Vingt-quatrième édition de La Mousson d’été : Ecrire le théâtre d’aujourd’hui
Vingt-quatrième édition de La Mousson d’été : Ecrire le théâtre d’aujourd’hui
Pour certains, une première et pour d’autres, un rendez-vous culturel estival à ne pas manquer. Le public vient des quatre coins du monde, de France ou de la région, comme ce festivalier de Bar-le-Duc qui, chaque matin, se lève très tôt et repart le soir en voiture : «Surtout ne pas perdre une journée, avant la rentrée proche ! » dit-il, enthousiasmé.
Cette Mousson d’été, fondée par le metteur en scène et comédien, Michel Didym et la metteuse en scène, Véronique Bellegarde, consacrée aux écritures contemporaines du monde entier, réunit toujours et avec autant de ferveur et de curiosité, amateurs passionnés, et auteurs, traducteurs, acteurs, metteurs en scène, techniciens de théâtre. Pendant six jours, et avec souvent par la suite, la possibilité d’une mise en scène…
Dans l’Abbaye des Prémontrés, un lieu calme et magnifique, édifiée dès 1705 par l’architecte Thomas Mordillac, « La Mousson d’été propose, dit Michel Didym, une oasis spatio-temporelle, pour prendre le temps de comprendre et de ne plus avoir peur. » Ce festival ouvre aussi ses portes à une université d’été, ce qui a favorisé une évolution des programmes scolaires en littérature dramatique dans la région. Les auteurs contemporains ont ainsi pris une place importante dans l’éducation et la culture théâtrales. «Il y a vingt-quatre ans, on étudiait 85% de classiques, et 15 % de contemporains mais aujourd’hui, c’est l’inverse. »
« Cette année, comme le remarque l’auteure et metteuse en scène Pascale Henry, la programmation n’était pas fondée sur un thème précis, et le public, en ce début du festival, a pu remarquer au fil des lectures et de trois spectacles, une parole dramatique à la recherche d’un monde autre que le nôtre, dévoré par l’injustice, la brutalité et où le langage économique du management et du commerce, ont mangé tout l’espace. Celui de l’art y compris. » Un souffle poétique et politique a ainsi parcouru les différentes rencontres et lectures, pour regarder et entendre autrement le monde d’aujourd’hui, en pleine mutation sous l’emprise des nouvelles technologies dans la vie sociale, professionnelle et privée. Comment repenser l’individu en ce début du XXI ème siècle ? Une question qui a traversé plus d’un texte de cette Mousson d’été.
Un théâtre «des bruits du monde» porté par un esprit de révolte et/ou d’utopie dont témoigne notamment violente et surprenante, L’Autrice d’Ella Hickson (Angleterre):«Je veux de l’admiration. Je sens que j’ai besoin de sang. Tout le temps. Et tout ce qui est moins que ça, me désespère. Ça me donne envie de mourir», dit le personnage principal.
Ou encore Présence(s) de Pascale Henry. Troublant et onirique, le texte où se mêle blessures, mélancolie, rêve, modernité, mémoire des anciens donne une place déterminante à la voix. Ici perçue comme personnage. Elément poétique et théâtral par excellence, la voix donne une sensibilité, une couleur singulière à l’un des thèmes majeurs de la pièce : la construction d’une identité féminine. «Tout commence par un rêve. A la suite d’un cauchemar où un distributeur de billets affirme que la propriétaire de sa carte de crédit est décédée, ELLE, une femme d’une quarantaine d’années, se retrouve plongée dans une enquête criminelle intérieure, et s’adresse à elle-même, une rivière de mots et de questions. (…) La recherche des preuves et sera interrompue par un appel de sa fille. »
Au programme aussi, plusieurs pièces se projetant dans le futur ou opérant des allers et retours, à l’écriture subtile et maîtrisée. Comme dans cette lecture radiophonique de La Brèche de Naomi Wallace (Etats-Unis), mise en ondes par Pascal Deux. Le drame se passe en 1977 et en 1991, au sous-sol et sur la terrasse de la maison d’une famille ouvrière, en banlieue d’une ville américaine à moitié oubliée… La pièce se déroule dans les années 1970 et 90, ce qui nous permet de suivre les personnages sur deux générations : Jude Diggs, presque dix-sept ans, intelligente et sauvage; Acton Diggs, son frère, à peine quatorze ans, asthmatique; Frayne Mortinson, quinze ans, d’une classe sociale moyenne, assez dur, charismatique; Hoke Tafford, à peine dix-sept ans, « presque timide, presque sûr de lui», d’un milieu très aisé. Ces quatre jeunes gens se risquent à un jeu dangereux qui échappe à leur contrôle, mais quand ils sont devenus adultes, les effets de cette violence se font encore ressentir… La fable n’est pas chronologique, et ne procède pas non plus par retours en arrière mais par fragments de vie s’intercalant en 1970 ou 1990. Le public s’y est beaucoup intéressé. Saluons la qualité fictionnelle, l’écriture classique à forte tension dramatique, une belle création musicale de Frédéric Fresson et le jeu formidable des acteurs: Quentin Baillot, Thomas Blanchard, Glenn Marausse, Julie Pilod, Bertrand de Roffignac, Souleymane Sylla et Alexiane Torrès. L’enregistrement de la pièce sera diffusé sur France-Culture, le 16 septembre. Ne le ratez pas !
Autre petite perle, sur un thème mondial et très actuel, celui des migrants : Excusez-nous, si nous ne sommes pas morts en mer d’Emanuele Aldrovandi (Italie). Mais, et ce n’est pas coutume, traitée crûment, sans pathos ni cliché. Avec un humour noir, des suspenses et des coups de théâtre…Les noms des personnages : Le Gras, Le Robuste, La Belle, Le Grand… donnent le ton à cette comédie dramatique dont la lecture a été dirigée avec panache, par le metteur en scène croate Ivica Buljan: « BELLE: Tu as peur de salir ta valise, de sang ? GRAND: Non, mais… enfin, bref, tu fracasserais la tête de quelqu’un pendant qu’il dort ? BELLE: Pour éviter que lui, te la fracasse, dès que tu te dormiras. GRAND: Je ne comprends pas, comment fais-tu pour… tu le connaissais d’avant ? »
Quelques déceptions, comme la mise en espace de Philoxenia, un exercice à ne pas confondre avec une lecture, et plus périlleux et exigeant qu’il n’y paraît. Surtout avec des acteurs amateurs qui, pourtant, ne manquaient ni d’énergie ni de présence. Et une des «conversations» de La Mousson d’été, Mettre en lecture et mettre en espace, avec Michel Didym, Véronique Bellegarde et le comédien Quentin Baillot, fut éclairante d’un point de vue technique et esthétique: différences dans la direction d’acteurs, différences aussi entre mise en scène et mise en espace, et entre lecture et mise en espace. Il faut souligner la qualité des écritures et leur diversité, et le choix de thèmes très actuels. Félicitations aux comédiens, fidèles au festival pour beaucoup d’entre eux et à toute l’équipe !
On souhaite que cette Mousson d’été continue encore longtemps sur sa lancée. Sous un soleil radieux, un rendez-vous rare en littérature dramatique, au plus près du public et des professionnels. Un lieu de rencontres et de découvertes, havre indispensable à préserver, sous l’emprise du numérique et du virtuel!
Elisabeth Naud
La Mousson d’été a eu lieu, du 23 au 29 août, à l’Abbaye des Prémontrés, Pont-à-Mousson (Meurthe-et-Moselle).