

 

Antigone de Sophocle, traduction de Florence Dupont, mise en scène d’Olivier Py et Enzo Verdet, avec les détenus du Centre pénitentiaire d’Avignon-Le Pontet

 

©Christophe Raynaud de Lage / Hans Lucas

©Christophe Raynaud de Lage / Hans Lucas

« Tes lois sont sans valeur face aux traditions», lance Antigone à Créon. Des mots sonnent de manière particulière, quand ils sont incarnés par un homme devant ses codétenus. La tragédie, ramassée ici en cinquante minutes,  concentre le débat autour des questions de la justice humaine, imposée par Créon, un tyran aveuglé par son autoritarisme.  « Même si mes lois ne sont pas justes, dit-il, Il faut que je défende la société et l’ordre établi sans me laisser diriger par une femme … ».

 Comme Prométhée et Hamlet, deux précédents spectacles d’Olivier Py, le maître d’œuvre de ce projet,  Antigone est né en prison: «  Il y a deux ans, dit-il, que nous travaillons et jouons Antigone d’abord au Centre pénitentiaire, et maintenant au Festival. En prison, il y a ceux qui partent. La troupe varie donc. » Aujourd’hui, ils sont sept acteurs de l’atelier-théâtre que dirige depuis 2004 Olivier Py avec Enzo Verdet: Gryne, Jacques, Jean-Michel, Mourad, Paul Andria, Pierrick, Redwane et Youcef.

 La violence de cette tragédie réduite a minima, apparaît dans sa brutalité. Pour tout décor, la photo d’un vaste champ de ruines derrière un praticable carré, celui de Pur Présent (voir (Le Théâtre du Blog) autour duquel le public est installé. Sans accessoires, les acteurs ont pour seul appui, la traduction dépouillée et tranchante de Florence Dupont. Avec un jeu clair et franc. Sans temps psychologique. Ils s’envoient les répliques à bout portant.

Créon apparaît, nerveux et rigide, en costume noir. Antigone va l’affronter. Un duel dont elle sortira victorieuse, par-delà de la mort. Deux gestes lui suffisent pour figurer l’ensevelissement du corps de Polynice laissé  lui, « sans sépulture, son cadavre livré aux oiseaux et aux chiens », par décret de Créon. Son frère Etéocle sera mis au tombeau selon les rites funéraires dû à un guerrier.  Même simplicité dans la scène où Ismène refuse d’aider sa sœur : « Si nous transgressons la loi, nous mourrons ».  Et elle la traite de « pauvre fille ! ».
Une  situation vite campée avec un dialogue tendu : « -Antigone : Nous héritons ensemble des malheurs et des crimes d’Œdipe,  notre père. Nous sommes maudites toi et moi. Ce à quoi, Ismène lui répond : « Nos deux frères se sont entretués. » Parfois le Chœur-des voix parmi le public -intervient, hors champ. Surgissent aussi de la salle, le Messager, Tirésias, et le fils de Créon, fiancé à Antigone qui la suivra dans la tombe : pour mourir, on le voit simplement descendre du plateau et se coucher à ses côtés.

D’une rare efficacité, les mots émouvants de Sophocle s’entendent dans toute leur actualité devant la ville dévastée qui domine la scène. Et, malgré la dureté de la pièce, la poésie n’est pas loin comme dans la belle adresse de Tirésias à Créon : «Cette ville est malade à cause de toi. (…) Les oiseaux ne croassent plus les messages des Dieux, parce que leur bec dégouline de chair et de graisse humaine. (…) Oeil pour œil mort. Tu as fait descendre sous terre une fille qui appartient à la lumière. » On pense alors aux tyrans d’aujourd’hui, sourds aux  intérêts de leur peuple, enfermés dans leur superbe…

 Pour Olivier Py,  il est essentiel de travailler de grands textes : «Ce lien avec de grands textes- qui peut paraître aride-structure le quotidien de ces prisonniers qui doit donc absolument croiser une nécessité : les questions qu’ils se posent ou qu’ils veulent poser à la société. (…) Ils ont été frappés par cette Antigone qui pense que la dignité humaine est au-dessus du jugement social. (…) En prison, les détenus parlent beaucoup de cette double peine. Ils acceptent la perte de liberté mais pas celle de leur dignité. (….)  Les acteurs ont profondément compris qu’il y a dans Antigone, l’idée qu’un homme reste un homme, quoiqu’il ait fait.»

