La place des femmes au festival d’Avignon

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La place des femmes au festival d’Avignon

 

“Je vous remercie pour ce Molière./Probablement, le seul Molière que je recevrai jamais. (…) Mets-toi bien ça dans le crâne, petite bonne femme créatrice : la Cour d’Honneur et les Molières ne sont pas pour toi.», déclare Carole Thibault à David Bobée, qui l’invitait à participer à un épisode de son feuilleton sur le genre :« Mesdames Messieurs et le reste du monde, décliné en treize rendez-vous. Ce 13 juillet, l’autrice et directrice du Centre Dramatique National de Montluçon, simule une cérémonie des Molière. Son texte fera la tour des réseaux sociaux et défrayera la chronique avignonnaise, avant que la Coupe du monde de foot et l’affaire Benalla ne viennent imposer leur actualité… Nous avions évoqué les études et les luttes menées par l’association H/F  (voir Le Théâtre du Blog) mais ce festival a servi une fois de plus de tribune pour revenir sur l’inégalité flagrante entre femmes et hommes dans le secteur culturel.

 Bref rappel des statistiques publiées par le Haut Conseil à l’égalité entre les hommes et les femmes : dans la totalité du spectacle, aujourd’hui en France, 23% seulement des subventions publiques d’Etat vont à des projets portés par des femmes qui représentent 11% seulement des spectacles programmés sur toutes les scènes. Mais elles ne reçoivent que 4 à 12% des récompenses. Le Festival In n’est pas loin de ces chiffres, contrairement à ce qu’annonce sa direction, selon un nouveau décompte effectué par l’association H/F.  En réalité, la thématique du « genre » semble avoir occulté la question de la parité entre hommes et femmes dans le monde de la culture.

 Carole Thibault exprime sa colère: «Cette année, sur la totalité des spectacles et expositions programmées dans le festival In, on recense 25,4 % d’artistes créatrices. Et encore on peut remercier la S.A.C.D. qui exige dans les Sujets à vif la parité. Sans ces petites formes performatives de seulement  trente minutes chacune, (il ne faut rien exagérer non plus !), on ne serait même pas à 20% de créatrices dont les spectacles sont programmés. » (…) Elle poursuit : «Les femmes se sont fait niquer à la Révolution française. Elles se sont fait niquer durant la Commune. Elles se sont fait niquer durant le Front Populaire. Elles se sont fait niquer en 68. Et elles se font encore niquer à ce grand festival dont le thème revendiqué cette année est … le « genre », et dont une des seules rencontres thématiques s’intitule : Les Femmes dans le spectacle vivant, doit-on craindre le grand remplacement ? ( !!!)  Et c’est comme ça, qu’on se fait niquer, depuis de siècles, des décennies, des années, des mois.

Les femmes artistes : moins nombreuses, moins payées, moins aidées, moins programmées, moins récompensées, moins dirigeantes… Fort opportunément, le collectif H/F a organisé une table ronde, modérée par Aline César, au cloître Saint-Louis à Avignon sur la question de l’égalité femmes hommes,  selon le rapport du Haut Conseil à l’Egalité (voir Le Théâtre du blog).   Avec: Anne-Françoise Benhamou, professeure en études théâtrales à l’Ecole Normale Supérieure-Ulm, David Bobée, metteur en scène, directeur du Centre Dramatique National Normandie-Rouen, Claire Guiraud, secrétaire générale du Haut Conseil à l’Egalité entre les femmes et les hommes, Laëtitia Guédon, metteuse en scène, directrice des Plateaux Sauvages à Paris, Blandine Métayer, comédienne et autrice, membre du Tunnel de la Comédienne de cinquante ans-AAFA, Catherine Petit, directrice de cabinet de Marlène Schiappa, Secrétaire d’Etat chargée de l’Egalité entre les femmes et les hommes, Guillaume Prieur, directeur des Affaires Institutionnelles et Européennes à la S.A.C.D.  et Agnès Saal, chargée d’ une mission au secrétariat général du ministère de la Culture, consistant à piloter la double démarche de labellisation «égalité professionnelle» et «diversité ».

