Souffle, par Action d’Espace, François Rascalou
Festival d’Aurillac
Souffle, par Action d’Espace, François Rascalou
La convocation tient à un fil, fragile et ténu. «Vous êtes là ?» interroge le comédien-berger, en funambule. Ses regards francs aimantent le troupeau des spectateurs, et ses étranges sauts de cabri font tinter sabots et clochettes.
Un univers sonore- auquel l’accent chantant de Pascal Rascalou ajoute une note pittoresque- nous fait immédiatement grimper sur les hauteurs montagneuses où se joue un drame pastoral. Inconnu, insaisissable, le loup est dans la bergerie, allégorie de la grande faucheuse.
Quelle étrange proposition faite d’avancées et de reculades ! L’appréhension et les ajustements sont palpables, exhibés, et on pénètre dans un territoire hasardeux et sauvage, celui des peurs enfantines où « les mots sont peuplés de bêtes». Soit un homme face à un animal : deux danseurs. Entre eux, un poème qui évoque à la façon d’une tauromachie, la visite de la Mort et le deuil du père. Petit à petit, on respire au rythme de la bête et cet étrange spectacle déambulatoire requiert une grande concentration et une adhésion à une gestuelle sautillante et louvoyante qui peut sembler triviale de prime abord. Les danseurs, en tenue de varappe, harnachent deux perches fluo jaune et orange à des élastiques et à des mousquetons. Ce qui demande beaucoup de manipulations à vue.
Parfois, la magie prend, focalise l’attention : « Je te regarde, animal, je me demande si tu sais la fin. » Les cannes sculptent dans les rues d’un quartier résidentiel, des suspensions, arches, seuils et cornes : autant d’éléments mythologiques illustrant un face-à-face homme/animal. Mais d’autres fois, il y a des flottements, à cause de déplacements sinueux et d’une métaphore, très cryptée… Au gré des étapes, naissent des saynètes : cauchemar nocturne, saut du grand plongeon, face à face agonistique… Autant de petits pas pour apprivoiser la bête fabuleuse, la condition humaine.
Cette fable se nourrit de la trame de La Chèvre de Monsieur Seguin, une nouvelle d’Alphonse Daudet. C’est une lutte inégale, faite de provocations, traques et esquives: un domptage chorégraphique de la mort du père. On y lit l’appréhension et le désir de contact. Pour adhérer à la proposition, «il faut se bichifier», accueillir Eros et Thanatos, accepter tressauts et métamorphoses, coller aux corps dansants. Devenir pair ou père.
Les grandes cannes transformables génèrent des espaces très émouvants : frontières, cercles, passages à franchir. Mais la gestion de ce Souffle se révèle subtile, et de ci, de là, la lassitude gagne : cette abstraction poétique exigeante désarçonne et il y a une certaine déperdition de public qui, au gré de la marche, se plaint de l’hermétisme. Le reste des spectateurs est fasciné. Cette proposition qui puise dans les ors mythologiques et les temps immémoriaux, ouvre de belles pistes et offre des images surprenantes. Mais elle mériterait d’être resserrée et il faudrait élaguer les gestes techniques et approfondir la diction, pour créer un duel sonore De profundis. « Partons », dit le fils, au théâtre, il me vient de drôles de pensées. » Et en effet, ce cheminement se vit plutôt comme une expérience reptilienne…
Stéphanie Ruffier
Jusqu’au 25 août, rue de Clairvivre, à Aurillac.