 Et nous partageons volontiers les questions de ces prisonniers sur la justice et les lois,  jusqu’à nous demander si l’injustice sociale ne serait pas la vraie coupable ? Joué dans un nouveau lieu hors les remparts, à deux pas de la porte Saint-Lazare, ce spectacle a rencontré un public chaleureux, saluant autant les acteurs que l’initiative. A en croire Olivier Py: « C’est un exploit juridique et administratif de pouvoir présenter cet atelier. » « Les représentations d’Antigone, précise le programme du festival sont conditionnées, aux autorisations de sortie délivrées quelques jours avant, par l’autorité judiciaire. »

 Mireille Davidovici

 Le spectacle a été joué  du 18 au 20 juillet, à la Scierie, 15 boulevard Saint-Lazare, Avignon.

In Vino Delyr, de et par Bruno Duchâteau et Sylvie Marin, mise en scène de Luc Chareyron

Festival d’Avignon :

 In Vino Delyr, de et par Bruno Duchâteau et Sylvie Marin, mise en scène de Luc Chareyron

Plus que des chansons à boire : des chansons à déguster, à savourer, et parfois à jeter par dessus l’épaule pour faire place à la prochaine. Des airs connus ou réveillés de l’oubli, dont les paroles ont été parfois réécrites pour la bonne cause : celle des femmes et du vin.

Pas seulement une affaire d’hommes : Sylvie Marin a plus que son mot à dire sur la question : elle a son chant, presque vinaigré dans certaines chansons satiriques, profond et limpide comme un vieux Bourgogne, veloutée comme un bon Bordeaux quand elle emprunte au répertoire de l’opéra, à commencer par le célèbre Libiamo de La Traviata, ou prend une lampée de Gounod, de Bizet ou Villa-Lobos.

Mais les chansons emmènent le plus souvent sa voix du côté d’un champagne rosé ou doré. nuancé et délicat. Sa présence sur scène est de la même couleur et de la même finesse. Pour tout dire, elle est délicieuse.  Bruno Duchâteau la soutient, lui renvoie la balle, la contredit, et  empêche, avec humour, qu’elle ne devienne une impressionnante diva. Pas de risque, avec cette bohémienne dansante.

On l’aura compris, chanter l’amour et le vin ne demande pas une structure dramaturgique en acier trempé. Les enchaînements se font au gré du vin et de la litanie infinie de ses saints patrons : passons sur Emilion, et n’oublions pas Pourçain ou Chinian : quels parents actuels oseraient donner ces prénoms? Nous aurons ici l’occasion de rencontrer plus simplement Joseph, Louis (de Touraine), Nicolas (à condition qu’il soit de Bourgueil), Georges, des Nuits et le plus populaire : Saint-Amour. Pas de grande cause à soutenir avec ce In vino Delyr : uniquement celle du plaisir, délicat et drôle. C’est déjà beaucoup et les viticulteurs de la région participent au cadeau.

Christine Friedel

Atypik théâtre, jusqu’au 28 juillet à 16h50, 95 rue Bonneterie-T.04 86 34 27 27.

Bruno Duchâteau et Sylvie Marin donnent aussi des concerts à domicile. T. : 06 68 40 50 01.

