Jours (et nuits) de Cirque(s) Festival du C.I.A.M. à Aix-en-Provence
Jours (et nuits) de Cirque(s)
Festival du C.I.A.M. à Aix-en-Provence
Le Centre International des Arts en Mouvement organise son sixième festival annuel sur deux week-ends : le premier dans des lieux du patrimoine régional, le second dans son vaste domaine boisé, autrefois centre aéré de la ville. Consacré aux arts du cirque, le projet est né de par la volonté des élus d’Aix-en-Provence, dans la dynamique de Marseille Provence 2013-Capitale européenne de la culture. «La seule institution pérenne, issue de cet événement», dit Chloé Béron, sa directrice artistique et co-fondatrice avec Philippe Delcroix, président du CIAM.
Avec six permanents et un budget d’un million d’euros dont 50% de recettes propres, mécénat compris (c’est-à-dire une part de financement public indirect), cette «start up culturelle à but non lucratif» développe selon un modèle économique et managérial, quatre pôles d’activités dans le Pays d’Aix, pour faire découvrir et promouvoir le cirque actuel. Au-delà du festival, il propose une école de pratique amateurs, des résidences de création pour les professionnels, des actions en milieu scolaire ou des formations en entreprises et des “ciamlabs“, laboratoires d’idées mettant en relation les arts du cirque et d’autres disciplines dans une perspective d’innovation comme Cirque et objets connectés, pour améliorer l’apprentissage des arts du cirque, ou Cirque et architecture pour imaginer les lieux de demain. De ces métissages résultent parfois des créations, comme Entre de Vincent Bérhault, né d’une rencontre entre ce danseur- acrobate et un ethnologue sur la question des frontières (voir Le Théâtre du Blog ) .
Le succès de l’école (quatre cent cinquante élèves) et l’appétence du public avec mille spectateurs par jour au festival (dont certains n’avaient jamais vu de spectacle!) sont tels que la ville s’apprête à construire, avec l’architecte Patrick Bouchain, une salle modulable en bois de six cents places en circulaire; et trois cents en frontal. Inauguration prévue en 2020. On peut en voir la maquette et une réplique éphémère en carton et en grandeur réelle édifiée par les spectateurs, à la force du poignet et avec des rubans adhésifs, sous la conduite d’Olivier Grossetête, spécialiste international des « constructions participatives en carton“. Il a officié à Nîmes, Annecy, Genève, Aubagne, Martigues… mais aussi au Royaume-Uni, au Québec et au Sri Lanka… Sur le site du CIAM, la main-d’œuvre ne manquait pas…
Jours (et nuits) de Cirque(s) vitrine du Ciam, sans oublier les disciplines traditionnelles, met en avant le “nouveau cirque“ où se croisent circassiens, danseurs, dramaturges, comédiens, musiciens… Grâce au renouvellement des formes, des écoles de qualité et des pôles de diffusion en nombre croissant, le cirque a un bel avenir devant lui.
Sous le grand chapiteau permanent du CIAM, s’enchaînent deux heures durant les numéros de cirque orchestré pour l’occasion. Davis Bogino, circassien de sixième génération, grand maître en acrobatie, a collaboré avec les plus grands noms du cirque et assure aux côtés de Chloé Béron, la programmation du festival : jonglage, traditionnelles assiettes chinoises de Barley Togni qui réalise aussi, avec son fils Oscar, des prouesses au lasso, trapèze ballant de Lisa Rinne, contorsions et cerceau aérien de la gracieuse Emi Vauthey… Mais on a aussi apprécié Camille Châtelain sur son vélo, la poésie lumineuse du Russe Anton Mikheev aux sangles aériennes. Et, en Monsieur Loyal décalé, Mike Togni, un clown-acrobate, intervient en contrepoint des numéros. Revue éclectique, ce cabaret donne un remarquable aperçu des arts du cirque traditionnel, malgré un son martelé et parfois amplifié à la limite du supportable.
Face Nord création d’Alexandre Fray, Sergi Parés et Pierre Déaux, dramaturgie de Bauke Lievens
Le spectacle créé en 2011, par quatre hommes et joué plus deux cinquante fois, voit le jour au féminin. La compagnie Un loup pour l’homme, née de la rencontre du porteur français Alexandre Fray, et du voltigeur québécois Frédéric Arsenault, offre un nouvel aspect de leurs d’acrobaties : «Il s’agit de transposer cette écriture, à des corps porteurs d’autres imaginaires. Dans la confrontation ou la coopération physique, des corps féminins transpireront-ils la même réalité humaine ? Dans un sens, il s’agit de se poser des questions de genre.» Aux quatre coins, saute-mouton et colin-maillard, succèdent des affrontements musclés et acrobaties complexes… Les corps s’empilent, les membres s’entrecroisent et ils enchaînent les figures dans un puzzle qui n’en finit pas de s’assembler et de se défaire.
« Comment cette partition évoquant la lutte, la résistance, l’imaginaire sportif, peut-elle résonner avec les corps de quatre femmes? se demandent les metteurs en scène.» Sanna Kopra, Lotta Paavilainen, Stina Kopra et Mira Leonard se lancent vaillamment dans un parcours d’obstacles ludique. Elles marchent, courent, sautent, grimpent et découvrent que l’équilibre naît de leur solidarité. Lisait-on cette douceur et cette complicité dans le versant viril de Face Nord ?
