Western, adaptation et mise en scène de Mathieu Bauer
Western, librement inspiré du roman la Chevauchée des Bannis de Lee Wells et du film éponyme d’André de Toth, adaptation et mise en scène de Mathieu Bauer
Le théâtre, depuis quelques années, emprunte souvent au cinéma et Mathieu Bauer, fut l’un des chefs de file de ce mouvement : «J’ai compris que le cinéma apportait au théâtre la liberté (…) Quelque chose qui laisse place à l’image et à la musique. » Le directeur du Nouveau Théâtre de Montreuil, cinéphile de cœur et batteur de formation, conjugue souvent, sur les plateaux, ses deux dadas. Ici, il s’attaque au western. « Comment allez-vous faire pour les chevaux ? » s’est-on inquiété. La question a failli servir de titre au spectacle. Mais les artistes ont trouvé la solution…
Après le succès de Shock Corridor, inspiré du film de Samuel Fuller, spectacle de sortie d’école du groupe 42 joué au Théâtre national de Strasbourg, puis à Montreuil, le metteur en scène poursuit l’aventure avec ces jeunes acteurs, qui sont aussi d’excellents musiciens. La Chevauchés des bannis (Day of the Outlaw), se prête particulièrement bien au théâtre avec,, au milieu des grands espaces enneigés, un huis-clos dramatique. Dans un village, au fond du Wyoming, s’affrontent fermiers et éleveurs : les barbelés posés par des uns entravent la libre circulation du bétail des autres. Cette rivalité se double d’une intrigue amoureuse : une femme tiraillée entre un beau cow-boy héroïque, et son terne fermier de mari. Surgissent sept bandits en fuite qui prennent les habitants en otage et veulent faire main basse sur l’alcool et les femmes. Le héros, rusé, parviendra à débarrasser le village de ce fléau, mais non sans dommages collatéraux…
La neige, une épaisse ouate blanche, recouvre entièrement le plateau. Une ossature de maison figure les espaces du dedans et du dehors. Une table et des chaises deviennent saloon, ou arrière-cuisine de l’épicerie, et des artisans s’affairent à divers travaux : le martèlement de leurs outils s’accorde à l’orchestre dans l’ombre, derrière un modeste piano de bar. Le son est particulièrement soigné. Pour retrouver le grain de voix des années soixante, les acteurs parlent dans de vieux micros à haut-parleurs portatifs. Les compositions de Sylvain Cartigny puisent dans la bande originale du film (1959) mais empruntent aussi au style sévère d’Arvo Pärt ou s’inspirent de chants folk ou de romances de l’époque.
Le caractère composite et choral de cette musique omniprésente souligne l’aspect collectif de la mise en scène : certains interprètes jouent plusieurs seconds rôles et des comédiennes incarnent des hommes. Quand ils sont hors-jeu, les acteurs intègrent l’orchestre… Pour être fidèles à l’ambiance austère du film d’André de Toth, un réalisateur d’origine austro-hongroise surnommé « le quatrième borgne d’Hollywood », les éclairages jouent sur les clairs-obscurs et contribuent à rendre un noir et blanc contrasté.
On retrouve dans Western (comme dans La Chevauché des Bannis), les thèmes du genre comme : opposition entre individu et collectivité, naissance de la propriété privée, usage légitime de la violence et des armes, et les femmes, objets de désir et de discorde. Une réplique ironique reprend la fameuse phrase du grand critique de cinéma, André Bazin : « Dans les westerns, une femme vaut moins qu’un cheval ! ». Des thèmes encore présents dans l’envers du rêve américain.
Mais ici ni empathie ni psychologie envers les dramatis personae. Et pas d’identification possible : la mise en scène instaure de la distance. Quand, dans la séquence finale, les hommes enfourchent leurs chevaux, les acteurs jouent à jouer la cavalcade. On transforme à vue le plateau en zone montagneuse enneigée, en faisant naître les images au fur et à mesure des besoins du scénario. Pour la tempête, une machine à vent : on dévoile le trucage… Le spectateur se trouve ainsi associé à la fabrication de la pièce. Un ingénieux bricolage à l’instar du montage pictural et sonore. Il sera aussi sensible aux belles images accompagnées d’un travail musical remarquable. Raison de plus pour voir ce spectacle de soixante-dix minutes.
Si vous avez le temps (trois heures dix, entracte inclus), ne manquez pas Une Nuit américaine où Western et Shock Corridor que nous vous avions chaudement recommandé (voir Le Théâtre du Blog) seront donnés dans la même soirée. Avec, comme dans les cinémas d’antan, attractions et esquimaux pendant le changement de décor opéré à vue. Ce sera un bel hommage au septième art. « On allait pas “voir un film“, on “allait au cinéma“. écrit, nostalgique, Serge Daney dans La Rampe (…) Et à l’entracte. (…) La salle de cinéma était pour l’enfant un piège délicieux et les attractions la partie amère de ces délices. Elle redevenait hangar de misère(…) De toute façon, le “grand film“ allait commencer. » Mireille Davidovici
Western Jusqu’au 13 octobre. Une Nuit américaine du 18 au 26 octobre
Nouveau Théâtre de Montreuil 10 place Jean-Jaurès Montreuil T. : 01 48 70 48 90
Le 9 novembre Scène nationale de Sète ; le 19 janvier, Théâtre du Gymnase Marseille ; du 24 au 26 janvier Théâtre de la Croix-Rousse, Lyon ; le 1er février Le Granit, Belfort ; les 12et 13 mars, Comédie de Clermont-Ferrand.