Toutes les choses géniales de Dunclan Mac Millan, mise en scène d’Arnaud Anckaert

 

Toutes les choses géniales de Dunclan Mac Millan, avec la collaboration de Jonny Donahoe, traduction de Ronan Mancec, mise en scène d’Arnaud Anckaert 

 

©BrunoDewaele

©BrunoDewaele

« Toutes les choses géniales, dit l’auteur, est le fruit d’une collaboration entre George Perrin, Jonny Donahoe et moi-même. Il s’agit d’une adaptation de ma nouvelle Sleeve Notes, écrite à l’origine pour le collectif des Minituarists et interprétée par Rosie Thomson au Southwark Playhouse, au Theatre 503 et à l’Union Theatre, par moi-même aux Trafalgar Studios, à l’Old Red Lion et au Village Underground, par Gugu Mbatha-Raw chez 93 Feet East et lue en public par de nombreux visiteurs du Latitude Festival (…)  La pièce été créée par le théâtre Paines Plough et la compagnie Pentabus  et  doit beaucoup à Jonny Donahoe qui, en prenant appui sur son expérience du stand-up (…). De par sa nature, la pièce est différente à chaque représentation et, dans ce sens, Jonny en a été le co-auteur en l’interprétant. »

La pièce a été jouée quatre mois au Barrow Street Theatre à New-York.  L’auteur de Séisme (voir Le Théâtre du Blog) a écrit ce monologue pour  qu’il soit joué en grande proximité avec le public…  Didier Cousin, fidèle acteur du Théâtre du Prisme, est debout sur un tapis rond de plastique bleu avec autour quelques soixante personnes. “Le narrateur,  dit le dramaturge, peut être interprété par un homme ou une femme, de n’importe quel âge et de n’importe quelle origine. A la création, il  était joué par un homme, et apparaît donc en tant que tel dans le texte. La pièce doit être adaptée pour le pays où elle est jouée».

La salle, en fait une salle de répétition en sous-sol, très silencieuse, restera éclairée. Un homme, Le narrateur parle aux spectateurs et leur donne  des feuilles de papier et explique que quand il annoncera un nombre, la personne devra dire la phrase inscrite à voix haute  sur une une liste de tout ce qui vaut la peine de vivre. Comme: 1. Les glaces. 2. Les batailles d’eau. 3. Rester debout après l’heure habituelle et avoir le droit de regarder la télé. 4. La couleur jaune. 5. Les choses avec des rayures, etc.

Un texte interactif où l’acteur doit faire intervenir un public complice sur un thème pas des plus commodes : le suicide d’un proche,  donc avec une réflexion, mais comme si on n’y touchait pas, sur la mort et avec un certain humour. Et il y a de belles scènes entre le père et son petit garçon. Le narrateur est très pudique mais on comprend vite:«Papa est resté avec maman pendant une éternité. Quand il est ressorti, je l’ai suivi le long du couloir, je l’ai suivi dans le hall de l’hôpital, je l’ai suivi sur le parking, je l’ai suivi dans la voiture, je l’ai suivi dans l’allée de la maison, je l’ai suivi devant la porte, je l’ai suivi dans le couloir de l’entrée, je l’ai suivi dans l’escalier jusqu’à ce qu’on arrive devant son bureau, où il est entré et dont il a refermé la porte et je ne pouvais plus le suivre. »
 
Les spectateurs jouent le jeu avec une grande courtoisie et  acceptent d’être tel ou tel personnage ; une jeune femme parle vraiment trop bien et on sent vite la comédienne complice. Pas grave, et la mise en scène d’Arnaud Anckaert fonctionne bien avec un bon rythme. Il y a des instants de passage à vide comme dans tout théâtre participatif, mais Didier Cousin, comédien très  solide du Théâtre du Prisme met vite le public à l’aise et a une belle présence…
La compagnie Entrée de jeu avait créé il y a quelque six ans, un spectacle sur  ce même thème, à la demande de la Mutuelle Sociale Agricole de Haute-Normandie dans un but préventif, vu le nombre de suicides dans la profession… Au Théâtre Jacques Carat de Cachan  en banlieue parisienne, cela marche aussi, mais à partir d’un texte d’un écrivain londonien reconnu.

