Sainte-Dérivée des Trottoirs de Faubert Bolivar, mise en scène d’Alice Leclerc

©Christophe_Péan

©Christophe_Péan

 

Francophonies en Limousin

Sainte-Dérivée des Trottoirs de Faubert Bolivar, mise  en scène d’Alice Leclerc
 
Cette nuit-là,  devant le parvis de la cathédrale de Limoges, le public des Francophonies  a participé  à un événement insolite.  Au son de tambours accompagnés de musique  chrétienne,  deux figures  masquées et sorties de l’ombre, nous invitent  à les suivre vers le Jardin de l’ Évêché… Et nous voici devant un tas de déchets: canettes, vieux papiers, filets de pêcheurs…  Un homme (Vladimir  Delva) se met à remuer, alors qu’une lumière rougeâtre émane de cet «autel» posé à l’entrée du jardin. Eclaboussé de saletés, il émerge de ces ordures, vomissant, crachant, jurant, hurlant en français et en créole, et maudissant ses origines, sa mère, Jésus, et son éclopé de père… Une manière pour lui de dénoncer la bêtise et la pauvreté dans le monde. 

Une résurrection d’un homme à l’apparence christique peu commune, au corps maigre, carnavalesque,  qui traîne derrière lui le poids de toutes les souffrances et des obscénités du monde! L’acteur est magnifique mais son personnage fait peur et le public est tétanisé devant la  Sainte-Dérivée qui entreprend son calvaire à travers le jardin de Christ. Il découvre ici un monde de folie, de délire et de chaos dans la fête. Cette Sainte folle évoque à la fois  Jésus et  Erzulie qui invite les spectateurs  à un rituel, le « rara » haïtien,  une grande procession mystique en l’honneur de Loa, une figure du panthéon vaudou. Erzulie, déesse de l’amour et de la sensualité, protectrice des enfants,  a des personnalités multiples.

Le chemin indiqué par de petits points de lumière, et surtout par des vévés sombres, figures dessinées dans le sable pour évoquer la déesse, et  entourées  d’autels couverts d’objets  signifiants:  fûts de pétrole vides, têtes de mort, poupées, restes d’une société de consommation qui éclairent la voie sacrée de la foule se dirigeant vers son destin inquiétant.
Celle qui mène la procession prend des allures d’un prophète déchu et d’un loa délirant qui répand des paroles d’Erzulie, des passages de l’Ancien Testament et des sermons  de Jésus, pour dénoncer la corruption, l’hypocrisie et l’obscénité actuelle de cette vie qui tue le peuple haïtien.

Le jeu de Vladimir Delva en impose. Sa colère gronde devant un  monde ou deux traditions qui se  heurtent, écrasent impitoyablement le peuple martyrisé de son pays,  alors que la logique de ce «réalisme merveilleux»  nous renvoie à un dénouement tragique sans issue. Faubert Bolivar, d’origine haïtienne, a été primé cette année par le groupe de lecture Textes en Paroles (Guadeloupe). L’acteur et la metteuse en scène ont magnifiquement animé son texte. Et avec ce «rara» célébré en plein air, la colère de Faubert Bolivar est encore plus  incandescente. La procession devient un moment d’agit-prop utilisé par le grand metteur en scène allemand Erwin Piscator (1893-1966) et très prisé dans les années 1960-70, lors des manifestations contre la guerre au Viet nam. Le metteuse en scène a su réunir de multiples éléments culturels et des visées politiques avec un résultat des plus fascinants.

Mais que dire de l’efficacité du renversement à la  toute fin, avec un «dévoilement» réaliste qui diminue la surprise!  Alors que la mise en scène, plus fantaisiste, l’avait déjà mise en évidence? Était-ce bien nécessaire? Le public qui doit se déplacer, ne savait pas toujours où se mettre malgré le grand espace du Jardin. Ce genre de spectacle en plein air ne semble pas être tout à fait dans les habitudes des festivaliers… 
 
Alvina Ruprecht

Spectacle vu au Jardin de l’Évêché de Limoges, le  5 octobre.
Fêtes le Pont, à La Rochelle du 12 au 14 octobre.

Festival Quatre Chemins,  Port-au-Prince (Haïti) du 19 novembre au 1er décembre.


Archive pour 10 octobre, 2018

End/igné de Mustapha Benfodil, adaptation et mise en scène Kheireddine Lardjam

End/igné de Mustapha Benfodil, adaptation et mise en scène Kheireddine Lardjam

 EndignésA la morgue de Balbala, il y a fort à faire: cinquante-trois morts en deux mois : entre autres, un bébé retrouvé dans une poubelle, un migrant subsaharien, un fou errant dépouillé de ses organes par des trafiquants… Et, plus récemment, deux cadavres décapités à la scie! Moussa, « nécrologue en chef « , veille sur ce petit monde, discute avec eux, malgré la chaleur (la clim’ est en panne) et entre deux coupures d’électricité.  » Compter les morts, plaisante-t-il, il n’y a rien d’autre à faire à Balbala! ». Près des champs pétroliers où il n’a pas accès, ce technicien supérieur en forage, et au chômage comme tant d’autres en Algérie, il n’a trouvé que ce travail à la morgue. Faute d’avoir pu graisser la patte à qui de droit : “L’argent est un lubrifiant miraculeux”.

