Festival de Marseille (suite)
Kirina, conception et chorégraphie de Serge Aimé Coulibaly, direction et création musicale de Rokia Traoré, livret de Felwine Sarr
©philippe-magoni
Après Kalakuta Républik, salué par la critique au dernier festival d’Avignon, le chorégraphe belgo-burkinabé se lance, avec sa compagnie Faso Danse, fondée en 2002, dans l’évocation de la bataille de Kirina qui, en 1.235 , a vu la victoire de Sundjata Keita sur le tyran Soumahoro Kanté, oppresseur du peuple mandingue et marque l’avènement de l’Empire du Mali qui domina l’Afrique de l’Ouest pendant plusieurs siècles…. Kirina évoque la geste du premier empereur, né infirme. On assiste à sa mue en héros, à la coalition qu’il suscite, puis aux combats qu’il mène et au terrassement des ennemis.
La scénographe Catherine Cosme a imaginé des piles de tissus en hautes colonnes mobiles, baignées dans une lumière rouge. Neuf interprètes, vêtus du blanc au grège se déploient avec des mimiques expressives. Ils virevoltent, s’élancent dans les airs, chancellent, tombent et se relèvent, habités par une énergie vitale. En contrepoint dans la pénombre, puis de plus en plus présents, défilent calmement une quarantaine d’amateurs marseillais, procession figurant les éternelles migrations des peuples. Serge-Aimé Coulibaly dit avoir travaillé sur plusieurs pistes à partir du livret de Felwine Sarr. Pour l’écrivain sénégalais, chantre de l’émancipation africaine : “La lutte est une ordalie. Elle libère les peuples des jougs sous lesquels ils ploient.”
Lâchant souvent un fil narratif peu évident, le chorégraphe a développé des séquences d’une grande énergie, commentées par un conteur et soutenues par la musique et le chant. Aly Keita, Youssouf Keïta au balafon, Saidou Ilboudo à la batterie, Mohamed Kanté à la base et Yohann Le Ferrand à la guitare, mêlent avec excellence les sonorités africaines aux riffs jazzy. Naba Aminata Traoré et Marie-Virginie Dembelé chantent magnifiquement les épisodes de cette épopée. On regrette seulement le manque de surtitres pour éclairer le sens de cette histoire mythique et fondatrice. Mais le chorégraphe estime qu’il appartient à chaque spectateur de décrypter et de trouver son chemin dans cette œuvre.
Restent d’impressionnants passages dansés comme le duel interprété par Issa Sanou et Ahmed Soura, la gestuelle saccadée (et un peu forcée) de Marion Alzieu se débattant face à des jets continus d’étoffes rouges arrachées au décor. Sauouba Sigué clôt la pièce avec un impressionnant solo : renaissant d’entre les morts qui jonchent le champ de bataille, il se livre à une danse féline, héros redoutable ou monstre de l’Enfer.
Entré dès le début dans la compagnie de Serge Aimé Coulibaly, ce danseur mène parallèlement une carrière de chorégraphe avec sa troupe lyonnaise, et commence une résidence à Hambourg. Malgré l’excellence des musiciens et des interprètes -qui forcent parfois un peu trop le trait- le public se sent frustré de n’avoir perçu qu’en filigrane, cette chanson de geste, annoncée comme équivalent des grandes sagas orientales, bibliques et africaines, avec leurs batailles, leurs héros et leurs sacrifices…
Domo de Europa Historio en Ekzilo (Maison de l’histoire européenne en exil) /Vivo en la eksa Europa Unio (La Vie dans l’ancienne Union Européenne), concept et réalisation de Thomas Bellinck, dramaturgie de Sébastien Hendrickx
Avec cette exposition au MUCEM, dans le cadre du Festival de Marseille, Thomas Bellinck poursuit sa réflexion sur le devenir de l’Europe. À la croisée du théâtre, de la performance, des arts visuels et du cinéma, l’artiste belge a déjà réalisé plusieurs « événements » : avec des immigrants sans-papiers menant une grève de la faim, des détenus de la prison de Louvain, des patients d’un hôpital psychiatrique…. Il développe actuellement le projet Simple as ABC qui traite de la «machine migratoire en Europe de l’Ouest».
