Jusque dans vos bras par Les Chiens de Navarre
Festival d’Aurillac
Jusque dans vos bras par Les Chiens de Navarre
Le collectif créé en 2005 par Jean-Christophe Meurisse, et maintenant bien connu, construit des spectacles satiriques proches de ceux des chansonniers des années soixante mais à partir d’improvisations. Cette écriture, dite «de plateau » est très mode. Parfois pour le meilleur, avec des dialogues incisifs et drôles et pour le franchement pas bon, avec des effets faciles et racoleurs (voir Le Théâtre du blog).
Ici, sur la scène, une belle pelouse, en vraie herbe, pas en polyester comme les quelques feuilles mortes qui la parsèment. Et un lampadaire de ville au pied duquel un Africain bien seul est assis. Il chantera plus tard une vieille mélodie française. Cela commence par une annonce au public l’informant qu’on ne jouera pas le spectacle adapté pour Aurillac mais dans une version normale ! Ah !ah ! Ah ! Suit une attaque virulente sur la ville d’Aurillac qui sent mauvais et sur ses habitants. Drôle et bien sûr, au second degré, mais pas dans le genre léger…
Et l’acteur en remet une couche en précisant qu’ici tout le monde paye, sauf les gens du conseil régional qui «pourtant gagnent tous bien plus que vous». Pas très fin non plus, mais efficace: cela marche bien auprès de spectateurs qui, visiblement, connaissent déjà Les Chiens de Navarre et apprécient ce deuxième degré, même s’il rejoint parfois le premier. Puis l’acteur-animateur demande au public de se tenir par la main et de chuchoter une même petite phrase.
Dociles, et ravis comme s’ils étaient encore en colo de vacances, ils obéissent avec plaisir. Puis, arrive une belle image souvent déjà vue mais qui marche à tous les coups, au théâtre comme au cinéma, celle d’un enterrement sous une vraie pluie, avec une dizaine de personnages tous en noir ici devant un cercueil drapé du drapeau tricolore. Et sans qu’on sache vraiment comment elle est arrivée, une bagarre générale éclate, avec quelques visages dégoulinant de sang. Et une jeune femme bascule dans le cercueil, accueillie par le défunt sur fond de Marseillaise puis du fameux You Need is love des Beattles. Là, les Chiens de Navarre savent faire et bien ce genre d’images.
Il y a ensuite un pique-nique entre vieux potes déjà bien imbibés qui enfilent des lieux communs sur la politique, la vie et la sexualité. Du genre : les politiques, tous des vendus et des pédés… Et l’un d’entre eux dans un grand élan patriotique, propose de faire une campagne pour remettre sur pied le Parti Socialiste avec Lionel Jospin à sa tête, et racheter le siège historique de la rue de Solférino… Et au passage, Emmanuel Macron prend quelques baffes assez virulentes pour le plus grand plaisir du public.