Et la fin est tout à fait remarquable: “J’ai habité chez papa pendant quelques mois après l’enterrement. Nous passions nos journées à faire des promenades ou à lire ou à écouter des disques. Il s’endormait dans son fauteuil et moi je m’asseyais à son bureau pour taper la liste à l’ordinateur, en commençant par le tout début » On entend Le Tourbillon la fameuse chanson que chante Jeanne Moreau dans Jules et Jim. Le narrateur serre la main  de quelques spectateurs qui ont joué les personnages principaux :  la prof, Mme Olivier, le père et Sam puis s’en va. La liste reste éparpillée sur  le plateau

Un beau petit spectacle qui peut être présenté dans n’importe quelle salle silencieuse.

 Philippe du Vignal

 Spectacle créé et vu au Théâtre Jacques Carat de Cachan, le 19 octobre.


Archive pour 24 octobre, 2018

Livres et revues:

Livres et revues:

 Le Geste unique d’Alwin Nikolais, traduit, dirigé et annoté par Marc Lawton

Couv_3D_LGU-copieLe livre a été traduit à partir d’un tapuscrit de 1993. Une biographie, d’une grande précision, signée Marc Lawton, permet de bien comprendre le parcours humain et artistique du grand créateur américain d’origine russe et allemande, né en 1910. Il vécut dans le Connecticut et eut une enfance marquée par le cliquetis des machines de la boulangerie familiale et le travail des forges juste en face: déjà une grande sensibilité au son et au rythme!

Touche à tout incapable de suivre des études normales, il réussit en 1927 à se faire embaucher comme accordéoniste de bals, puis il  prit des cours d’orgue et  devint accompagnateur et bruiteur de films muets. Et il commença à jouer dans de petits orchestres de jazz, à donner des cours de piano et est accompagnateur de cours de danse. Puis il étudie à l’université libre de New Haven, la scénographie, l’histoire du théâtre et la composition musicale. En 1932, il voit un spectacle de Mary Wigman qu’il rencontre puis il suit les cours de Truda Kaschmann, ancienne interprète de la grande chorégraphe. Alwin Nikolais joue  au piano Chopin, Bach et Beethoven, s’intéresse à la comédie musicale et dirige un théâtre de marionnettes de 1935 à 1937, et en devient aussi  le metteur en scène.

Puis il suit des stages de danse avec Martha Graham, Doris Humphrey… Il fondera ensuite sa propre école de danse et cosigne une pièce Huits colonnes à la une.  Alwin Nikolais voyage au Mexique dont il reviendra très impressionné. Affecté par hasard pendant la guerre  à une division d’enquêtes criminelles, il est envoyé en Angleterre et fréquente l’université d’Oxford et les théâtres. Et il est nommé à Paris, juste après le Débarquement, puis à Liège et Verviers. L’expérience de la guerre et des villes dévastées par les fusées V2 le marquera profondément. Il repart pour New York en 1946, devint l’assistant d’Hanya Holm, puis dirige un théâtre avec un studio de danse  et il enseigne pour elle en 49.

Il crée aussi un système de notation chorégraphique dans la continuité du fameux Laban,  et remarque Murray Louis qui deviendra vite son associé en danse et son compagnon.  Il découvre alors la musique dite concrète de Pierre Schaefer et Pierre Henry, ce qui l’amènera à créer des spectacles avec un son plus abstrait, puis avec synthétiseur.  En 53, il présente des pièces abstraites comme Noumenon, Web, sous l’influence, dira-t-il, de Darwin, Einstein et Freud…  Alwin Nikolais prône déjà le relâchement de la tension du corps et et son fameux “décentrement”.  Mais il arrêtera ensuite de danser. Il  fut  alors reconnu à New York avec une pièce comme Kaleidoscope et explore dans ses chorégraphies les ressources de la lumière qui deviendra la marque de ses fabuleux spectacles. Mais comme le rappelle Marc Lawton, ses propositions: collants  au lieu de costumes, prothèses pour les danseurs, appellation théâtre et non danse pour ses spectacles sont encore souvent mal comprises par la critique et le public.
Il sera l’un des premiers artistes et chorégraphes à analyser et à s’approprier les théories du sociologue Marshall Mac Luhan dont la fameuse phrase “Le message, c’est le medium” rejoignait ses  recherches sur le mouvement.

Alwin Nikolais participe à des émission de télévision et collabore avec le cinéaste expérimental Edmund Emshwiller. Et il acceptera de diriger le nouveau centre chorégraphique d’Angers dont sortiront  notamment Philippe Découflé et la compagnie Beau Geste. Avant de mourir en 1993.
Dans ce livre, suit le texte même du Geste Unique d’une richesse exemplaire qu’il est impossible de résumer en quelques lignes. “ J”ai forgé, dit-il, l’expression Geste unique pour qualifier un principe qui va à l’encontre des processus établis, en vertu desquels le créateur doit rattacher ce qu’il veut communiquer par la danse, aux techniques de mouvements existants”.

