Partage de midi de Paul Claudel, mise en scène d’Éric Vigner

©Jean-Louis Fernandez

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Partage de midi de Paul Claudel, mise en scène d’Éric Vigner

Une œuvre écrite en 1905 et modifiée en 1948, menée ici avec grâce et violence dans des contrées jusque-là inexplorées. La vie et l’univers poétique de l’écrivain répondent à des aspirations profondes: celles de l’amour divin et de l’amour humain. Elles auraient pu cheminer en harmonie mais le destin en décida autrement: «Les deux premiers actes de Partage de midi ne sont qu’une relation exacte de l’aventure horrible où j’ai failli laisser mon âme et ma vie, après dix ans de vie chrétienne et de chasteté absolue.»

La pièce est aussi le sombre et troublant miroir des grandes crises spirituelles vécues par le poète et diplomate, reçu premier au concours des Affaires étrangères. « La première, dit-il, dans Ma Conversion, 1913) eut lieu une nuit de Noël à Notre-Dame de Paris: «J’étais moi-même debout dans la foule, près du second pilier à l’entrée du chœur à droite, du côté de la sacristie. Et c’est alors que se produisit l’événement qui domine toute ma vie. En un instant, mon cœur fut touché et je crus. »

Et la seconde crise se produit quelques années plus tard, après une retraite à l’abbaye de Ligugé, à la suite d’un séjour en Chine. Paul Claudel avait voulu se faire moine bénédictin mais le Père abbé avait quelques doutes et lui suggéra en 1900 de retourner en Chine   pour mettre à l’épreuve son désir d’engagement religieux. Il reçut cette décision comme un refus de Dieu, proche de la trahison et d’un véritable traumatisme. Cette même année, il prit donc à nouveau le bateau pour l’Extrême-Orient et, à trente-deux ans, il vivra un moment épiphanique avec une double rencontre fulgurante pour ce poète encore vierge, celle du plaisir charnel et du  féminin, de la beauté et de l’absolu, avec Rosalie Vetch. Paul Claudel tombe passionnément amoureux de cette femme mariée, déjà mère de quatre enfants.  Un bouleversement existentiel qu’il vécut comme la continuité de son cheminement spirituel et poétique…

Partage de midi en sera le témoignage sublimé: «Pour les héros du drame, prisonniers de la fatalité comme d’un oméga dont les deux bras se resserrent de plus en plus autour d’eux, il ne reste finalement qu’un moyen de salut: la fuite vers le ciel. » Une pièce largement autobiographique et plusieurs moments de  cette histoire d’amour trouvent un écho entre drame vécu et drame écrit: échec de la vocation religieuse, rencontre sur le bateau d’Ysé, Mesa et Amalric. Et l’œuvre fait écho au double adultère de Rosalie enceinte d’un premier amant, quand elle  rencontre Paul Claudel…

Eric Vigner  eut un choc sentimental et esthétique comparable. » Je l’ai découverte à dix-sept ans dans la bibliothèque de mon oncle, donc il y a longtemps. Cette lecture a été un moment très important, essentiel, pour moi, sans savoir ce que c’était.» Un véritable coup de foudre et Partage de Midi, gravée à jamais dans son esprit et son imaginaire, ne le quittera plus. Cette œuvre de la maturité chez Paul Claudel est le deuxième volet d’un triptyque commencé par Eric Vigner avec Tristan, écrit et créé en 2014 à Lorient et dont le dernier sera Le Vice-Consul de Marguerite Duras. Des écrivains essentiels dans le parcours intime et artistique du metteur en scène comme les acteurs qu’il a choisis: «Quatre corps, quatre voix, quatre êtres singuliers qui partagent un même texte. »

Autre complicité entre  le dramaturge et le metteur en scène: la fascination partagée pour l’Asie, sa culture, sa spiritualité et son esthétique. Eric Vigner avait monté en coréen Le Jeu du Kwi-jok ou Le Bourgeois gentilhomme. Et, grâce à sa sœur Camille, Paul Claudel avait, à vingt-trois ans, découvert le théâtre chinois à l’Exposition Universelle de 1889 à Paris. « Ici le climat recherché est celle du pont des bateaux à vapeur avec moteur fonctionnant au  charbon, dit Eric Vigner, comme dans les films américains sur ces années-là. La Chine est un pays bruyant où on fume de l’opium et il faut imaginer un voyage sur deux mois ! Arrivé là-bas,  on découvre une sorte de Moyen-âge et pas du tout une société organisée, occidentale,  comme on est alors en train de construire dans ces années là, en France, par exemple. C’est aussi l’histoire de la colonisation. C’est important de se replacer dans ce contexte et, dit Eric Vigner, les costumes sont donc complètement XIX ème siècle! »

Mais avec la scénographie, on dépasse ce contexte historique et nous sommes, à chacun des trois actes, subjugués par sa beauté et sa symbolique. Mais aussi fascinés par la gestuelle de Jutta Johana Weiss, (Ysé), Stanislas Nordey (Mesa), Alexandre Ruby (Amalric) et Mathurin Voltz (de Ciz) : exceptionnels. Et avec un remarquable retour en arrière, sorte de préambule à cet amour impossible, le spectacle commence avec les lettres de Mesa (le double de Paul Claudel) restées sans réponse. Brutalité sensuelle et désespoir métaphysique… Le spirituel communie ici avec la chair.  Un spectacle mystique où les personnages, tous en situation d’échec, et partis pour la Chine comme pour avoir une deuxième chance, semblent être ici un  chant unique, pour livrer un secret dont ils ignorent eux-mêmes la signification…Une raison sans doute d’avoir pris la mer.  

L’éclairage à la bougie avec ses contrastes et ses ombres, la grâce, la gestuelle et l’extraordinaire présence de Jutta Johanna Weiss, (Ysé) incarnation sublime d’une féminité moderne, participent d’une peinture flamande. La bande-son et les coups de gong intensifient l’écriture singulière de Paul Claudel, comme pour mieux la laisser résonner. Le phrasé et la voix de chaque personnage s’apparentent à un chant venu d’ailleurs. A l’acte II, dans un cimetière chinois, Ysé et Mesa, en élégants costumes noir, s’élancent dans un pas de deux amoureux avec, pour seuls témoins, un rideau de bambou et des couronnes mortuaires. Puis, au troisième acte, le vide va prendre possession de l’espace et seuls, ressortent sur fond blanc et en caractères chinois, les mots: vie, mort, éternité. Appel au divin?  Une étrange émotion traverse le spectacle. Véritable danse de l’âme sur les flots  imprévisibles, mais tout aussi impitoyable et violente danse des mots… Une superbe mise en scène…

 Elisabeth Naud

Théâtre National de Strasbourg, jusqu’au 19 octobre.

Comédie de Reims, du 13 au 15 novembre.
Théâtre National de Bretagne, Rennes du 12 au 19 décembre.
Théâtre des Abbesses/Théâtre de la Ville, du 29 janvier au 16 février.    

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  • 2 commentaires

    1. Merci de votre message. Notre collaboratrice Elisabeth Naud ne comprend pas bien le sens exact de votre commentaire. Pouvez-vous donner quelques précisions pour qu’elle puisse vous répondre.
      cordialement

      http://theatredublog.unblog.fr/wp-admin/post.php?post=41777&action=edit#comments-form
      Philippe du Vignal
      Rédacteur en chef du Théâtre du Blog

    2. Jeannot dit :

      ??????? Avons nous vu le même spectale ? Y a t’il une loge pour les amateurs de théâtre? Ou faut-il être encarté au PS ou à la LREM pour apprécier Claudel?

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