Véro 1ère, Reine d’Angleterre / Cie 26 000 couverts
Véro 1ère, Reine d’Angleterre de Gabor Rassov, mise en scène de Philippe Nicolle
La compagnie 26 000 couverts, pour sa nouvelle création, nous reçoit chez eux, à la Caserne devant le hall 38 où on a installé une petite scène au plancher incliné, ressemblant à une baraque foraine, entourée de deux caravanes qui servent de loges aux comédiens.
Le public prend place sur des gradins et sur des tapis. Pendant ce temps, la famille foraine des Stutman se prépare. Un de ses membres passe une musique d’ambiance de dance floor et joue à l’annonceur avec un effet de réverbération irrésistible. La représentation qui commence avec des saynètes est en deux parties de cinquante minutes, avec un entracte. « Les célèbres Mélodrames Stutman, une des dernières familles du théâtre forain, vous présentent leur plus grand succès : Véro 1ère, Reine d’Angleterre. L’extraordinaire destin de Véronique, qui n’osait se rêver gérante de Franprix, et qui finira pourtant reine d’Angleterre: une fable aussi morale que perverse où l’on retrouve des larmes, du sang, de la magie, des massacres et des merveilles. Frissons, stupeur et crises de rires garantis. Attention ! La direction ne rembourse pas les mauviettes ! »
Le programme est lancé, avec des personnages hauts en couleur, et en roue libre. Quatre des huit comédiens jouent une dizaine de rôles et, surprise, nous retrouvons ici le grand Denis Lavant qui fait du Denis Lavant ! Ce comédien a une facilité déconcertante pour passer d’un registre à l’autre, tel un caméléon. Son alter ego Léo Carax avait bien exploité ce potentiel dans le film Holly Motors. Comme chez James Thierrée, Denis Lavant est employé comme une espèce de bête foraine à la limite du geek (au sens forain du terme). Il y a, dans le spectacle, un côté à la fois horrible et fascinant, à la marge et que l’on retrouve dans les freak shows. Inévitablement, les comédiens sont dans la caricature et cabotinent un maximum pour ramener le mélodrame à sa fonction primitive, avec toutes ses invraisemblances. Gabor Rassov a annoncé la couleur : « Je vous promets une flopée de coups de théâtre. J’en ai mis autant qu’il est humainement possible de le faire. Il y a même une scène où il y en a quasiment plus, que de mots. » Avec rebondissements à gogo, jusqu’au malaise ! Sur ces bases artificielles, évolue une dramaturgie en une dizaine de tableaux inégaux.
Nous suivons donc ici les aventures rocambolesques de Véronique, pauvre fille des bas quartiers, livrée à elle-même avec un nouveau-né, et de nombreux amants de passage. Tous périront dans d’atroces souffrances mais son fils, lui, ressuscitera plusieurs fois ! Elle-même sera tuée mais, après l’administration d’un sérum dans un hôpital, elle reviendra à la vie et se verra proposer trois demandes en mariage.
Une fois Reine et donc arrivée au pouvoir, les problèmes arriveront et le peuple demandera sa tête. Condamnée à mort, elle sera décapitée par un bourreau sado-lubrique. Une grande guillotine est amenée sur scène, et la tête de Véronique placée dans le trou. Soudain, la lame descend et tout le corps s’escamote, alors que dans le tour de magie classique, on laisse clairement visible la découpe au niveau du cou. Parmi les décapitations réalisées par les illusionnistes depuis le XVIII ème siècle, celle de Rubini était particulièrement morbide car montrée sous un jour sérieux et terrifiant.
Le spectacle finit par un moment surréaliste: on voit la tête coupée de Véro léviter dans les airs et rejoindre le royaume des morts pour retrouver son fils défunt sous les traits d’un squelette fluorescent. Ce tableau, dans la pure tradition du « théâtre noir » est un petit moment de non-sens macabre bd’une réjouissance absolue, malgré ce soir-là des problèmes techniques de manipulation.« Une histoire qui se termine bien, malgré la mort qui réunit mère et fils »: une conclusion savoureuse dite par Denis Lavant, dans une dernière tirade…
Comme d’habitude, Les 26 000 couverts explorent les limites de la représentation dans la tradition du théâtre de rue, avec une liberté de ton vivifiante… mais un brin répétitive. Les spectateurs, dans un entre-deux bancal, ne savent pas très bien où se situe la, ou les scènes, ni comment se positionner par rapport aux comédiens placés dans une mise en abyme. A la fois déroutés mais complices malgré eux d’un système retors et séducteur qui les oblige à prendre part au spectacle. On se souvient, entre autres, de ce pénible Beaucoup de bruit pour rien de Shakespeare, où le public attendait pendant un long moment debout, et parfois dans le froid et sous la pluie, comme au festival d’Aurillac… sans jamais être admis à pénétrer dans la salle.
Le système du théâtre dans le théâtre, usé jusqu’à la corde, ne surprend plus vraiment, ou par intermittence! La faute à une dramaturgie qui ronronne, à des situations stéréotypées et des dialogues au ras des pâquerettes. Même si «c’est pour rire», avec un second, voire un troisième degré, Philippe Nicolle et sa bande, à force de tirer sur la même ficelle, finissent par produire l’inverse de ce qu’ils voudraient dire. Leur jeu volontairement amateur se retourne contre eux, et on va alors jusqu’à douter de leur professionnalisme !
Mais par ailleurs, Véro 1ère, Reine d’Angleterre est assez pertinent avec son côté attraction et reprend les codes des stands forains, en proposant une sorte de boîte à illusions d’où immerge des surprises avec de belles idées de scénographie et des effets spéciaux bricolés. Le spectacle, encore en rodage, manque de rythme mais on voit mal comment il pourrait évoluer: il se complait trop dans une caricature facile des mélodrames…
Sébastien Bazou
Spectacle vu à la Caserne, hall 38 à Dijon (Côte d’or) le 21 septembre
Du 5 au 6 octobre à Tournefeuille.
Du 10 au 11 mai à Clermont-L’Hérault. Du 14 au 17 mai à Saint-Christol-lès-Alès. Et du 21 au 23 mai à Chenôve.
Sébastien Bazou
livchine@theatredelunite.com
j’ai écrit aux 26 000 vous, vous n’avez pas peur de revenir à la tradition,
pas de micro ou si peu, pas de vidéo, le théâtre à l’état pur.
Ses vieilles ficelles, le faux, le toc, le bricolage et ça fonctionne magnifiquement
Et c’est fort.
J’étais captivé, et pourtant le bébé je savais bien qu’il était faux
mais je n’avais pas envie que vous l’étouffiez comme Edward Bond ,
peu à peu on attendait avec impatience les rebondissements.
Et plus ils étaient absurdes, plus ça nous mettait en joie.
Ce Rassov connait bien les ressorts du théâtre,
et la pièce était beaucoup plus sérieuse qu’elle n’en avait l’air.
La recherche du bonheur, on ne parle que de ça partout.
Et puis il y a l’habileté à faire de Denis Lavant
un comédien de compagnie, il n’est pas plus brillant
que les autres alors qu’il avait des autoroutes de cabotinage devant lui.
Justement j’étais content de ne pas trop rire,
car il faut résister à l’univers des vannes à chaque seconde,
les punchlines, être Palmade ou mourir.
Je dis souvent qu’un des secrets de la longévité du théâtre,
c’est qu’il n’a pas fait de progrès depuis 2500 ans.