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Le Petit Chaperon Uf de Jean-Claude Grumberg, mise en scène d’Axel Gopfer

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Nous n’irons pas à Avignon Gare au Théâtre: 

Le Petit Chaperon Uf de Jean-Claude Grumberg, mise en scène d’Axel Gopfer

Devant une cahute à porte rouge mal ficelée, un loup plocier surgit. C’est Wolf qui va arrêter le petit Chaperon Rouge en exigeant des documents pour la laisser passer. Il la menace avec un revolver, empoche sa carte, lui arrache son capuchon rouge et veut lui en faire porter un jaune tout sale. Il lui apprend la triste vérité : elle est Uf et, comme pour tous les Ufs petits et grands, tout ou presque lui est interdit. Jean-Claude Grumberg revisite ici avec humour le célèbre conte populaire.

Elle veut appeler la police, mais en vain. Il vide son sac, mange sa galette, lui interdit le beurre, il mange tout et s’endort. Petit Uf ne veut pas jouer avec Oncle Wolf. Elle avoue que le code pour réveiller Mère Grand, est:  « C’est du bon tabac ».

Wolf mange aussi sa marmelade de coings, et gagne la course pour arriver chez Mère Grand, se déguise en Chaperon Rouge, mais Mère Grand refuse d’ouvrir. Le Petit Chaperon Uf arrive démasquée  et veut raconter la véritable histoire. La police arrive et  enferme le Loup. Marina Romary et Quentin Cabocel s’affrontent dans une conclusion chantée. Avec Jean-Claude Grumberg, ce conte devient une parabole douce-amère sur l’intolérance, sous la forme d’une allègre comédie musicale. Il nous emmène vers une dénonciation du racisme où notre pays baigne en ces temps d’exclusion de toux ceux qui fuient la mort dans leur pays.

Edith Rappoport

Spectacle vu le 22 juillet, à Nous n’irons pas à Avignon, à Gare au Théâtre, Vitry-sur-Seine (Val de Marne). compagnie.intranquille@gmail.com

Certaines n’avaient jamais vu la mer de Julie Otsuka, mise en scène de Richard Brunel

 

Certaines n’avaient jamais vu la mer de Julie Otsuka, mise en scène de Richard Brunel

(C) Jean-Louis Fernandez

(C) Jean-Louis Fernandez

«Sur le bateau, nous étions presque toutes vierges. Nous avions de longs cheveux noirs, de larges pieds plats et nous n’étions pas très grandes. Certaines d’entre nous n’avaient mangé toute leur vie durant que du gruau de riz et leurs jambes étaient arquées, certaines n’avaient que quatorze ans et c’étaient encore des petites filles. D’autres venaient de la ville et portaient d’élégants vêtements, mais la plupart d’entre nous venaient de la campagne, et nous portions pour le voyage le même vieux kimono que nous avions toujours porté-hérité de nos sœurs, passé, rapiécé, et bien des fois reteint. »

Ainsi débute le roman de Julie Otsuka qui évoque le terrible sort de ces japonaises de la première moitié du XX ème siècle. En débarquant à San Francisco, elles pensaient avoir une vie meilleure mais elles ont très vite déchanté. D’autant que la deuxième guerre mondiale mettait en cruelle opposition les deux pays.
Richard Brunel, directeur de la Comédie de Valence,  a adapté ce roman, dans une mise en scène cinématographique. Il nous plonge dans cette réalité méconnue pendant deux  heures… avec quelques longueurs. Illustrée par des tableaux très visuels et des projections vidéo, les  témoignages se succèdent, repris par les comédiennes…
Nous comprenons vite que le sort de ces jeunes immigrés japonaises pleines d’illusion va leur être défavorable dès les années vingt. D’autant qu’en 1941, l’aviation japonaise va bombarder Pearl Harbor. Cette bascule de l’histoire sera un des prétextes à l’expulsion de toutes ces américano-japonaises…

Les comédiennes sont justes et crédibles et Richard Brunel a su rendre efficace ce théâtre-récit, grâce à une scénographie mouvante faite de praticables et châssis mobiles, encadrée par les vieilles pierres du Cloître des Carmes. Natalie Dessay, en bourgeoise américaine chrétienne prise de remords devant cette situation, clôt cette parenthèse de l’histoire peu glorieuse des Etats-Unis.