Le célèbre chorégraphe parle en effet danse mais, en génial et curieux touche à tout,  se passionne pour de nombreuses formes d’art, et surtout au “potentiel du corps humain auquel s’adresse la danse moderne”. Soit une façon radicale de voir  la réalité gestuelle et scénique autrement, et de façon souvent philosophique. Et il pressent l’importance de la communication non verbale que l’interprète est susceptible d’avoir avec le public.  C’est maintenant évident mais pas vraiment, il y a une cinquantaine d’années….
Il y a aussi des pages formidables sur la notion de temps et de rythme sur lesquels le chorégraphe n’aura cessé toute sa vie de réfléchir. Et tout un chapitre consacré à la notion au travail de la forme sculpturale du corps et à la façon de le mettre en valeur que ce soit, dit-il, chez le danseur ou chez une prostituée.
Alwin Nikolais insiste sur la technique mais aussi l’improvisation et la composition, des bases fondamentales pour lui. Il parle aussi longuement, en excellent pédagogue qu’il était et rappelle que, dans l’histoire humaine, la mobilité n’a rien d’un acte simple!
C’est un livre très solide, bien écrit aux nombreuses références avec une qualité de pensée exceptionnelle sur le temps, le rythme, l’espace, la lumière et le geste. Alwin Nikolais montre que l’intelligence et la sensibilité du mouvement contribue à faire de l’interprète, un créateur  à part entière…

Marc Lawton a dédié  cet ouvrage à la mémoire de la mère et à celles de l’historienne de la danse, Laurence Louppe et de Claudia Gitelman, professeur de danse, disparues il y a six ans.
Un livre tout à fait remarquable, facile à lire et solide, à fois sur un moment crucial de histoire de la danse au XX ème siècle (avec deux courts textes de Susan Buirge et Carolyn Carlson) mais aussi sur les théories  d’Alwin Nikolais dont tout artiste peut tirer profit, qu’il soit danseur ou chorégraphe bien sûr, mais aussi peintre, metteur en scène ou acteur de théâtre et de cinéma, clown, compositeur ou instrumentiste.

Editions Deuxième époque. 19€

 Ubu Scènes d’Europe

ubuAu sommaire  de ce nouveau numéro de la très bonne revue dirigée par Chantal Boiron, un article de Sissy Papathanassiou sur le théâtre grec en complète mutation, et où notamment à Athènes, travaillent de nombreuses compagnies. Mais la plupart des jeunes acteurs et metteurs en scène  continuent à lutter avec des moyens dérisoires pour faire du théâtre, en ayant bien sûr un autre métier pour gagner leur vie. Ainsi l’an passé, à Athènes, il y eut 1.420 représentations données et seulement 1.050 en 2013! Avec dit l’auteure, une tendance à mettre en scène tous les genres littéraires, le point d’ancrage étant la société grecque d’aujourd’hui.

Il y a aussi un entretien très intéressant d’Odile Quirot avec Nada Strancar, comédienne d’Antoine Vitez qui fut son professeur au Conservatoire où elle est devenue aussi enseignante. Elle parle ici avec  franchise et lucidité de son expérience d’élève dont la langue natale n’était pas le français mais le slovène, puis d’actrice avec  Vitez: passionnant. Et entre autres, un entretien de Maia Bouteillet avec la chorégraphe Anne Teresa de Keersmaker, et un portrait par Chantal Boiron d’André S. Labarthe décédé en mars dernier qui permet de mieux connaître cet écrivain scénariste, réalisateur mais aussi critique Aux cahiers du Cinéma et qui aura influencé nombre d’artistes…

Les Grands entretiens d’artpress

MeredithMonkCouv-400x557Il faut signaler un numéro consacré à Meredith Monk, avec des entretiens de Jacqueline Caux, Guy Scarpetta et de votre serviteur. Née en 1942,  elle a été une des professeurs de Bob Wilson. Danseuse et actrice avec sa compagnie The House mais aussi chanteuse à la voix exceptionnelle : trois octaves du mi bémol grave au contre mi bémol et elle introduit parfois des chuchotements, cris, sanglots… «La voix, dit-elle, peut constituer un véritable clavier d’expression, un second langage » Et on avait pu encore l’entendre il y a deux ans à la fondation Cartier. Dans les années 70, elle fut metteuse en scène de pièces à mi-chemin entre l’installation plastique et le conte, parfois  en plein air la nuit, à New York. Mais elle composa aussi un  opéra qu’elle mit en scène comme Atlas (1991) que nous avions vu à Houston (Texas). Et Meredith Monk réalisa aussi deux films Ellis Island et Book of days.

