Tentative(s) d’Utopie vitale, texte et mise en scène de Marie-Do Fréval

68860738-1190-42FC-88C6-CE141C0688D2

©Stéphanie Ruffier

 

 

Tentative(s) d’Utopie vitale, texte et mise en scène de Marie-Do Fréval

 S’il ne fallait garder qu’un mot pour qualifier ma première rencontre avec Marie-Do Fréval, ce serait : surgissement. Ce fut comme une apparition! Elle déboule au coin d’une rue du XIIIème arrondissement parisien et déplie son immense drapeau rouge, sans étiquette, qui fait tant plaisir à voir,  et qui claque au vent et calligraphie l’espace autour d’elle. Elle : la femme à moustache et phallus noirs !

Déjà, la rumeur la précédait. Elle avait débarqué dans de nombreux festivals pour y flanquer ses coups de pied bien ajustés dans les fourmilières de l’hypocrisie et du politiquement correct. Du Destop, avait prévenu Jacques Livchine. Ensuite vient la parole. Aussi saillante. C’est peu de le dire. Un exorcisme païen d’où sort un vomi prodigieux de tout ce que la société nous a trop obligé, croit-on, à ingurgiter et à ruminer. Passionaria à grande gueule, cette révoltée vient nous haranguer et nous réveiller avec une poésie où la bidouille, le marteau sonore, la joie de la gouaille nous cueillent sans cesse.

Du Jacques Prévert, du Michel Audiard, du Ghérasim Luca, de la langue, version art brut. Elle raconte que le déclic s’est fait à Confluences en 2014 lors d’une rencontre thématique, Un siècle de résistance  : «J’ai acté une posture improvisée, provocatrice, insolente, pour mettre en jeu ma résistance et mon impuissance. Cet acte de liberté est la naissance de ce projet d’écriture. »

Marie-Do : une nuit debout à elle toute seule. Action directe ! Et chaque soir, s’il vous plaît ! Sus aux sempiternelles déplorations lâches et catastrophistes: elle intitule modestement ses micro-essais de révolte Tentative(s) de résistance qui depuis, sont devenus un spectacle à géométrie variable et le texte a été édité. Une vache, une vieille, un avatar de Niki de Saint-Phalle, une Générale de Gaulle … On est loin des féministes à la Beyoncé : sa galerie de personnages file la gaule ! Ce grand emportement du désir qui terrasse le renoncement.

 Son nouveau spectacle, Tentative(s) d’Utopie vitale prolonge le premier. On y retrouve le même cérémonial qui historicise l’instant : date, lieu, minutage, portrait d’un personnage en lutte. Mais il semble franchir une nouvelle étape dans l’urgence. Il faut dire que l’Etat a instillé dans nos esprits que l’urgence était désormais permanente. Heureusement, Marie-Do la déplace, lui cherche un nouveau lieu et une autre formule, quitte à rêver un peu, plus grand et plus humain. Car « L’heure est grave », nous dit Rosa la rouge (Rosa Luxembourg ressuscitée), « Je veux parler de l’utopie ». Elle fustige le contrôle absolu, partout, la dépolitisation de la pensée, la géolocalisation et la connexion absolue. Elle pointe du doigt Marcel, allégorie du pouvoir, pour mieux nous interroger : « Et toi, quel cul embrasses-tu ? Quand reprendras-tu ton indépendance ? ».

La Vieille est de retour, avec une belle prosopopée adressée au Président, lui qui est justement en couple avec une vieille. Quatre-vingts-quinze ans, divorcée, la vessie sur le point d’exploser, elle fustige : «L’histoire qui lui passe dessus, qui la baise. » Il y a aussi un nouveau personnage, le «bébé triso-miné » qui, lui, résiste à la normalité. C’est le mal-aimé de Claude François, l’enfant qui bousille l’idéal parental. Chaque tentative entrelarde ainsi des poèmes et des chansons populaires détournées, et fait tomber un pan du costume, comme pour aller au plus proche de la chair de Marie-Do, elle qui ose mettre ses « maux en je(u) » et qui nous distribue des pâtes-lettres pour que chacun puisse composer ses mots.