Aline César a rappellé qu’avec l’affaire Weinstein,  «les violences sexistes se sont révélées dans le monde de l’art où règne une puissante omerta. Mais une conscience plus aigüe de la question des femmes semble s’être éveillée. Les femmes resteront-elles d’éternelles mineures signant 75% des spectacles jeune public ? » Claire Guiraud explique, elle, que, dix ans après le rapport de Reine Prat, les chiffres n’ont pas changé, selon l’étude menée par le Haut Conseil. Le talent apparaît comme une construction sociale : « En sortant des écoles où elles sont souvent les meilleures, on considère que les femmes n’ont plus de talent. »

C’est pourquoi, dit Agnès Saal, le ministère de la Culture a publié une Feuille de route Egalité 2018-2022 qui comporte des directives précises pour faire évoluer la situation : « Le ministère de la Culture sera particulièrement attentif aux nominations à la tête des Etablissements publics de la création et définira les indicateurs permettant un suivi précis de la place des femmes dans la programmation de ces établissements. (…) En matière de nomination, est fixé un objectif national de progression de 10% par an de femmes pour les catégories de labels  où elles représentent aujourd’hui moins de 25% des dirigeants, de 5% pour les catégories de labels dans lesquelles elles représentent 25 à 40% des dirigeants actuels. » Avec des sanctions prévues : « La non-atteinte de ces objectifs comportera des conséquences financières, sous la forme d’un «malus» pour les structures labellisées qui ne respecteraient pas ces objectifs. »

«Notre pratique est sexiste et raciste, constate David Bobée. En théâtre, il y a de quoi faire une programmation paritaire, pour l’égalité salariale, c’est facile aussi. » (… ) « Mais difficile de trouver des femmes qui font des spectacles sur les grands plateaux. Il faut donc leur donner les moyens financiers pour s’emparer de grands espaces. » Il annonce que les établissements culturels de Haute-Normandie et  les élus se sont engagés à partager les subventions entre hommes et femmes et à s’ouvrir à la diversité ethnique : 30% de la population «non-blanche» en France ne se trouve pas dans les programmations.

 Anne-Françoise Benhamou mène avec ses étudiant(e)s une réflexion sur les normes esthétiques : «Je travaille avec eux sur les personnages féminins et les stéréotypes. Par exemple, dans toutes les mises en scène, Hamlet tabasse Ophélie sans réaction de sa part, autre que de pleurnicher. (…) Dans Lorenzaccio, la Marquise est républicaine, mais les dramaturgies ne prennent pas ses idées politiques au sérieux. (…) » Quant à la Critique, elle porte un regard condescendant sur les filles disant: « Peut mieux faire »,  alors qu’un garçon a du potentiel. »  (…)  L’actrice est « fine et longue, mais pourquoi sa voix reste-t-elle dans la gorge? » De fait, selon elle, les voix féminines ont baissé sur les plateaux.

 Membre du Tunnel de la Comédienne de cinquante ans à l’AAFA, Blandine Métayer, comédienne et autrice, renchérit : «On gomme la moitié des femmes des représentations culturelles : tout tourne autour de l’homme, du principe masculin. Pour conclure, David Bobée reprend : «  Si on décide de lutter contre le racisme et le sexisme, on devient responsable. En tant que directeur d’institution publique, il me semble aussi responsable de respecter la diversité. »

 Il n’y a plus qu’à faire !

 Mireille Davidovici

 Ce débat Hommes/Femmes Île-de-France, a eu lieu le 17 juillet,  au Cloître Saint-Louis, Avignon.


Archive pour 3 août, 2018

Dom Juan d’après les Molière de Vitez, mis en scène de Gwenaël Morin

 

Dom Juan d’après Les Molière d’Antoine Vitez, mis en scène de Gwenaël Morin

®PierreGrosbois

®PierreGrosbois

Gwenaël Morin qui dirige le Théâtre du Point du Jour à Lyon, s’est emparé de quatre pièces qu’Antoine Vitez présentait en Avignon puis au Théâtre de l’Athénée, voilà déjà quarante ans, pour que de jeunes comédiens fassent l’expérience du jeu sur un plateau nu, avec juste une fresque de  Pompéi en fond de scène…
Ici, seuls éléments de décor pour ce Dom Juan, une grosse caisse qu’on vient frapper par instants, et une reproduction en affiche du  David de Michel-Ange pour la fameuse scène avec la statue du Commandeur.

Les acteurs sont distribués sans égard par rapport au sexe: une jeune fille interprète Sganarelle en tablier; le mendiant est nu, on attache des rubans aux costumes contemporains des nobles, on coiffe Dom Juan d’une perruque ridicule, et on le maquille en blanc. Dona Elvire est jouée par un homme voilé de blanc, et Dom Juan va se cacher dans les rangs des spectateurs avec le mendiant court nu autour du plateau. On n’entend pas toujours bien le texte, mais, malgré la singulière folie de cette mise en scène, on goûte comme jamais cette pièce pourtant vue  si souvent… Gwanaël Morin fait habilement jaillir toute la vérité troublante de cette pièce que nous avons tous vue et revue tant de fois. En particulier, dans la mise en scène-culte d’Antoine Vitez qui aurait eu quatre-vingt-huit ans cette année, et qui se serait sans doute beaucoup amusé à ce spectacle!