Un beau travail qui fait renaître la mémoire de ces femmes à qui le metteur en scène rend ainsi un bel hommage.

Jean Couturier.

Cloître des Carmes, Place des Carmes, Avignon, jusqu’au 24 juillet à 22 heures.      

 

Café Polisson, conception de Nathalie Joly, mise en scène Jacques Verzier

(C)Sophie Boeglin

(C)Sophie Boeglin

 

Café Polisson, conception de Nathalie Joly, mise en scène de Jacques Verzier

A propos de l’érotisme dans ce film contreversé, L’Empire des Sens de Nagisa Ōshima ( (1933-2013) Jean-Louis Bory disait: «Quand on baise sur du Mozart avec des lumières de Georges de La Tour, quand on fait des fellations sur des cantates de Bach, c’est érotique…» Il dénonce le  terme pornographie  réservé à l’époque aux classes sociales les moins aisées. Internet a changé tous ces repères, mais à la fin du XIX ème siècle, les chansons surtout véhiculaient le mieux l’érotisme. Café polisson n’a pas eu besoin de ce qualificatif pour connaître le succès depuis sa création  il y a deux ans ans à l’auditorium du musée d’Orsay,  pendant l’exposition Splendeurs et misères, images de la prostitution 1850-1910

Nathalie Joly dit et chante, entre autres : Yvette Guilbert, Aristide Bruant, Vincent Scotto… Elle nous transporte dans un cabaret parisien de la « Belle Époque », aidée par une danseuse, Bénédicte Charpiat, du pianiste Jean-Pierre Gesbert et de Marion Chiron au bandonéon. Tous dans de beaux costumes  signés Claire Risterucci. Et on peut voir sans doute inspirés par des tableaux de l’exposition, on voi un moment intime, ou un rendez-vous avec un verre d’absinthe, dite la fée verte…
Des chansons grivoises, drôles, parfois crues et souvent pathétiques, parlent d’un état de la société où la prostitution était partout dans Paris…  De la mondaine entretenue à la demi-mondaine des beaux-quartiers, de la professionnelle du trottoir à Pigalle ou à la Lorette à … Notre-Dame de Lorette. Ou bien encore de la maison close aux règles strictes (voir Guy de Maupassant) et codifées par la loi, à la jeune ouvrière au salaire de misère qui n’avait pas d’autre choix pour compléter un salaire de misère, et vivre un peu moins mal, et parfois assez bien.  Mais  comédiennes, chanteuses ou danseuses, modèles de peintres, avaient aussi discrètement quelques clients, c’est dire que la prostitution était au cœur des activités artistiques des grandes villes. Tout cela avec la bénédiction de l’Etat.

«A qui veut casquer, pour un prix modique, je promets de faire, et sans nul chiqué Un travail soigné, tiré du classique. Pour un prix modique, à qui veut casquer …» cette air populaire ouvre le bal d’une succession de chansons interprétées ici avec une grande justesse par ces artistes.
Un remarquable spectacle qui participe d’une étude sociologique des années 1900. A revoir ou à découvrir…
Jean Couturier

Espace Roseau, 8 rue Pétramale, Avignon, jusqu’au 29 juillet, à 18 h.

Tartiufas, Tartuffe, de Molière, mise en scène d’Oskaras Korsunovas

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Festival d’Avignon

Tartiufas, Tartuffe, de Molière, mise en scène d’Oskaras Korsunovas, (spectacle en lituanien surtitré en français)

 C’est bien la pièce de Molière qui est jouée ici : un coucou s’installe  dans un nid et mange la  famille de l’intérieur : fille, femme, fortune. Et il pousse l’oisillon dehors pour faire sa place, tout ça avec la bénédiction du père. Ou encore : l’histoire d’un mâle dominant (ou se croyant tel), Orgon qui se soumet à un autre mâle dominant, et l’invite chez lui : il paraît que ça arrive entre les lions de la savane….