 Oh ! Qu’ils sont beaux, ces personnages, irrévérencieux et débordants d’une vitalité culottée et mal fagotée. Ils évoquent cette marge, ces êtres sans lieu, sans affectation, mais pas sans affection et exposent des corps qui font fi des assignations de genre, d’âge, d’espèce, de couleur de peau. Ils osent sortir de l’effroi et de l’immobilité de la pensée par la prise de parole publique. Et une rencontre avec le public suit le spectacle. On ne peut qu’être transpercé par l’honnêteté profonde de cette exhibition de l’intime, par la déflagration de l’Autre qui performe, se relève et tente de trouver comment se dire. Un combat verbal et masqué. Mais en allant se poster dans les lieux de passage, en amplifiant la voix de ceux qu’on n’entend jamais, dans les interstices d’un réel que le politique refuse littéralement de voir (on boute à présent tous les faibles et les pauvres des centres-villes), il trouve sa juste place. Peut-être a-t-il une valeur propédeutique. Dans ce cas, il transformerait l’essai.

 Un gros événement festif comme le festival d’Aurillac n’est peut-être pas le meilleur endroit où sentir toute la vibration de cette apparition. Certes, hétérotopique, selon le terme façonné par Michel Foucault, cet espace-temps hors de la vie courante constitue une grâce, une échappée belle. Le festival appartient à la catégorie de ces « espaces autres » où peut se loger un nouvel imaginaire, et donc l’utopie. Toutefois, il patine et police souvent la réception et les affects. On s’y prépare à la surprise. On enchaîne parfois trop vite sur un autre spectacle.

Or, Marie-Do, figure de proue dans la tempête, allégorie vindicative des grands tableaux révolutionnaires, est à découvrir plutôt dans le flux quotidien des villes et des villages, en impromptu, au détour d’un trottoir, dans un petit café, là où, habitués du bar P.M.U. , badauds et habitants du quartier constituent la plus grosse part du public. Elle invite à la pause. Ne la manquez surtout pas, où qu’elle passe. C’est certain : vitale, elle ruera toujours dans les brancards ! Espérons que son utopie devienne virale.

 Stéphanie Ruffier

 Spectacle vu dans un café, à Paris XIIIl ème, le  11 avril.

Festival d’Aurillac, du 22 au 25 août 2018, à 18 h, rue la Bride, (pastille 61).

Tentatives de résistance(s) de Marie-Do Fréval, est paru aux éditions Deuxième époque.

 


Archive pour 21 août, 2018

Tentative(s) d’Utopie vitale, texte et mise en scène de Marie-Do Fréval

68860738-1190-42FC-88C6-CE141C0688D2

©Stéphanie Ruffier

 

 

Tentative(s) d’Utopie vitale, texte et mise en scène de Marie-Do Fréval

 S’il ne fallait garder qu’un mot pour qualifier ma première rencontre avec Marie-Do Fréval, ce serait : surgissement. Ce fut comme une apparition! Elle déboule au coin d’une rue du XIIIème arrondissement parisien et déplie son immense drapeau rouge, sans étiquette, qui fait tant plaisir à voir,  et qui claque au vent et calligraphie l’espace autour d’elle. Elle : la femme à moustache et phallus noirs !

Déjà, la rumeur la précédait. Elle avait débarqué dans de nombreux festivals pour y flanquer ses coups de pied bien ajustés dans les fourmilières de l’hypocrisie et du politiquement correct. Du Destop, avait prévenu Jacques Livchine. Ensuite vient la parole. Aussi saillante. C’est peu de le dire. Un exorcisme païen d’où sort un vomi prodigieux de tout ce que la société nous a trop obligé, croit-on, à ingurgiter et à ruminer. Passionaria à grande gueule, cette révoltée vient nous haranguer et nous réveiller avec une poésie où la bidouille, le marteau sonore, la joie de la gouaille nous cueillent sans cesse.

Du Jacques Prévert, du Michel Audiard, du Ghérasim Luca, de la langue, version art brut. Elle raconte que le déclic s’est fait à Confluences en 2014 lors d’une rencontre thématique, Un siècle de résistance  : «J’ai acté une posture improvisée, provocatrice, insolente, pour mettre en jeu ma résistance et mon impuissance. Cet acte de liberté est la naissance de ce projet d’écriture. »

Marie-Do : une nuit debout à elle toute seule. Action directe ! Et chaque soir, s’il vous plaît ! Sus aux sempiternelles déplorations lâches et catastrophistes: elle intitule modestement ses micro-essais de révolte Tentative(s) de résistance qui depuis, sont devenus un spectacle à géométrie variable et le texte a été édité. Une vache, une vieille, un avatar de Niki de Saint-Phalle, une Générale de Gaulle … On est loin des féministes à la Beyoncé : sa galerie de personnages file la gaule ! Ce grand emportement du désir qui terrasse le renoncement.

