La Nuit des rois ou tout ce que vous voulez de William Shakespeare, mise en scène de Thomas Ostermeier

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©Brigitte Enguerand/Divergence

La Nuit des rois  ou tout ce que vous voulez de William Shakespeare, traduction d’Olivier Cadiot, mise en scène de Thomas Ostermeier

En Illyrie, autrement dit en « Utopie », quelque part entre Occident et Orient, des jumeaux encore adolescents, Viola et Sébastien (fille et garçon, précisons parce qu’ensuite ça va se brouiller pas mal…) font naufrage. Chacun croit l’autre perdu. Nous-mêmes, spectateurs, perdons de vue le garçon pendant un certain temps. Quant à la fille, elle n’a pas le choix : au féminin, elle ne serait qu’une proie, mais, au masculin, elle peut gagner sa vie, et les faveurs du Prince. Naturellement, elle en tombe illico amoureuse et lui-même se consume pour une belle Olivia endeuillée et glaciale, qui elle-même prend feu pour le pseudo Cesario, alias Viola, messager du prince.

C’est clair ? Pour d’autres que Shakespeare, cela suffirait pour bâtir une comédie. Lui y ajoute une bande de fêtards: Falstaff au petit pied, Sir Toby Haut-le-cœur, l’oncle d’Olivia et sa maigre vache à lait,  Sir Andrew Gueule de fièvre, qui soupire après la nièce et finance leurs petites orgies.
Ajoutez un intendant, qui a le tort d’être puritain et désagréable, et de prétendre quand même aux faveurs de sa patronne, un marin un peu pirate, amoureux de Sébastien, un capitaine de vaisseau sans vaisseau, et l’on aura à peu près tout le monde. Sans oublier Feste, très important personnage:  le Fou d’Olivia (et de tout le monde), celui qui «empoisonne» les mots, les retourne et fait soudain béer la vérité (remarquable Stéphane Varupenne).

Dans cette excellente traduction d’Olivier Cadiot, concrète et claire, cet acteur donne le ton. Après la musique cependant : contre-ténor et théorbe installent une belle gravité vite être bousculée par le carnaval grinçant des bouffons, et à chaque acte de retour. Shakespeare croit à la vertu de la musique, harmonie transcendantale (voir la dernière scène souvent coupée du Marchand de Venise)  mais il croit aussi à la grossièreté du monde. Et cette nuit-là, les malins, sir Toby et Maria (la suivante d’Olivia) qui se voit bien épouser un ivrogne, s’amusent cruellement aux dépens des naïfs, le trop timide Sir Andrew et le trop sûr de lui Malvolio. Feste se prête au jeu mais ne s’y donne pas. Quant aux amoureux, à chacun son aveuglement mais les dévoilements seront parfois cruels.

Le metteur en scène a pris au mot la pièce et son titre et cette nuit de fête carnavalesque sera ce que vous voudrez, et donc, pourquoi pas: n’importe quoi. Pour commencer, dans une boîte blanche aux angles arrondis, peuplée de plantes exotiques, avec entrées, sorties, et danse silencieuse de deux singes, tout le monde est en slip : on dirait une réclame pour «le slip français». Cela donne aux acteurs, dans un premier temps, une fragilité certaine, et puis, on s’y fait, à voir ces beaux garçons et belles filles à l’aise et sportifs déambuler sur une sorte de “catwalk“ entre la salle et la scène, la passerelle du Théâtre du Globe.

Car il va y avoir du sport. Les bouffons, Toby et Andrew (Laurent Stocker et Christophe Montenez), se lancent dans un cabaret politique irrésistible, avec grosses blagues d’actualité, du genre : «Je veux bien traverser la rue pour trouver du travail, mais pas la nuit. –Pourquoi ? –Parce que ce serait du travail au noir! ». Rire franc garanti, ça marche. Thomas Ostermeier n’hésite pas à tirer le public du Français avec les grosses ficelles du show biz  mais et avec humour : «Pour Untel, faites du bruit ! », ni à l’entraîner dans l’outrance d’une boîte gay sado-maso du genre : cravache-qui-rit, avec mention particulière pour Christophe Montenez aux parodies énergisées et hilarantes. Ce sont ces moments, plus caca-pipi-quéquette que troubles, qui valent au spectateurs l’avertissement: «Attention, certaines scènes sont susceptibles de heurter la sensibilité. »

On l’aura compris, la bouffonnerie carnavalesque, parfois longuette, écrase quelque peu les scènes d’amour et de désir. On voit un Denis Podalydès  (le prince Orsino) perdu dans sa rêverie retrouver un instant de pudeur vestimentaire en présence d’un prêtre,  le jeune Sébastien (Julen Frison) interroger avec raison le public qui en sait en effet un peu plus long que lui sur son identité… Tout cela reste pastel et brumeux. C’est peut-être pour cela que les deux jeunes premières, Adeline d’Hermy (Olivia) et Georgia Scaliett (Viola/Cesario) susurrent leur texte.

