Sainte-Dérivée des Trottoirs de Faubert Bolivar, mise en scène d’Alice Leclerc

©Christophe_Péan

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Francophonies en Limousin

Sainte-Dérivée des Trottoirs de Faubert Bolivar, mise  en scène d’Alice Leclerc
 
Cette nuit-là,  devant le parvis de la cathédrale de Limoges, le public des Francophonies  a participé  à un événement insolite.  Au son de tambours accompagnés de musique  chrétienne,  deux figures  masquées et sorties de l’ombre, nous invitent  à les suivre vers le Jardin de l’ Évêché… Et nous voici devant un tas de déchets: canettes, vieux papiers, filets de pêcheurs…  Un homme (Vladimir  Delva) se met à remuer, alors qu’une lumière rougeâtre émane de cet «autel» posé à l’entrée du jardin. Eclaboussé de saletés, il émerge de ces ordures, vomissant, crachant, jurant, hurlant en français et en créole, et maudissant ses origines, sa mère, Jésus, et son éclopé de père… Une manière pour lui de dénoncer la bêtise et la pauvreté dans le monde. 

Une résurrection d’un homme à l’apparence christique peu commune, au corps maigre, carnavalesque,  qui traîne derrière lui le poids de toutes les souffrances et des obscénités du monde! L’acteur est magnifique mais son personnage fait peur et le public est tétanisé devant la  Sainte-Dérivée qui entreprend son calvaire à travers le jardin de Christ. Il découvre ici un monde de folie, de délire et de chaos dans la fête. Cette Sainte folle évoque à la fois  Jésus et  Erzulie qui invite les spectateurs  à un rituel, le « rara » haïtien,  une grande procession mystique en l’honneur de Loa, une figure du panthéon vaudou. Erzulie, déesse de l’amour et de la sensualité, protectrice des enfants,  a des personnalités multiples.

Le chemin indiqué par de petits points de lumière, et surtout par des vévés sombres, figures dessinées dans le sable pour évoquer la déesse, et  entourées  d’autels couverts d’objets  signifiants:  fûts de pétrole vides, têtes de mort, poupées, restes d’une société de consommation qui éclairent la voie sacrée de la foule se dirigeant vers son destin inquiétant.
Celle qui mène la procession prend des allures d’un prophète déchu et d’un loa délirant qui répand des paroles d’Erzulie, des passages de l’Ancien Testament et des sermons  de Jésus, pour dénoncer la corruption, l’hypocrisie et l’obscénité actuelle de cette vie qui tue le peuple haïtien.

Le jeu de Vladimir Delva en impose. Sa colère gronde devant un  monde ou deux traditions qui se  heurtent, écrasent impitoyablement le peuple martyrisé de son pays,  alors que la logique de ce «réalisme merveilleux»  nous renvoie à un dénouement tragique sans issue. Faubert Bolivar, d’origine haïtienne, a été primé cette année par le groupe de lecture Textes en Paroles (Guadeloupe). L’acteur et la metteuse en scène ont magnifiquement animé son texte. Et avec ce «rara» célébré en plein air, la colère de Faubert Bolivar est encore plus  incandescente. La procession devient un moment d’agit-prop utilisé par le grand metteur en scène allemand Erwin Piscator (1893-1966) et très prisé dans les années 1960-70, lors des manifestations contre la guerre au Viet nam. Le metteuse en scène a su réunir de multiples éléments culturels et des visées politiques avec un résultat des plus fascinants.

Mais que dire de l’efficacité du renversement à la  toute fin, avec un «dévoilement» réaliste qui diminue la surprise!  Alors que la mise en scène, plus fantaisiste, l’avait déjà mise en évidence? Était-ce bien nécessaire? Le public qui doit se déplacer, ne savait pas toujours où se mettre malgré le grand espace du Jardin. Ce genre de spectacle en plein air ne semble pas être tout à fait dans les habitudes des festivaliers… 
 
Alvina Ruprecht

Spectacle vu au Jardin de l’Évêché de Limoges, le  5 octobre.
Fêtes le Pont, à La Rochelle du 12 au 14 octobre.

Festival Quatre Chemins,  Port-au-Prince (Haïti) du 19 novembre au 1er décembre.


Archive pour octobre, 2018

End/igné de Mustapha Benfodil, adaptation et mise en scène Kheireddine Lardjam

End/igné de Mustapha Benfodil, adaptation et mise en scène Kheireddine Lardjam

 EndignésA la morgue de Balbala, il y a fort à faire: cinquante-trois morts en deux mois : entre autres, un bébé retrouvé dans une poubelle, un migrant subsaharien, un fou errant dépouillé de ses organes par des trafiquants… Et, plus récemment, deux cadavres décapités à la scie! Moussa, « nécrologue en chef « , veille sur ce petit monde, discute avec eux, malgré la chaleur (la clim’ est en panne) et entre deux coupures d’électricité.  » Compter les morts, plaisante-t-il, il n’y a rien d’autre à faire à Balbala! ». Près des champs pétroliers où il n’a pas accès, ce technicien supérieur en forage, et au chômage comme tant d’autres en Algérie, il n’a trouvé que ce travail à la morgue. Faute d’avoir pu graisser la patte à qui de droit : “L’argent est un lubrifiant miraculeux”.