 Son nouveau spectacle, Tentative(s) d’Utopie vitale prolonge le premier. On y retrouve le même cérémonial qui historicise l’instant : date, lieu, minutage, portrait d’un personnage en lutte. Mais il semble franchir une nouvelle étape dans l’urgence. Il faut dire que l’Etat a instillé dans nos esprits que l’urgence était désormais permanente. Heureusement, Marie-Do la déplace, lui cherche un nouveau lieu et une autre formule, quitte à rêver un peu, plus grand et plus humain. Car « L’heure est grave », nous dit Rosa la rouge (Rosa Luxembourg ressuscitée), « Je veux parler de l’utopie ». Elle fustige le contrôle absolu, partout, la dépolitisation de la pensée, la géolocalisation et la connexion absolue. Elle pointe du doigt Marcel, allégorie du pouvoir, pour mieux nous interroger : « Et toi, quel cul embrasses-tu ? Quand reprendras-tu ton indépendance ? ».

La Vieille est de retour, avec une belle prosopopée adressée au Président, lui qui est justement en couple avec une vieille. Quatre-vingts-quinze ans, divorcée, la vessie sur le point d’exploser, elle fustige : «L’histoire qui lui passe dessus, qui la baise. » Il y a aussi un nouveau personnage, le «bébé triso-miné » qui, lui, résiste à la normalité. C’est le mal-aimé de Claude François, l’enfant qui bousille l’idéal parental. Chaque tentative entrelarde ainsi des poèmes et des chansons populaires détournées, et fait tomber un pan du costume, comme pour aller au plus proche de la chair de Marie-Do, elle qui ose mettre ses « maux en je(u) » et qui nous distribue des pâtes-lettres pour que chacun puisse composer ses mots.

 Oh ! Qu’ils sont beaux, ces personnages, irrévérencieux et débordants d’une vitalité culottée et mal fagotée. Ils évoquent cette marge, ces êtres sans lieu, sans affectation, mais pas sans affection et exposent des corps qui font fi des assignations de genre, d’âge, d’espèce, de couleur de peau. Ils osent sortir de l’effroi et de l’immobilité de la pensée par la prise de parole publique. Et une rencontre avec le public suit le spectacle. On ne peut qu’être transpercé par l’honnêteté profonde de cette exhibition de l’intime, par la déflagration de l’Autre qui performe, se relève et tente de trouver comment se dire. Un combat verbal et masqué. Mais en allant se poster dans les lieux de passage, en amplifiant la voix de ceux qu’on n’entend jamais, dans les interstices d’un réel que le politique refuse littéralement de voir (on boute à présent tous les faibles et les pauvres des centres-villes), il trouve sa juste place. Peut-être a-t-il une valeur propédeutique. Dans ce cas, il transformerait l’essai.

 Un gros événement festif comme le festival d’Aurillac n’est peut-être pas le meilleur endroit où sentir toute la vibration de cette apparition. Certes, hétérotopique, selon le terme façonné par Michel Foucault, cet espace-temps hors de la vie courante constitue une grâce, une échappée belle. Le festival appartient à la catégorie de ces « espaces autres » où peut se loger un nouvel imaginaire, et donc l’utopie. Toutefois, il patine et police souvent la réception et les affects. On s’y prépare à la surprise. On enchaîne parfois trop vite sur un autre spectacle.

Or, Marie-Do, figure de proue dans la tempête, allégorie vindicative des grands tableaux révolutionnaires, est à découvrir plutôt dans le flux quotidien des villes et des villages, en impromptu, au détour d’un trottoir, dans un petit café, là où, habitués du bar P.M.U. , badauds et habitants du quartier constituent la plus grosse part du public. Elle invite à la pause. Ne la manquez surtout pas, où qu’elle passe. C’est certain : vitale, elle ruera toujours dans les brancards ! Espérons que son utopie devienne virale.

 Stéphanie Ruffier

 Spectacle vu dans un café, à Paris XIIIl ème, le  11 avril.

Festival d’Aurillac, du 22 au 25 août 2018, à 18 h, rue la Bride, (pastille 61).

Tentatives de résistance(s) de Marie-Do Fréval, est paru aux éditions Deuxième époque.

 

DAROU L ISLAM |
ENSEMBLE ET DROIT |
Faut-il considérer internet... |
Unblog.fr | Annuaire | Signaler un abus | Le blogue a Voliere
| Cévennes : Chantiers 2013
| Centenaire de l'Ecole Privé...