Dans la lignée de ses actions avec Domo de Eŭropa Historio en Ekzilo, créé en 2013, à Bruxelles,il imagine qu’une catastrophe a mis fin à l’Union Européenne et analyse la faillite de cette utopie. Cinq ans plus tard, à Marseille, ce qui n’était encore que de la politique-fiction rejoint la réalité et Thomas Bellinck a dû réadapter son panorama historique : Vivo en la eksa Europa Unio présenté par les «Amis de l’Europe réunifiée » (La Amikoj de Kunvenitaj Europo). «Avec le Brexit ou la crise ukrainienne, il y a beaucoup trop de réalité dans l’exposition. Je dois maintenant imaginer de nouvelles fictions, de nouveaux points d’ancrage »…
Le scénographe Stef Stessel a reconstitué un musée désaffecté, labyrinthe poussiéreux abritant les vestiges d’une union européenne désormais défunte, que le visiteur va parcourir en solitaire. Dans l’antichambre où on attend son tour avant d’entrer, il y a une grande carte d’Europe : la France, l’Italie, l’Angleterre, la Belgique sont sorties de l’Union alors que de petits Etats l’ont rejointe en 2023 comme le Montenegro, l’Ecosse et la Serbie… L’itinéraire, balisé en espéranto (comme le titre de l’exposition), langue aussi artificielle et moribonde que l’idée d’Europe-Unie, comporte douze stations.
Nous remontons à l’orée de l’an 2000 plus de cinquante ans avant la crise. D’abord la réserve où s’entasse un bric-à-brac de souvenirs, du portrait de Lénine à des drapeaux défraîchis. Des archives réelles ou fabriquées, sont présentées dans des vitrines ou sur de grands panneaux, salle après salle, et on va revoir les étapes de ce projet de paix et de progrès. Des morceaux du mur de Berlin, des maquettes de billets de banque : de l’écu à l’euro, des tonnes de paperasses administratives : «Aux heures les plus florissantes de l’Union, 80 % des décisions en matière de règlements des États membres se prenaient au niveau européen ». Des centaines de cartes de visite de lobbyistes …. Mais La Longue Paix (Longan Pacon) fait place à la Grande Récession (Granda Recesio) puis à la montée des populismes et au repli identitaire : drapeaux noirs et insignes fascistes s’exhibent… : «L’Europe replongea et redevint ce qu’elle avait toujours été, un continent divisé politiquement», concluent les Amis de l’Europe réunifiée.
Malgré l’atmosphère volontairement étouffante et délétère de ce lieu, catacombe ou tombeau où s’entassent des reliques oubliées, nous sommes séduits par l’humour qu’introduit cette dystopie. Thomas Bellinck met à distance avec intelligence et malice l’histoire en train de se faire sous nos yeux. Ce parcours sensible et raisonné nous invite à regarder la réalité en face, même si certains eurosceptiques risquent de prendre cette installation au pied de la lettre.
Mireille Davidovici
Création le 29 juin à la Friche de la Belle de Mai Marseille
Et les 18, 19, 22, et 23 août, Ruhrtriennale (Allemagne); les 19 et 20 septembre Romaeuropa Rome (Italie); les 28 et 29 septembre/Divadelná, Nitra (TBC).
Le 19 octobre, De Grote Post, Oostende . les 22 et 24 octobre, Théâtre de Namur (Belgique) ; le 29 octobre et 2 novembre Les Récréatrales, Ouagadougou (Burkina Faso).
Les 6 et 7 novembre, Mars, Mons et les 8 et 9 novembre, Vooruit, Gand (Belgique). Et Le 5 novembre, Espace des Arts, Chalon-sur-Saône
Le calendrier de tournée des spectacles programmés pendant le Festival est régulièrement mis à jour et consultable sur bit.ly/2kyejvr
Domo de Europa Historio en Ekzilo/ Vivo en la eksa Europa Unio, jusqu’au 31 août Mucem/Fort Saint-Jean, Marseille T. : 04 84 35 13 13
Festival de Marseille, du 15 juin au 8 juillet, 23, rue de la République, Marseille IIème (Bouches-du-Rhône). T. :04 91 99 02 50
Kirina fait partie des trois spectacles soutenus en 2018 par L’ExtraPôle (avec Thyeste de Thomas Jolly et Épouse-moi de Christelle Harbonn) » Ce dispositif, mis en place par la Région Sud (PACA), territoire des festivals par excellence, est piloté par La Friche La Belle de Mai à Marseille et inclut de grandes structures régionales. L’ExtraPôle sera présenté au festival d’Avignon, parmi d’autres débats du 9 au 14 juillet sur la Péniche de la Région PACA, Porte de la Ligne Avignon (Vaucluse)