Un autre numéro aussi riche de ces Grands Entretiens d’artpress , est consacré à  La Danse américaine qui connut dans les années 60-70, une exceptionnelle créativité avec Karol Armitage, Andy DeGroat et Trisha Brown. Le sculpteur Donald Judd réalisa certains décors pour elle . Ce dont témoignent Béatrice Gross, Laurence Louppe, Catherine Millet et Guy Scarpetta. Il y a aussi un extrait du Journal de Merce Cunningham écrit pendant le tournage du film-ballet Channels Inserts. C’est toute la flamboyance d’une époque artistique que ces entretiens font revivre.

Ces numéros sont vendus par Diffusion Interforum : 10 €

Fenia ou l’acteur errant dans un siècle égaré de Lew Bogdan

Fenia-ou-l-acteur-errant-dans-un-siecle-egareCet homme de théâtre dirigea le festival de Nancy mais aussi la Scène nationale de Valenciennes et s’intéressa beaucoup à l’enseignement de l’art de l’acteur. Il raconte ici une sorte de roman sur l’histoire du théâtre, et sur Constantin Stanislavski. Il avait dirigé il y a trente ans un séminaire sur le grand metteur en scène russe  et a eu ensuite l’idée d’écrire ce livre à la fois sur les théâtres russe et américain, deux domaines qu’il connaît très bien. Au travers de nombreuses histoires toutes fondées sur une documentation irréprochable et qui lui a demandé quatre ans de travail. « On peut difficilement comprendre, nous a-t-il dit, le théâtre russe si on ne sait rien de la Révolution de 1905, de Lénine, de Staline. Quant à la comédie musicale à Broadway, même chose : il y a derrière, tout le théâtre yiddish des acteurs et metteurs en scène russes qui émigrèrent aux Etats-Unis pour fuir les persécutions. Et  ils ont eu une grande influence sur le théâtre américain. »
Impossible de résumer  cette sorte de grande saga que l’auteur à travers le regard de Fenia, entreprend de nous raconter, avec des personnages comme Jacob Adler, Isadora Duncan, Meyerhold, Gorki, Lénine, Lounatcharsky, et bien entendu, Lee Strasberg dont l’enseignement à l’Actor’s Studio eut une influence considérable aux Etats-Unis et en Europe, mais aussi des acteurs et metteurs en scène comme Marlon Brando, Elia Kazan, Marilyn Monroe, etc…
Bien écrit, ce livre force le respect mais, s’il est souvent passionnant, il se mérite! Neuf cent quarante pages ! Cela dit, cette traversée hors normes du théâtre du XX ème siècle intéressera sans aucun doute nombre de gens passionnés de spectacle; parfois assez inégal, il mériterait quelques coupes mais il est bien écrit avec intelligence et sensibilité, et nous l’avons lu avec bonheur. Mais il faut avoir un peu de temps, par exemple en été comme nous, entre le festival d’Avignon et celui d’Aurillac…

M.E.O. Editions. 30 €.

Philippe du Vignal

 Artcena n°9, journal trimestriel en ligne gratuit

ARTCENA-B9-Couverture-72dpiUn riche numéro avec des repérages artistiques en cirque, arts de la rue et théâtre. Un article portant sur une question de droit rarement abordée et pourtant fondamentale : le statut du scénographe, une interview de Paul de Sinety et Xavier North  sur leur rapport La promotion des créateurs et auteurs issus des mondes francophones, et une  tribune de Philippe Le Gal, président de Territoires de cirque.
Mais aussi la traduction intégrale du Manifeste de Gand du metteur en scène Milo Rau, artiste multimédia et metteur en scène suisse allemand de quarante et un ans, nouveau directeur du Théâtre national de cette ville belge qui a traité dans La Reprise, un spectacle remarquable présenté au Théâtre des Amandiers de Nanterre puis cet été en Avignon (voir Le Théâtre du Blog), du meurtre d’un jeune homosexuel à Liège en 2012. C’était aussi prétexte pour lui à interroger la fonction du théâtre.

Signalons enfin La Réunification des deux Corées de Joël Pommerat : entre le paradoxe et le conflit une analyse de notre correspondant grec Nektarios-Georgios Konstantinidis, paru aux éditions Liberal Books et que nous ne commenterons pas pour qu’il n’y ait aucun conflit d’intérêt.

Philippe du Vignal

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