  »Que ne donnerais-je pas pour un aveu de vous ? » dit-il, à ses  macchabées : avec un petit magnétophone, il essaye d’écrire la chronique de cette société d’outre-tombe à l’image de celle des vivants. Charge à son ami Aziz de mettre en forme ces témoignages, pour écrire leur livre : L’Autopsie de Balbala. Aziz, le blogueur sulfureux et redouté par la société corrompue, le pourfendeur de barbus, accablé de procès, n’écrira jamais ce livre, et choisira une autre voie pour revendiquer haut et fort sa liberté : « J’ai allumé mon corps pour le regarder vivre ! » D’où le titre de la pièce. On pense inévitablement à Mohamed Bouazizi, qui s’immola par le feu en décembre 2010, geste qui fit naître les Printemps arabes. Parce que Mustapha Benfodil avait enquêté sur les immolés par le feu, phénomène répandu en Algérie, Keireddine Lardjam, lui a commandé cette pièce. Intrépide reporter et journaliste n’hésitant pas à s’embarquer sur les bateaux des migrants en Méditerranée, ou à couvrir la guerre d’Irak, il alimente ses romans et son théâtre de ses expériences.

 Azeddine Bénamara incarne celui qui répare les morts et l’autre qui lutte pour les vivants. Des styles d’écriture très contrastés portent ce double monologue : l’auteur commence dans le registre d’un humour acerbe et fait sourire l’auditoire, pour se terminer par une fulgurance poétique d’une étonnante virtuosité. Malgré le jeu un peu forcé du comédien,  on apprécie la prose flamboyante de Mustapha Benfodil, et son sens de la formule. Avec des jeux de mots qui fusent et maintiennent la distance face à la tragédie algérienne dont Balbala et sa morgue sont la métaphore. «D’où l’autopsie, dit Musatpha Benfodil,  pas l’autopsie du corps social. Juste celle d’un corps qui a mal. Un type bien identifié. Avec un C.V. Des envies. Des emmerdes. Et des rêves qui ont explosé en plein vol. Une autopsie poétique donc. Avec, pour seule médecine légale, la liberté du scalpel. »

Ce spectacle d’une heure a été créé au Caire en 2013, où il a pris une résonance telle que des phrases du texte ont été taguées sur les murs par des manifestants: « Je ne suis plus dans le champ folklorique, je suis dans le champ politique, je vous laisse à vos antiquités ». Puis il a  été joué en Algérie, à Marseille, à Avignon et nous l’avions vu au théâtre de l’Aquarium en 2014. Nous avons plaisir à retrouver ce brulot : il n’a rien perdu de sa causticité, même si depuis, les Printemps arabes ont fait long feu…

 Mireille Davidovici

Théâtre de Belleville, 92 rue du Faubourg du Temple, Paris Xl ème, jusqu’au 27 novembre. T. : 01 48 06 72 34.

La Golondrina de Guillem Clua, mise en scène d’Hélène Gkassouka

 

La Golondrina (L’Hirondelle) de Guillem Clua, traduction et adaptation de l’espagnol en grec de Maria Hatziemmanoyil, mise en scène d’Hélène Gkassouka
 
D68C2502-2CA0-4D75-A5D3-2B5C16636733Un titre symbolique u printemps et à l’épanouissement de la Nature.  Comme une allégorie de la fragilité des relations humaines où on est toujours entre la vérité et le mensonge, le secret et l’illusion. En s’inspirant de l’attentat terroriste en 2016 dans un bar gay d’Orlando (Etats-Unis),  Guillem Clua écrit un an plus tard l’histoire d’une réconciliation.

Il met ici en scène deux personnages qui apparemment ne se connaissaient pas mais qui souffrent d’une absence commune: un mort. La rencontre de Ramon, un jeune homosexuel et d’Amélia, une vieille professeur de musique et mère de Danny, l’amant de Ramon, révèle petit à petit une vérité douloureuse. La Golondrina se concentre sur une étude psychologique: Ramon et Amélia exposent leur façon de penser, leurs sentiments et leurs angoisses, tout en se libérant de leur culpabilité…

Chacun se sent enfermé dans ses remords et ses cauchemars, mais après un long débat, des révélations et des surprises, on découvre comment ils arrivent à comprendre et à accepter l’autre. Loin des clichés homophobes, cette pièce a été adaptée à  la réalité grecque actuelle  et témoigne de l’une des révolutions sociétales les plus marquantes de notre époque.