Cela tourne vite, à coups de verres de vin rouge, à l’engueulade, puis au repentir du principal intervenant qui se met à pleurer. Derrière eux, un homme absolument nu, se masturbe consciencieusement. Un moment vraiment drôle, très bien joué mais… un peu longuet. Comme souvent, Les Chiens de Navarre maîtrisent mieux l’espace que le temps. Aux meilleurs moments, dans la tradition du Théâtre de l’Unité, ils n’hésitent pas à s’en prendre avec une certaine pertinence à la grandeur de la France et à l’identité nationale, même si c’est souvent un peu appuyé. Il y a ainsi un général de Gaulle maghrébin de plus deux mètres, très impressionnant, dragué par une Marie-Antoinette ridicule en longue robe et crachant le sang, une Jeanne d’Arc bien beurrée en cuirasse et cotte de maille, ou un Obélix en pleine dépression. Dans un canot pneumatique posé sur un chariot à grosses roues, des migrants demandent de l’aide au public pour tirer sur la corde de leur embarcation de fortune… Une vieille ficelle pour se concilier le public qui tire avec plaisir sur une longue corde! Il y aussi un pape noir, tout habillé de blanc qui chante une chanson de Johnny Hallyday…
Parfois, on a droit à des scènes plus construites et plus élaborées comme celle où dans un bureau de l’O.F.P.R.A. (Office français de protection des réfugiés et apatrides), un fonctionnaire interroge avec l’aide d’un interprète, un jeune Congolais. L’assistante aux cheveux décolorés à la voix nasillarde insupportable dit sans arrêt des bêtises, et l’interprète se mêle de qui ne le regarde pas. Le jeune Africain, lui, reste impassible et continue à répondre aux questions sans fondement mais le fonctionnaire, devant une situation aussi absurde qui dégénère, se confond en excuses, promet de régler très vite la situation de ce sans-papiers. Et il en vient même à lui offrir sa Twingo. Acide et drôle, ce sketch réussi- mais un peu longuet- rappelle curieusement Le Commissaire est bon enfant de Courteline…
Dans un salon -table basse, grande bibliothèque, boisson détox- un couple de bourgeois, pleins de bons sentiments, accueille chez eux trois migrants du Congo belge, qui, malgré leur visage tout rouge, ont un accent belge prononcé, et à leur grand étonnement, connaissent bien Pina Bausch et Anne Teresa de Keersmaker! Mal à l’aise et trop gentil, le couple n’en est pas à une gaffe près: «Vous avez fait un bon voyage ? » dit la dame… « Oui, mais on a mis plus de trois mois pour venir jusqu’ici, lui répond seulement un des migrants. »
Cela tient à la fois d’une parodie du théâtre de boulevard et de la farce réaliste: une vieille tradition du théâtre français, depuis le Moyen-Age, qui est ici remise au goût du jour. Mais ces sketches rondement menés par les acteurs, gagneraient beaucoup à être élagués. Et Les Chiens de Navarre pourraient nous épargner une incursion fréquente sur leur terrain de jeu préféré: le théâtre dans le théâtre. Comme cette fausse rangée de livres qu’on nous montre bien comme fausse, ou une adresse au technicien pour qu’il règle une lumière. Pénibles, ces vieux trucs usés jusqu’à la corde et auxquels personne ne croit plus une seconde! Le spectacle, trop long, patine sérieusement dans le dernier quart d’heure, et se termine plus qu’il ne finit vraiment. Avec un drapeau bleu-blanc-rouge que deux astronautes tentent en vain de planter sur une planète…
Jusque dans vos bras, qui a déjà bien tourné depuis sa création l’an passé, est donc rodé. Mais mieux vaut ne pas être trop exigeant quant à la dramaturgie. Mal construit et sans autre véritable fil rouge qu’un défilé assez sage de saynètes, il a pour thème approximatif, l’identité française. Rien donc de très provocant ni de très neuf dans la forme qui semble hésiter entre une véritable agit-prop et une comédie franchouillarde à la satire virulente. Mais, comme c’est bien joué et souvent drôle, on rit volontiers. Ce qui n’est pas un luxe dans le théâtre français actuel, très avare là-dessus… Mais on aurait aimé qu’un auteur s’empare des improvisations en amont et écrive un texte moins conventionnel et plus iconoclaste. Assez bavard, ce spectacle! et Jean-Christophe Meurisse ferait bien d’aller voir les kapouchniks, ces cabarets mensuels, très populaires du Théâtre de l’Unité à Audincourt, autrement plus incisifs et plus proches, eux, d’une véritable agit-prop…
A voir? Oui, malgré ces réserves et un prix un peu élevé: 18 € la place, dans un festival aussi populaire que celui d’Aurillac, c’est, rapport qualité/prix, quand même un peu cher!
Philippe du Vignal
Jusque dans vos bras s’est joué au Théâtre d’Aurillac, les 22, 23 et 24 août.