Le Jeu de l’amour et du hasard de Marivaux, mise en en scène de Benoît Lambert

 

Le Jeu de l’amour et du hasard de Marivaux, mise en en scène de Benoît Lambert

 

 © Vincent Arbelet

© Vincent Arbelet

Une des pièces les plus célèbres du théâtre français et à juste titre : scénario et surtout dialogue brillant et savoureux qui semble avoir été écrit cette année… alors qu’il a déjà plus de trois siècles. Un certain M. Orgon a prévu de marier sa fille Silvia, avec Dorante, le fils d’un de ses vieux amis. Mais, père affectueux et bon prince, il ne veut rien imposer, et lui laissera le choix de tester ce possible futur mari et de voir s’il lui convient ou non. Silvia imagine donc de prendre la robe noire de Lisette, sa servante. Mais M. Orgon apprend que Dorante a lui aussi pris le vêtement de son valet Arlequin, et réciproquement. Il en prévient son fils, Mario qui va surveiller du coin de l’œil toute l’opération. C’est irréaliste mais, miracle, mais la fable fonctionne très bien.

Le public bien entendu, sait tout-  règle absolue du jeu théâtral- alors que ce quatuor de jeunes gens lui, connaît la moitié de ce subterfuge réciproque assez cynique qui doit permettre aux maîtres Silvia et Dorante qui ne se connaissaient, pas de s’évaluer et aux serviteurs  de se séduire… Jeux de l’amour et du hasard mais aussi jeux de dupe: ici, on parle souvent d’argent et l’irrésistible envie d’ascension sociale existe bien chez les domestiques qui rêvent d’une meilleure existence. Et Marivaux, dans cette histoire de classes et d’attirance amoureuse, nous renvoie à la réalité. A son époque, les maîtres n’épousaient  jamais les soubrettes, et maintenant les jeunes énarques, le plus souvent issus de famille grand-bourgeoise, ne se marient pas avec des caissières de super-marché. En France, le pouvoir royal a disparu mais les rapports de classe et de domination, sûrement pas. Arlequin épousera donc Lisette sans doute un peu déçue, et Dorante, qui apprécie de ne s’être pas trompé sur Silvia, sera ravi de se marier avec elle. L’ordre règne dans la société…

Sur le grand plateau de l’Aquarium, côté cour: une dizaine de tables en bois 1900, comme dans une sorte de laboratoire, avec des flacons orange de produits chimiques, des jardinières de fleurs, des livres et de quoi écrire. Et quelques chaises et fauteuils: une belle installation agréable à voir, mais qui parasite le jeu des personnages, noyés parmi tous ces objets, et qui ont un peu de mal à circuler… Dans le fond, une sorte de jardin d’hiver avec un palmier en pot, et une pelouse inclinée en gazon artificiel avec des arbres tout aussi artificiels. Là on comprend encore moins bien.
Bref, une scénographie facile où on a privilégié l’aspect plastique mais qui ne rend guère service à la pièce… Côté mise en scène, Benoît Lambert fait les choses mais sans beaucoup de rythme- cela viendra peut-être!- mais la distribution reste bancale. Il a en effet confié les rôles de Silvia, Dorante, Lisette et Arlequin à de jeunes acteurs « en contrat de professionnalisation » au Théâtre de Dijon-Bourgogne: Rosalie Comby, Edith Mailaender, Malo Martin et Antoine Vincenot.

Lâchés dans ce grand espace, ils ont un peu de mal à s’en sortir, et, même s’ils sont sympathiques, ils ne sont pas toujours très crédibles. Et la diction d’Edith Mailaender (Silvia) reste parfois des plus approximatives: embêtant, surtout dans ces dialogues plus que ciselés. Etienne Grebot, très solide, même s’il n’a plus tout à fait l’âge du rôle, joue Mario avec un cynisme des plus savoureux, et Robert Angebaud fait un excellent père de famille.

Cela dit, on entend le texte toujours aussi somptueux de Marivaux et le public, ce soir-là en majorité de jeunes lycéens, prenait un plaisir évident à entendre ces répliques étonnantes: “Un mari porte un masque avec le monde, et une grimace avec sa femme.”Silvia : « Mon cœur est fait comme celui de tout le monde. De quoi le vôtre s’avise-t-il de n’être fait comme celui de personne? »  (…) « Quoi ! vous m’épouserez malgré ce que vous êtes, malgré la colère d’un père, malgré votre fortune ? » Dorante : « Mon père me pardonnera dès qu’il vous aura vue ; ma fortune nous suffit à tous deux, et le mérite vaut bien la naissance : ne disputons point, car je ne changerai jamais. » Monsieur Orgon : « Va, dans ce monde, il faut être un peu trop bon, pour l’être assez. » Et cette dernière, mystérieuse dans ses derniers mots: Arlequin (à Lisette) : « Avant notre reconnaissance, votre dot valait mieux que vous; à présent, vous valez mieux que votre dot. Allons, saute, marquis ! »

Mais le dernier Jeu de l’amour que nous avions vu en juin dernier  dans la cour pavée de la Grande Ecurie à Versailles était magnifiquement joué par de jeunes acteurs et bien mis en scène par Salomé Villiers (voir Le Théâtre du Blog). Cela avait, avec quelques accessoires et cinq chaises de jardin, une autre rythme, une autre fraîcheur que cette réalisation souffrant d’une solide direction d’acteurs. A voir, si vous n’êtes pas trop exigeant mais, franchement, cette pièce fabuleuse méritait mieux…

Philippe du Vignal

Théâtre de l’Aquarium, Cartoucherie de Vincennes, route du Champ de manœuvre, jusqu’au 21 octobre. T. : 01 43 74 99 61.