La troupe interprète aussi avec la même énergie L’Ecole des Femmes, les mardis, Tartuffe ou l’imposteur, les mercredis, Dom Juan, les jeudis, Le Misanthrope les vendredis, et l’intégrale des quatre pièces, les samedis à 14 h.

Edith Rappoport

les mardi mercredi jeudi et vendredi soir à 20h et en intégrale les samedis à 14h au Théâtre du Peuple à Bussang (Vosges) jusqu’au 18 août, à 20 h. T. :  03 29 61 50 48.

Littoral de Wajdi Mouawad, mise en scène de Simon Delétang

Littoral de Wajdi Mouawad, mise en scène de Simon Delétang

©Jean-Louis Fernandez

©Jean-Louis Fernandez

Simon Delétang vient de prendre la direction du Théâtre du Peuple de Bussang, un lieu magnifique entre Franche-Comté et Alsace, fondé à la fin du XIXe siècle par Maurice Pottecher qui y faisait jouer les ouvriers de son entreprise. Après six années de direction de Vincent Goethals (Voir Noces de sang dans Le Théâtre du Blog)  qui croyait être dans un Centre Dramatique National, c’est une heureuse succession.

En exergue du programme de l’été, une belle phrase du metteur en scène :  » Tel un arbre qu’on élague, afin de lui permettre de prendre de la hauteur, je souhaite que ce premier été se concentre sur l’essentiel, la rencontre entre des publics et des œuvres majeures dans ce site exceptionnel, avec du temps libre pour réfléchir et échanger (…) La perspective de créer un spectacle avec une troupe importante, composée d’artistes professionnels et amateurs, ici à Bussang,, m’a intuitivement ramené à Littoral. Une pièce devenue entre temps, un classique du théâtre contemporain. Mon souhait  est d’offrir les plus grandes pièces du répertoire , qu’il soit classique ou d’aujourd’hui, et Littoral s’est imposé comme geste inaugural. (…) Enfin, j’ai lié la quête d’identité de Wilfrid, le personnage principal, à ma propre biographie en proposant à mon père, acteur amateur avec qui j’ai fait mes premiers pas sur scène, il y a vingt-cinq ans, d’endosser le rôle du père pour lui faire vivre cette aventure exceptionnelle de Bussang dans l’esprit familial des premières créations de Maurice Pottecher. Les amateurs, très présents dans ce spectacle, ont des rôles importants. La plupart d’entre eux ont suivi le programme de formation proposé ici toute l’année, afin de créer une vraie troupe en adéquation avec l’esprit et l’exigence de ce nouveau projet ».

En exergue sur l’écran, une phrase tirée d’Hyperion d’Hölderlin ( voir Le Théâtre du Blog)  : » Nous ne sommes rien, c’est ce que nous cherchons qui est tout.» Wilfrid est au lit avec une femme, mais au moment suprême, le téléphone sonne: on l’informe de la mort d’un père qu’il n’a jamais connu. Et sa mère était morte en lui donnant la vie… Il va voir le corps de cet homme et cherche un lieu pour célébrer ses funérailles. Mais il est rejeté de partout, et les cimetières sont pleins.

Wilfrid fait alors appel au chevalier de Guiromelan qui ne parvient pas à l’aider. Une reproduction du  Christ mort couché dans son linceul l’imposant tableau de Philippe de Champaigne, est projetée sur le mur du fond qui s’ouvre à quatre reprises sur la forêt de Bussang.
Wilfrid dialogue avec son père mort revenu à la vie mais dont il porte le corps sur son dos, suivi par toute une troupe qui tourne en rond sur le plateau. Il erre de cimetière en cimetière, tous pleins,  et finit par arriver au bord de la mer, où il pourra enfin enterrer ce père qu’il n’ a jamais connu.

Le spectacle, interprété avec beaucoup d’humour par une troupe solide,  nous offre une vision exaltante de cette pièce dont Wajdi Mouawad avait lui-même réalisé une belle mise en scène au Théâtre 71 de Malakoff.


Edith Rappoport

Tous les mercredis jeudi vendredi et dimanche à 15h au Théâtre du Peuple de Bussang (Vosges)  jusqu’au 25 août à 15 h. T. : 03 29 61 50 48

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