Hélène Gkassouka crée un spectacle riche avec des moments très sensibles… Il faut souligner la beauté de la musique de Thémis Karamouratidis et des lumières de Lefteris Pavlopoulos à l’ambiance mélancolique. Belle unité du décor et costumes de Marie Tsagkari avec le jeu réaliste de Sophie Seirli et Vassilis Mavrogeorgiou, tous deux exceptionnels. Ils incarnent leurs personnages avec passion, tout en soulignant les nuances psychologiques de ce mélodrame loin des pièces de boulevard aux personnages homosexuels caricaturaux, et où il y a une véritable émotion et un rire amer. Avec une indispensable réflexion…
 
Nektarios-Georgios Konstantinidis
 
Théâtre Mikro Gloria, 7 rue Ippokratous, Athènes. T. : 0030 210 36 42 334

Chicago,comédie musicale de Bob Fosse et Fred Ebb

Chicago, comédie musicale de Bob Fosse et Fred Ebb, lyrics de Fred Ebb, muisque de John Kander, mise en scène de Bob Fosse
indexCréée à Broadway en 1975,  cette comédie musicale est fondée sur une pièce de théâtre homonyme de Maurine Dallas Watkins créée en 1926, et inspirée d’un fait divers survenu deux ans plutôt à Chicago. En pleine prohibition de l’alcool, Roxie Hart, une jeune artiste se voit déjà en haut de l’affiche, côtoyant les plus grands noms du jazz, sur les planches de l’Onyx Club… Mais enfermée dans la prison de Cook County, pour le meurtre de son amant, elle y fait la connaissance de son idole, Velma Kelly, une chanteuse de jazz réputée, aussi incarcérée pour meurtre. Elles vont, avec l’aide du célèbre avocat Bob Flynn, tenter d’attirer l’attention des médias et retrouver leur liberté…Le théâtre Mogador, temple de l’opérette et de la comédie musicale, présente ce grand succès  avec environ 9.000 représentations, joué dans  trente-cinq pays et adapté en douze langues. Un énorme pari de Joop van den Ende, à la tête de la société Stage entertainment employant trois mille personnes.La distribution rassemble tous les talents. Roxie Hart, meneuse de revue au Lido, Sofia Essaïdi, finaliste de la star academy, Jean Luc Guizonne qui jouait dans Le Roi lion couronné par trois Molières. Bref, le meilleur  et chaque artiste a sa doublure. Il y a un ensemble de seize danseurs survoltés, un orchestre au centre de la scène -ce qui laisse la seule avant-scène aux danseurs-  et une sonorisation d’enfer.
Tout est fabriqué pour faire un succès commercial. Le spectacle est joué et chanté en français. Mais comme on ne peut jamais prévoir, tous les artistes sont engagés pour deux mois seulement , au cas où l’entreprise ferait naufrage…Les places prémium sont à 250 € (avec champagne) et entre 25 € et 85 € !

Le metteur en scène et chorégraphe Bob Fosse à la tête d’une équipe impressionnante d’assistants, designers, arrangeurs, superviseurs etc. Le contenu?  “Nous allons vous raconter une histoire de corruption, de meurtre, de cupidité, de violence, d’escroquerie, d’adultère et de trahison, toutes choses que nous chérissons. » Laurent Bentata, directeur de la production française, nous explique que la pièce développe la place de la femme dans une société moderne violente, le rôle des médias, la corruption etc. Mais cela ne saute pas aux yeux!

Ce qui fascine: le métier des protagonistes, leur aisance,  la précision des chorégraphies et l’énergie incroyable des interprètes aux superbes corps.
Parmi ces stars, l’excellent comédien Pierre Samuel, qui joue avec sincérité l’homme que l’on ne voit pas et que l’on ne remarque pas. Ses apparitions apportent rires et poésie subtile dans un spectacle  très “rentre dedans”. Ceux qui aiment les entreprises hors du commun prendront du plaisir à ce débordement d’énergie, et cela leur économisera un voyage à Broadway, ceux qui sont à l’affût d’un théâtre, disons plus intellectuel et social, pourront facilement s’épargner ce Chicago.

Cette salle de 1.800 places n’était pas pleine, quand nous sommes allés assister à «cette expérience conviviale et inoubliable, scandaleusement chic » ! Une affaire rentable. Pas si sûr…

Edith Rappoport

Théâtre Mogador, Paris jusqu’au 30 juin. T. : 01 53 32 21 87.