 


Archive pour 29 septembre, 2018

Le Jeu de l’amour et du hasard de Marivaux, mise en en scène de Benoît Lambert

 

Le Jeu de l’amour et du hasard de Marivaux, mise en en scène de Benoît Lambert

 

 © Vincent Arbelet

© Vincent Arbelet

Une des pièces les plus célèbres du théâtre français et à juste titre : scénario et surtout dialogue brillant et savoureux qui semble avoir été écrit cette année… alors qu’il a déjà plus de trois siècles. Un certain M. Orgon a prévu de marier sa fille Silvia, avec Dorante, le fils d’un de ses vieux amis. Mais, père affectueux et bon prince, il ne veut rien imposer, et lui laissera le choix de tester ce possible futur mari et de voir s’il lui convient ou non. Silvia imagine donc de prendre la robe noire de Lisette, sa servante. Mais M. Orgon apprend que Dorante a lui aussi pris le vêtement de son valet Arlequin, et réciproquement. Il en prévient son fils, Mario qui va surveiller du coin de l’œil toute l’opération. C’est irréaliste mais, miracle, mais la fable fonctionne très bien.

Le public bien entendu, sait tout-  règle absolue du jeu théâtral- alors que ce quatuor de jeunes gens lui, connaît la moitié de ce subterfuge réciproque assez cynique qui doit permettre aux maîtres Silvia et Dorante qui ne se connaissaient, pas de s’évaluer et aux serviteurs  de se séduire… Jeux de l’amour et du hasard mais aussi jeux de dupe: ici, on parle souvent d’argent et l’irrésistible envie d’ascension sociale existe bien chez les domestiques qui rêvent d’une meilleure existence. Et Marivaux, dans cette histoire de classes et d’attirance amoureuse, nous renvoie à la réalité. A son époque, les maîtres n’épousaient  jamais les soubrettes, et maintenant les jeunes énarques, le plus souvent issus de famille grand-bourgeoise, ne se marient pas avec des caissières de super-marché. En France, le pouvoir royal a disparu mais les rapports de classe et de domination, sûrement pas. Arlequin épousera donc Lisette sans doute un peu déçue, et Dorante, qui apprécie de ne s’être pas trompé sur Silvia, sera ravi de se marier avec elle. L’ordre règne dans la société…

Sur le grand plateau de l’Aquarium, côté cour: une dizaine de tables en bois 1900, comme dans une sorte de laboratoire, avec des flacons orange de produits chimiques, des jardinières de fleurs, des livres et de quoi écrire. Et quelques chaises et fauteuils: une belle installation agréable à voir, mais qui parasite le jeu des personnages, noyés parmi tous ces objets, et qui ont un peu de mal à circuler… Dans le fond, une sorte de jardin d’hiver avec un palmier en pot, et une pelouse inclinée en gazon artificiel avec des arbres tout aussi artificiels. Là on comprend encore moins bien.
Bref, une scénographie facile où on a privilégié l’aspect plastique mais qui ne rend guère service à la pièce… Côté mise en scène, Benoît Lambert fait les choses mais sans beaucoup de rythme- cela viendra peut-être!- mais la distribution reste bancale. Il a en effet confié les rôles de Silvia, Dorante, Lisette et Arlequin à de jeunes acteurs « en contrat de professionnalisation » au Théâtre de Dijon-Bourgogne: Rosalie Comby, Edith Mailaender, Malo Martin et Antoine Vincenot.

Lâchés dans ce grand espace, ils ont un peu de mal à s’en sortir, et, même s’ils sont sympathiques, ils ne sont pas toujours très crédibles. Et la diction d’Edith Mailaender (Silvia) reste parfois des plus approximatives: embêtant, surtout dans ces dialogues plus que ciselés. Etienne Grebot, très solide, même s’il n’a plus tout à fait l’âge du rôle, joue Mario avec un cynisme des plus savoureux, et Robert Angebaud fait un excellent père de famille.

Cela dit, on entend le texte toujours aussi somptueux de Marivaux et le public, ce soir-là en majorité de jeunes lycéens, prenait un plaisir évident à entendre ces répliques étonnantes: “Un mari porte un masque avec le monde, et une grimace avec sa femme.”Silvia : « Mon cœur est fait comme celui de tout le monde. De quoi le vôtre s’avise-t-il de n’être fait comme celui de personne? »  (…) « Quoi ! vous m’épouserez malgré ce que vous êtes, malgré la colère d’un père, malgré votre fortune ? » Dorante : « Mon père me pardonnera dès qu’il vous aura vue ; ma fortune nous suffit à tous deux, et le mérite vaut bien la naissance : ne disputons point, car je ne changerai jamais. » Monsieur Orgon : « Va, dans ce monde, il faut être un peu trop bon, pour l’être assez. » Et cette dernière, mystérieuse dans ses derniers mots: Arlequin (à Lisette) : « Avant notre reconnaissance, votre dot valait mieux que vous; à présent, vous valez mieux que votre dot. Allons, saute, marquis ! »

Mais le dernier Jeu de l’amour que nous avions vu en juin dernier  dans la cour pavée de la Grande Ecurie à Versailles était magnifiquement joué par de jeunes acteurs et bien mis en scène par Salomé Villiers (voir Le Théâtre du Blog). Cela avait, avec quelques accessoires et cinq chaises de jardin, une autre rythme, une autre fraîcheur que cette réalisation souffrant d’une solide direction d’acteurs. A voir, si vous n’êtes pas trop exigeant mais, franchement, cette pièce fabuleuse méritait mieux…

Philippe du Vignal

Théâtre de l’Aquarium, Cartoucherie de Vincennes, route du Champ de manœuvre, jusqu’au 21 octobre. T. : 01 43 74 99 61.

 

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