Grito pelao de Rocio Molina et Silvia Perez Cruz

 

Grito pelao de Rocio Molina et Silvia Perez Cruz

Depuis quelques années, Rocio Molina est artiste associée au Théâtre National de la danse de Chaillot et y présente régulièrement ses créations dans une relation de confiance réciproque. Chaque fois, un public fidèle et attentif, est au rendez-vous et sait que chaque spectacle, fruit d’une patiente recherche, posera de nouvelles questions, ouvrira de nouvelles pistes.

L’année dernière, à propos d’Afectos, nous évoquions l’incroyable liberté de Rocio qui la pousse à tout se permettre, quitte à déranger, étonner, émerveiller. Cette fois, Grito pelao que l’on peut traduire par : à cor et à cri, témoigne d’un courage que rien ne peut arrêter et d’une nécessité personnelle impérieuse. « Je danse, dit-elle, ce que je vis, et je vis ce que je danse.» «C’est dans l’erreur que tu peux trouver une surprise, celle que tu cherchais. » Pour elle, prendre des risques, c’est accepter de « se perdre pour se trouver».

Elle explore au plus profond l’univers féminin, le corps, le désir d’enfant, la maternité, la filiation. Ayant enfin pris une décision difficile qui la hantait depuis plusieurs années, elle est enceinte de sept mois d’une petite fille. Ce nouvel état crée des transformations de son corps, bien sûr, de ses moyens physiques et de son esprit. Sur scène, elle partage les diverses  émotions et interrogations de la grossesse, avec sa propre mère, Lola Cruz, invitée pour la première fois à participer au spectacle, et avec  sa partenaire-complice, Silvia Pérez Cruz, elle-même mère d’une petite fille.
L’interprète au chant, puissant ou subtil, accompagne et soutient la danse de Rocio et par moments, danse aussi. Entre elles, parfois en miroir, s’échange un dialogue sonore et gestuel, violent ou douloureux mais  le plus souvent fait de douceur et lenteur : temps hors du temps, de l’attente et de la patience, que requiert la maternité.

L’échange, parlé ou dansé, de Rocio avec sa mère, Lola, est plus complexe. Rocio l’interroge, lui fait part de ses doutes, peurs et angoisses. Puis, lui faisant face, elle s’affirme comme danseuse et femme. Sa mère se tient le plus souvent en retrait, à distance, veillant de loin, discrètement sur son enfant qui la provoque, la bouscule, l’inquiète… Parfois, elles se rejoignent pour danser ensemble, chacune à sa façon, dans une sorte de pas de deux, avec une certaine harmonie. Ou bien, plus proches encore, dans une lenteur fusionnelle, elles inventent ou réinventent des attitudes venues de très loin, comme figées dans le temps, la mère soutenant la fille, puis, à l’inverse, la fille soutenant la mère. Telles des peintures ou sculptures de pietà qui pourraient répondre à la tragique interrogation de Yerma chez Federico Garcia Lorca, qui est en mal de maternité et qu’un désir insensé d’enfant resté sans réponse, fait sombrer dans l’égarement.

Vers la fin du spectacle, parvenue au bout de ce long chemin peut-être initiatique, Rocio se dépouille de ses vêtements et, toujours très lentement, s’immerge, à plusieurs reprises, dans un bassin rempli d’eau. Elle en ressort, ruisselante, rassurée, apaisée, et  prête à mener à terme son attente. Grito pelao, commencé par l’évocation du milieu aquatique avec des  images en fond de scène, finit avec la présence, bien réelle cette fois, de l’eau comme élément féminin, allusion à la vie intra-utérine, protectrice?

Entre temps, sont projetées  d’autres images: certaines sont des échographies de l’enfant qui va bientôt naître, d’autres évoquent le sang… Rocio ne veut rien éluder de ce qui fait la féminité dont une prise de conscience sous tous ses aspects, même les plus intimes, est l’affirmation. Et ce spectacle, qui n’a rien d’exhibitionniste, dépasse le strictement féminin pour aller vers, plus essentielle encore, notre humanité, sans aucune restriction.

Chantal Maria Albertini

 

Le spectacle a été présenté au Théâtre National de la Danse de Chaillot, 1 Place du Trocadéro, Paris XVIème,  du 9 au 11 octobre.

 


Archive pour 20 octobre, 2018

La Légende de 1900, adaptation et mise en scène de Giannis Filias et Dimitris Stamatelopoulos

La Légende de 1900,  d’après Novecento: un monologo d’Alessandro Baricco, adaptation et  mise en scène de Giannis Filias et Dimitris Stamatelopoulos

shoppingCe monologue de l’écrivain italien Alessandro Baricco, publié en 1994, raconte l’histoire de Danny Boodmann T.D. Lemon Novecento. Né et abandonné sur un paquebot en 1900, il fut adopté par son équipage et grandit sans jamais descendre à terre. Doué pour la musique, il apprit à jouer du piano et en devint un virtuose. « Il avait du génie pour ça, il faut le dire. Il savait écouter. Et il savait lire, ça tout le monde peut, lui, ce qu’il savait lire, c’était les gens. Les signes que les gens emportent avec eux : les endroits, les bruits, les odeurs, leur terre, leur histoire… écrite sur eux, du début à la fin. Et lui, il la lisait, et avec un soin infini, il cataloguait, il répertoriait, il classait…Chaque jour, il ajoutait un petit quelque chose à cette carte immense qui se dessinait peu à peu dans sa tête, la carte du monde, du monde entier, d’un bout à l’autre, des villes gigantesques et des comptoirs de bar, des longs fleuves et des petites flaques, et des avions, et des lions, une carte gigantesque. Et ensuite il voyageait dessus, comme un dieu, pendant que ses doigts se promenaient sur les touches du piano en caressant les courbes d’un ragtime. »

Tous ceux qui l’entendent alors jouer, le considèrent comme le plus grand interprète de tous les temps. Adulte, il restera vivre sur le bateau mais son jeu exceptionnel le rendit célèbre et un autre pianiste de génie décide de le provoquer en duel «musical », afin d’établir qui est vraiment le plus grand. L’histoire est racontée par Tim Tooney, le trompettiste de l’orchestre, ami de Novecento et témoin privilégié de sa vie déconnectée.

Ce fameux monologue est surtout connu surtout par son adaptation au cinéma : La Légende du pianiste sur l’océan de Giuseppe Tornatore (1998). Ici, deux comédiens, alternant narration et dialogue, racontent les aventures de Novecento. Giannis Filias (le pianiste), qui est aussi l’auteur de la musique, et Dimitris Stamatelopoulos (le trompettiste) créent une performance pleine de vivacité.
Trois roues pendues d’une corde au plafond, une paire des gants de boxe, un manteau etc. connotent ici  le texte.

Les  comédiens/chanteurs font naître de belles images, avec des variations de lumières comme le bleu qui  évoque la mer. Et en improvisant corporellement, ils commentent les mots et en analysent leur sens,  au risque parfois de  créer un vertige scénique. Mais ils maîtrisent bien leur gestuelle et le public les a applaudi chaleureusement.

Nektarios-Georgios Konstantinidis

Théâtre Tempus Verum, 19 rue Iakchou, Gazi, Athènes. T. :  0030 210 34 25 170

Le texte, traduit de l’italien est publié chez Gallimard-Folio.

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