Molière s’en prenait aux hypocrites qui se servent de la religion pour s’emparer de tous les pouvoirs et des jouissances qui vont avec. Oskaras Korsunovas lui, suggère que tous les  autres personnages sont aussi hypocrites que Tartuffe, et que le prétexte religieux n’ a plus de nécessité: il n’est plus question ici que de politique. Déjà vrai dans la pièce originale. Donc ici : une Elmire allumeuse, un Orgon plastronnant, Damis et Marianne en ados soumis mais affichant les insignes de la révolte, une Dorine peu efficace dans ses projets (l’instant de vérité sociale ?),  et une madame Pernelle d’autant plus retentissante que l’actrice souligne la brièveté de son rôle. Quant à Tartuffe, personnage principal, il galope le plus souvent dans le décor…  Amant du placard qui a eu juste le temps de faire une boule de ses vêtements. Tartuffe en farce, pourquoi pas ? Ici,  haute en couleurs, elle ne manque ni de fantaisie et d’insolence, ni d’un mauvais goût gaillardement assumé. Certains comédiens sont de merveilleux improvisateurs et nous cueillent au tournant : impossible de ne pas rire parfois, même si nous sommes déçus par le déroulement du  spectacle. Mais, mais, mais… Korsunovas, qui nous avait éblouis par son originalité (entre autres, avec son Roméo et Juliette en 2003), a succombé à la mode de suivre avec une caméra  vidéo les acteurs dans les coulisses, où du reste, ils trouvent une autre dimension, plus grave. Mais le procédé alourdit inutilement le spectacle, crée de fausses attentes mais…  de vraies longueurs ! Le public espère avec patience que la farce reprendra. Mais qu’est-ce qu’une farce perdant son rythme en route ?

Quant au propos politique, il apparaît sur l’écran, sous la forme de savoureux serrages de mains électoraux sur un marché, et avec sur fond de  liesse populaire tout à fait opportune, agitation de drapeaux tricolores. Tartuffe prend alors les allures d’un président de région en campagne perpétuelle, ou de certains autoproclamés leaders populistes. Mais cet aspect de son personnage est mal raccordé à tout ce qui s’est passé auparavant, à l’histoire de cette famille. Sinon peut-être sur le thème du manque total de scrupules, du mépris des autres et du sans-gêne supposés nécessaires pour prendre et de garder le pouvoir… Sans compter la double, triple, quadruple personnalité qui permet de retourner les scandales et d’échapper à tout.

Tout cela se passe dans un labyrinthe à la française en escaliers (seul hommage, avec un lustre à pendeloques, à Molière, serviteur de Louis XIV), où tout le monde cavale, mais dont les possibilités de cachettes ne sont guère utilisées. La fameuse table sous laquelle sa cache Orgon, un banc de plexiglas transparent, devient urne électorale : bon, mais cette image de “transparence“ n’est pas des plus légères…

 Par moments (points d’orgue ou points d’ironie ?), le metteur en scène utilise des lumières  stroboscopiques de boîte de nuit, mais aussi le plein jour,  avec  ouverture de portes extérieures. On ne lui reprochera pas cet opportunisme-c’est dans l’improvisation qu’il est le meilleur- mais la lourdeur du spectacle, oui. Il nous arrive assez de râler contre les adaptations lointaines des chefs-d’œuvre. Mais celui-ci aurait mérité, vu le talent particulier de Korsunovas, d’être bien plus bousculé ! Bref, on aura beau tourner l’affaire dans tous les sens et féliciter les acteurs, le spectacle ne fonctionne pas. Beaucoup de bruit et de travail pour nous montrer que la politique peut être une chose vulgaire et lourdingue ? Hélas, on le sait.  Pis : cette vision n’aurait-elle pas, en elle-même, quelque chose de populiste ? Et cette mise en scène dont on attendait beaucoup, reste entre deux chaises et… chute.

Christine Friedel

Spectacle présenté à l’Opéra Confluence, Avignon, du 17 au 21 juillet.

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