Votre servante n’est pas sourde et peut fournir un audiogramme satisfaisant. Mais si ce susurrement ôte de la présence à ce dialogue, on remercie le metteur en scène de ne avoir pas sonorisé la voix de ces actrices. Cette diction indécise, ce parcours rêveur trouvera sans doute sa justification à la fin;  dans ce «songe d’une nuit d’hiver» un peu gueule de bois, ne cherchez pas le baiser final : il y en aura plusieurs. Mais aussi, après une bonne dose de rire, un épilogue inquiétant : le rire est parfois cruel. À vous de savoir de quoi vous allez rire, et avec qui?  À la Comédie-Française, on est entre gens bien, assurément.

Christine Friedel

Comédie-Française, place Colette Paris 1er. Jusqu’au 28 février (en alternance). T. : 01 44 58 15 15.

 


Archive pour 5 octobre, 2018

Le Tartuffe de Molière, mise en scène de Peter Stein

©Pascal Victor/ArtComPress

©Pascal Victor/ArtComPress

 

Le Tartuffe de Molière, mise en scène de Peter Stein

 

La biographie de Molière de Georges Forestier publiée ce mois-ci, révèle les difficultés d’autorisation du Tartuffe par Louis XIV : la pièce fut créée en 1664, avant une seconde version en 1667, puis une troisième en 1669. « Car prêcher « la vie en Dieu », comme le faisaient les adeptes de la dévotion, revenait à recommander l’anéantissement de soi et la pratique de l’humilité, de la pauvreté, de la pénitence, de la chasteté. Ce qui impliquait de tourner le dos à la vie mondaine, gouvernée par la recherche du plaisir, et aux conceptions galantes qui recommandaient la modération en tout, et notamment … en matière de religion. »

 Des différences entre les première et  seconde versions apparaissent,: le nouveau Tartuffe, escroc endurci, loin de se laisser chasser, une fois démasqué, comme le naïf et penaud directeur de conscience  du texte primitif, se révèle le vrai maître de la maison d’où on veut l’expulser. Molière pousse aux limites extrêmes le jeu d’une donation à un intrus.« Quand commença 1669, on attendait toujours Tartuffe… On dût vivre de reprises jusqu’à ce que le roi se décide enfin à dire oui à la pièce. Fort de l’aval de Louis XIV, Molière était satisfait : il avait pu afficher sa pièce sous le titre L’Imposteur ou le Tartuffe, qui combinait les deux titres interdits et annonçait que Tartuffe avait recouvré son nom, un temps effacé au profit de Panulphe ».

 En signe d’apaisement, Louis XIV avait fait frapper le 1er janvier 1669 une médaille commémorant « la Paix de l’Eglise », mais il attendait un signe ultime pour pouvoir tourner définitivement la page, et le 3 février, tombent deux «brefs» remis par le nonce du pape Clément IX. Il se déclarait satisfait de la soumission et de l’obéissance des quatre évêques jansénistes un rien excessifs…  Et Louis XIV annonça le lendemain à Molière qu’il l’autorisait à représenter la pièce.

 Ici, Tartuffe (Pierre Arditi), avec tout la morgue distanciée qu’on lui connaît, ne craignant pas de blesser les bienséances quand il s’adresse à la maîtresse de maison, goujat au possible, s’amuse avec  sournoiserie tranquille. Il fait perdre la raison au maître de céans, un Orgon incarné par le très humain Jacques Weber, grugé dans sa passion aveugle pour lui…

 Isabelle Gélinas est une belle épouse, respectable et élégante et Manon Combes, une servante facétieuse qui n’a ni son regard ni sa langue dans sa poche ; Madame Pernelle ( Catherine Ferran) est une mère austère,  entièrement dévouée à Tartuffe. Jean-Baptiste Malartre se glisse à merveille dans le rôle du beau-frère, honnête homme et courtisan, et Félicien Juttner est le jeune fils fougueux d’une famille bouleversée par la présence pesante de cet intrus hypocrite.

Dans une scénographie d’un blanc lumineux à deux niveaux avec un large escalier tournant, les personnages de la plus belle pièce de Molière se meuvent avec grâce, comme dans la clarté d’une mise en relief. Quand les compagnons déménageurs, vêtus du noir traditionnel et d’une capuche, la corde enroulée sur le dos, surgissent pour jeter les propriétaires hors de chez eux, ils rappellent de façon effrayante des figures fondamentalistes.

 De même, belle image finale quand apparaît l’Exempt, émissaire du Roi : sur le lointain, un soleil de rayons dorés s’installe majestueusement. Tartuffe, diable terrorisant, est ligoté, et en costume noir à capuche, et emmené en Enfer. Bref, la mise en scène de Peter Stein est un beau travail…

 Véronique Hotte

 Théâtre de la Porte Saint-Martin, 18 boulevard Saint-Martin,  Paris X ème.  T. : 01 42 45 53 66.

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