Construire un feu de Jack London, version scénique et mise en scène de Marc Lainé
Construire un feu de Jack London, version scénique et mise en scène de Marc Lainé
L’œuvre de Jack London (1876-1916) avec L’Appel de la forêt (1903), Croc-Blanc (1907), etc. est caractéristique du «roman d’aventures». Marin, chasseur de phoques, cet aventurier est sensible à la puissance sauvage de la Nature et du monde animal. « Là s’étendait le Wild, le Wild sauvage, gelé jusqu’aux entrailles des terres du Grand Nord… » Américain et canadien, cet espace est en effet démesuré et effrayant. Le scénographe, réalisateur et metteur en scène Marc Lainé, attiré par la blancheur de ces vastes étendues enneigées où Vanishing Point (voir Le Théâtre du Blog) s’inscrivait déjà, crée ici une sorte de version tragique de Construire un feu.`
Un homme marche dans la neige, accompagné seulement d’un chien et doit retrouver le soir ses compagnons qui empruntent un autre itinéraire. Pour son premier hiver ici, surpris par le froid intense : – 50° et encore plus bas ! il peut à peine manger ses biscuits : ses doigts s’engourdissent ! La rivière gelée peut être dangereuse et cacher des trous couverts de glace et de neige. Et le marcheur s’enfonce dans l’eau glacée. Les pieds mouillés, il se sèche alors en faisant un feu qu’éteint soudain un paquet de neige accumulée sur les lourdes branches qui tombe d’un seul coup.
Lui revient en mémoire le souvenir des Anciens: «Au-delà de cinquante degrés sous zéro, on ne doit pas voyager seul.» Les mains, les pieds, les joues et le nez s’engourdissent peu à peu et gèlent… Maquettes et toiles peintes représentant les paysages nordiques sont filmées en direct et les images projetées sur un écran au-dessus de la scène. Et le baroudeur, rude gaillard expérimenté et peut-être trop sûr de lui, entreprend son voyage, mimant une marche immobile, face caméra.
Nâzim Boudjenah, couvert de fourrure et dont le seul visage reste visible, incarne la souffrance subie dans un abandon total, corporel et spirituel. Ce trappeur est filmé constamment, debout et assis, accroupi à la recherche de brindilles et le narrateur (Pierre-Louis Calixte), dans un récit étrange et quasi-documentaire, décrit avec précision les moindres gestes du héros, expliquant comment construire un feu: un guide de survie pour amateurs. Légèrement facétieux, il démontre, preuves à l’appui, la supériorité immense de la Nature sur la petitesse des hommes vindicatifs. Et le chien a sur le plateau une place importante et, même s’il n’est pas l’ami de l’homme éprouvé, il a l’instinct du danger. Et Alexandre Pavloff, en chemise et jeans, pieds nus et la chevelure longue incarne, lui, ce chien qui plie les pattes ou se redresse debout, à l’écoute de son maître.Le public, tendu et inquiet, est subjugué, comme le chien guettant l’imminence d’un danger. Attentif, il devine que l’homme ne pourra pas résister pas à un climat excessif et souverain. L’espace hivernal et démesuré est un ennemi insensible à l’aventure humaine, si on ne sait l’apprivoiser, c’est-à-dire s’adapter et le reconnaître.
Une grande leçon : il faut savoir entendre la voix de la Nature qui peut tout emporter…
Véronique Hotte
Studio-Théâtre de la Comédie-Française, 99 rue de Rivoli, Galerie du Carrousel du Louvre, Paris I er jusqu’au 21 octobre. T. : 01 44 58 15 15