Au plus noir de la nuit d’après Looking on Darkness d’André Brink, adaptation et mise en scène de Nelson-Rafaell Madel

Au plus noir de la nuit d’après Looking on Darkness d’André Brink, adaptation et mise en scène de Nelson-Rafaell Madel

©Lena Roche

  »Savoir qui je suis… La fin approche et mon cœur s’affole. Tout écrire, ici» : du fond de sa cellule, Joseph Malan, un acteur noir sud-africain condamné à mort pour le meurtre de Jessica, son amoureuse blanche, écrit pour retracer son destin tragique. Il revit son passé, visite les grandes étapes de sa vie: une enfance pauvre, son goût pour la lecture et l’art, hérité de ses père et grand-père. Une  mère humble et une éducation religieuse qui lui apprennent la soumission aux maîtres blancs du pays, les « baas ». Il fallait rester à sa place, dans l’ombre. Et puis un jour, au cirque, la révélation. Il a neuf ans et fait le pari impossible d’être dans la lumière des projecteurs, au théâtre,  et de contribuer à changer les mentalités et la société ? Mais est-ce réalisable, pour un homme de couleur, au pays de l’apartheid? Désillusions à à la mesure de ses aspirations, et plus dure sera la chute qui le précipitera au cœur des ténèbres.

 Né dans une famille afrikaner, André Brink, (1935-2015), de retour en Afrique du Sud après plusieurs années passées en France, prend conscience de l’ignominie de l’apartheid: «Je découvrais avec horreur ce que les miens faisaient depuis toujours, sur quelles atrocités et perversions, notre fière civilisation blanche avait construit son édifice de moralité et de lumière chrétienne. » Son roman, Kennis van die aand, publié en 1973, censuré dans son pays est traduit en anglais en 1974, puis deux ans plus tard en français.

 L’habile adaptation de Nelson-Rafaell Madel et une distribution métissée nous font revivre, étape par étape, l’épopée d’un jeune homme bouillant de vitalité, incarné par Mexianu Medenou. Avec cinq partenaires qui se partagent une vingtaine de rôles, ce comédien  béninois, formé à l’Ecole du Théâtre National de Strasbourg, donne chair à l’écriture d’André Brink, et occupe naturellement l’espace, convaincant d’un bout à l’autre de la pièce.
Le registre de jeu des autres acteurs varie en fonction de leur nature et des épisodes, tirant souvent vers la parodie. Passant d’un personnage à l’autre, ils adoptent parfois un jeu forcé ou des mimiques décalées. Malgré ces lourdeurs et une gestuelle souvent superflue, la mise en scène est précise. L’histoire d’amour entre Jessica et Joseph et son issue fatale restent un peu floues, et le dénouement, abrupt.

Mais le spectacle d’une heure cinquante trouve son point d’orgue dans l’aventure théâtrale de Joseph Malan qui partira pour l’Angleterre, y connaîtra un certain succès comme comédien, et rentrera couvert de gloire en Afrique du Sud pour y créer une troupe ambulante. Nelson-Rafaell Madel choisit de ne pas représenter les extraits des pièces montées par Joseph -sauf avec une brève image d’Hamlet et d’Antigone-  et nous montre les coulisses d’une tournée, l’enthousiasme des protagonistes, leurs interrogations, et leurs rêves brisés par le couperet de la censure et la violence meurtrière du pouvoir blanc.  « Comment, dit le metteur en scène, survivre et s’épanouir dans des époques ou des pays marqués par l’injustice, l’inégalité, les conflits? » Une question d’actualité fréquente sur la planète.

Mireille Davidovici

Théâtre de la Tempête, Cartoucherie de Vincennes, route du Champ de Manœuvre, jusqu’au 21 octobre T. : 01 43 28 36 36

Le roman,  traduit de l’anglais par Robert Fouques-Duparc, est publié aux éditions Stock,

 

 

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