  »Que ne donnerais-je pas pour un aveu de vous ? » dit-il, à ses  macchabées : avec un petit magnétophone, il essaye d’écrire la chronique de cette société d’outre-tombe à l’image de celle des vivants. Charge à son ami Aziz de mettre en forme ces témoignages, pour écrire leur livre : L’Autopsie de Balbala. Aziz, le blogueur sulfureux et redouté par la société corrompue, le pourfendeur de barbus, accablé de procès, n’écrira jamais ce livre, et choisira une autre voie pour revendiquer haut et fort sa liberté : « J’ai allumé mon corps pour le regarder vivre ! » D’où le titre de la pièce. On pense inévitablement à Mohamed Bouazizi, qui s’immola par le feu en décembre 2010, geste qui fit naître les Printemps arabes. Parce que Mustapha Benfodil avait enquêté sur les immolés par le feu, phénomène répandu en Algérie, Keireddine Lardjam, lui a commandé cette pièce. Intrépide reporter et journaliste n’hésitant pas à s’embarquer sur les bateaux des migrants en Méditerranée, ou à couvrir la guerre d’Irak, il alimente ses romans et son théâtre de ses expériences.

 Azeddine Bénamara incarne celui qui répare les morts et l’autre qui lutte pour les vivants. Des styles d’écriture très contrastés portent ce double monologue : l’auteur commence dans le registre d’un humour acerbe et fait sourire l’auditoire, pour se terminer par une fulgurance poétique d’une étonnante virtuosité. Malgré le jeu un peu forcé du comédien,  on apprécie la prose flamboyante de Mustapha Benfodil, et son sens de la formule. Avec des jeux de mots qui fusent et maintiennent la distance face à la tragédie algérienne dont Balbala et sa morgue sont la métaphore. «D’où l’autopsie, dit Musatpha Benfodil,  pas l’autopsie du corps social. Juste celle d’un corps qui a mal. Un type bien identifié. Avec un C.V. Des envies. Des emmerdes. Et des rêves qui ont explosé en plein vol. Une autopsie poétique donc. Avec, pour seule médecine légale, la liberté du scalpel. »

Ce spectacle d’une heure a été créé au Caire en 2013, où il a pris une résonance telle que des phrases du texte ont été taguées sur les murs par des manifestants: « Je ne suis plus dans le champ folklorique, je suis dans le champ politique, je vous laisse à vos antiquités ». Puis il a  été joué en Algérie, à Marseille, à Avignon et nous l’avions vu au théâtre de l’Aquarium en 2014. Nous avons plaisir à retrouver ce brulot : il n’a rien perdu de sa causticité, même si depuis, les Printemps arabes ont fait long feu…

 Mireille Davidovici

Théâtre de Belleville, 92 rue du Faubourg du Temple, Paris Xl ème, jusqu’au 27 novembre. T. : 01 48 06 72 34.

La Golondrina de Guillem Clua, mise en scène d’Hélène Gkassouka

 

La Golondrina (L’Hirondelle) de Guillem Clua, traduction et adaptation de l’espagnol en grec de Maria Hatziemmanoyil, mise en scène d’Hélène Gkassouka
 
D68C2502-2CA0-4D75-A5D3-2B5C16636733Un titre symbolique u printemps et à l’épanouissement de la Nature.  Comme une allégorie de la fragilité des relations humaines où on est toujours entre la vérité et le mensonge, le secret et l’illusion. En s’inspirant de l’attentat terroriste en 2016 dans un bar gay d’Orlando (Etats-Unis),  Guillem Clua écrit un an plus tard l’histoire d’une réconciliation.

Il met ici en scène deux personnages qui apparemment ne se connaissaient pas mais qui souffrent d’une absence commune: un mort. La rencontre de Ramon, un jeune homosexuel et d’Amélia, une vieille professeur de musique et mère de Danny, l’amant de Ramon, révèle petit à petit une vérité douloureuse. La Golondrina se concentre sur une étude psychologique: Ramon et Amélia exposent leur façon de penser, leurs sentiments et leurs angoisses, tout en se libérant de leur culpabilité…

Chacun se sent enfermé dans ses remords et ses cauchemars, mais après un long débat, des révélations et des surprises, on découvre comment ils arrivent à comprendre et à accepter l’autre. Loin des clichés homophobes, cette pièce a été adaptée à  la réalité grecque actuelle  et témoigne de l’une des révolutions sociétales les plus marquantes de notre époque.

Hélène Gkassouka crée un spectacle riche avec des moments très sensibles… Il faut souligner la beauté de la musique de Thémis Karamouratidis et des lumières de Lefteris Pavlopoulos à l’ambiance mélancolique. Belle unité du décor et costumes de Marie Tsagkari avec le jeu réaliste de Sophie Seirli et Vassilis Mavrogeorgiou, tous deux exceptionnels. Ils incarnent leurs personnages avec passion, tout en soulignant les nuances psychologiques de ce mélodrame loin des pièces de boulevard aux personnages homosexuels caricaturaux, et où il y a une véritable émotion et un rire amer. Avec une indispensable réflexion…
 
Nektarios-Georgios Konstantinidis
 
Théâtre Mikro Gloria, 7 rue Ippokratous, Athènes. T. : 0030 210 36 42 334

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