78 tours, de et par Mathieu Lagaillarde, Thibaut Brignier et Gabriel Soulard
L’homme est peu de chose face à l’immensité de l’univers, et devant l’imposante et bien nommée roue de la mort : deux nacelles sphériques au bout d’un grand bras en acier à dix mètres du sol. Mathieu Lagaillarde et Thibaut Brignier affrontent l’imposante machinerie du cirque traditionnel avec autant de dextérité que d’humour, sur la musique de western de Gabriel Soulard. Les cow-boys de pacotille détournent cet agrès mythique pour démystifier la vanité des bravaches contemporains, tournent en rond comme des écureuils en cage et comptent ….78 tours. Tout finit dans la poussière dans une parodie de lutte corps à corps. Leurs clowneries, leurs commentaires sur l’absurde de nos routines et le dérisoire de nos existences face à la mort, sont un peu appuyés mais leur talent parvient à insuffler au public ces impressions et une tension devant leur prise de risque. Ces artistes ont fondé le collectif La Meute basé à Auch, qui réunit six acrobates formés à l’école nationale des arts du cirque de Rosny-sous-Bois, et à l’Université de danse et cirque de Stockholm. Après la balançoire française, un agrès aussi rare et aussi peu enseigné que la roue de la mort, ils ont eu envie d’explorer cette grosse machine. Mais leur nouveau spectacle de trente-cinq minutes, prometteur, demande encore à être rodé.
Santa Madera de et avec Juan Ignacio Tula et Stefan Kinsman– cie Mpta
L’un a grandi au Costa-Rica et s’initie au jonglage, l’autre est argentin et danseur. Corps, origine et style dissemblables, ils jouent de la roue Cyr, ce grand cercle en métal, pour en explorer toutes les variations possibles. Santa Madera (bois sacré en espagnol) s’inspire des rituels indigènes d’Amérique du Sud qui utilisent le Palo Santo, un bois d’une essence spéciale pour chasser les mauvais esprits et célébrer les liens communautaires. Ici, la circularité commande tout: en solo ou en additionnant leur énergie, Juan Ignacio Tula et Stefan Kinsman enchaînent portés, manipulations, antipodismes… suivant une chorégraphie fluide. Ils calculent avec minutie les trajectoires de leur agrès commun afin de ne jamais s’exclure du cercle. Ils ne le lâcheront que pour déverser des seaux de terre rouge sur le sol. Aux bruissements et aux chutes de la roue de Cyr, se superpose avec discrétion un paysage sonore cosmopolite imaginé par Gildas Céleste: bribes de conversations, bruits de la rue, d’avion ou d’usine, enregistrés au Chili, Costa Rica, en Italie ou en France.
Jouant de leurs similarités comme de leurs différences, ces artistes, tour à tour adversaires ou complices tracent avec leurs pas-de-deux acrobatiques, tantôt lents, tantôt rapides, une circularité magique, à l’image des cosmogonies de leurs pays d’origine. Ce beau spectacle est né au sein de la compagnie lyonnaise Les mains, les pieds et la tête, sous le regard bienveillant de son directeur Mathurin Bolze et de Séverine Chavrier. Depuis 2011, en association avec Les Célestins-Théâtre de Lyon, M.P.T.A. conduit le festival biennal utoPistes consacré aux arts du cirque.
Strach a fear song conception et mise en scène de Patrick Masset
Une berceuse chantée dans le noir. Une autre voix dit les peurs d’enfance et les rêves d’être un cow-boy rouge. Dans l’intimité de leur petit chapiteau en toile et en bois, les artistes du Théâtre d’un jour en Belgique: trois acrobates, une chanteuse lyrique et un pianiste, nous entraînent dans un spectacle onirique. Leur corps investissent l’espace nocturne, défiant les cauchemars peuplés de bêtes féroces, hantés par la mort et sa grande faux.
De porté en porté, Airelle Caen, Guillaume Sendron et Denis Dulon enchaînent les escalades, montent en pyramide jusqu’au fait du chapiteau ou se livrent à des combats au sol, contre des monstres fantasmés qui rôdent dans l’obscurité. Ils impliquent dans leur jeu le musicien, la chanteuse, et bientôt le public… Dans des équilibres périlleux, Julie Calbete revisite les airs de Léonard Cohen (Dance Me to the End of Love), Henry Purcell (The Cold Song) ou Georg Friedrich Haendel (O Liberty, thou Choisest Treasure) qu’elle interprète a capella ou accompagnée par Jean-Louis Cortes. Son chant poétise et dramatise les figures virtuoses des circassiens (un peu trop parfois). Mais Patrick Masset, fondateur du Théâtre d’un jour, a su métisser et mettre en valeur ces talents.
Mireille Davidovici
Spectacles vus à Jours (et nuits) de Cirque(s) du 14 au 23 septembre, C.I.A.M. La Molière 4.181 route de Galice, Aix-en-Provence (Bouches-du-Rhône). T. :09 83 60 34 51.
Face nord , les 29 et 30 septembre Korso, La Haye (Pays-Bas). Les 16 et 17 octobre à la Scène nationale de Dieppe.
Festival CIRCA à Auch du 19 au 21 octobre.
Festival Péripécirque à Saint-André-de-Cubzac (Gironde) du 12 au 15 mars. Le Sablier Ifs La Batoude à Beauvais du 19 au 23 mars.Théâtre Jean Vilar à Vitry-sur Seine, du 24 au 26 mars. Salle Dany Boon à Bray-Dunes ( Nord) les 29 et 30 mars.
Santa madera Le Manège de Reims – soirée UTOPISTES, le 11mai. Cirque-Théâtre d’Elbeuf Week-end Hauts et courts les 18 et 19 mai.
Strach a fear song le 22 octobre au Festival Circa d’Auch. Le 8 mai à Marchin (Belgique).