Francophonies en Limousin 2018, suite et fin

©Christophe Péan

l’équipe de la Fabrique tropialce ©Christophe Péan

 

Francophonies en Limousin 2018 (suite et fin)

 Le festival se termine en musique, avec un bal créole, mené par une star de la Caraïbe, Dédé Saint-Prix, formidable ambianceur. Avec son orchestre, il nous nous invite irrésistiblement à danser le bélé, la biguine, le chouval bwa, le zouk, et des rythmes afro-américains. Et un concert de jazz nous a fait découvrir un batteur-compositeur surprenant, Arnaud Dolmen, auteur d’un premier album Tonbé Lévé, mix de Gwoka (musique traditionnelle de la Guadeloupe) et de jazz, tout en ruptures imprévisibles.

La  création antillaise, et plus largement caraïbéenne, ne se résume pas à la musique et on a pu voir du théâtre, entendre des écrivains, entre autres, Patrick Chamoiseau et remarquer des artistes plasticiens et des réalisations audiovisuelles grâce à une carte blanche : La Fabrique tropicale, confiée à Tropique Atrium, Scène nationale de Martinique

©Christophe Péan

Marie-Agnès Sevestre et Hassane Kassi Kouyaté ©Christophe Péan

Belle coïncidence : Hassane Kassi Kouyaté, directeur de cet établissement, prendra la suite de Marie-Agnès Sevestre et construira la trente-sixième édition de ce festival francophone en Limousin. Créé par Pierre Debauche, longtemps mené par Monique Blin, il est ensuite passé aux mains der Patrick Le Mauff (dont on a vu la mise en scène en créole de Pour un oui pour un non de Nathalie Sarraute). Directrice depuis 2005, Marie-Agnès Sevestre signe cette année une programmation exceptionnelle ancrée sur les écritures contemporaines, comme le souligne Alain Van der Malière, président des Francophonies.
Hassane Kassi Kouyaté né au Burkina Faso d’une famille de griots, est conteur, comédien, musicien, danseur et metteur en scène. Cet homme de théâtre complet a initié en Afrique plusieurs festivals. On espère que le soutien à la Francophonie, qui a été assuré par la Ministre de la Culture ici-même, sera suivi d’effets, surtout à l’heure où va fermer le Tarmac, une scène qui lui était consacrée…

 Gros plan sur les écritures 

Aux Francophonies en Limousin avec sa Maison des auteurs, un lieu de rencontres et de résidences, et avec son comité de lecture, on met met en lumière des textes inédits qui trouvent ensuite parfois le chemin des planches les années, grâce à des lectures devant un public de plus en plus friand de littérature dramatique.  Une belle moisson de pièces cette année, lues par les élèves de l’école du Théâtre de l’Union, dirigés par Paul Golub. Avec entre autres: 


La Mer est ma nation
d’Hala Moughanie.

  «Écrire sert à trouver du sens dans un moment de chaos (…) », dit l’auteure libanaise, lauréate, avec Tais-toi et creuse, du prix R.F.I. Théâtre 2015 (voir Le Théâtre du blog). Dans sa deuxième pièce, il met en scène un couple étrange. Mari psychorigide et autoritaire, épouse terrorisée. Vivant dans un terrain vague parmi les ordures, ils doivent faire face à deux migrantes, en route vers la mer, bravant les barbelés que, pour se protéger, le couple a tendus au milieu de ce nulle part. « Mon vecteur de réflexion : cette appartenance au territoire, dit Haka Moughanie. Comment je rencontre l’autre, comment je l’accepte. Décortiquer les systèmes politiques et sociaux, le cynisme des nationalismes ». Avec elle, les frontières visibles ou invisibles deviennent autant de lignes de faille autour desquelles gravitent les individus en perte de repères.

Trans-maître(s) de Mawusi Agbedjidji 

Sur un tout autre registre, celui de la dérision, l’auteur togolais dont on a vu la mise en scène de Fissures (voir Le Théâtre du blog) raconte les mésaventures d’un garçonnet dans une école où, faire des fautes de français et parler sa langue maternelle, est sanctionné par le “signal“ , objet d’infamie répugnant que le “cancre“ doit porter sur lui jusqu’à ce qu’il en dénonce un autre… Ici, la langue est épinglée avec humour comme facteur de colonisation, et les l’élève désemparé voit mourir son père, combattant de la Deuxième Guerre mondiale, dans un camp militaire du Sénégal. Une allusion au massacre de Thiaroye,  un camp près de Dakar en 1944, où des gendarmes français, renforcés par des troupes coloniales, ont tirés sur des soldats africains réclamant leur pécule et leurs indemnités.

 
Poing levé de Stanislas Cotton.

De la violence de l’après-guerre, il est  aussi question dans ce troisième volet d’une trilogie sur le pouvoir. Après une réécriture d’ Œdipe et d’Antigone sous forme de poèmes dramatiques, le dramaturge belge a cherché une héroïne tragique contemporaine. Ce texte, très rythmé, raconte l’histoire d’Ulrike Meinhof. Monologué ou choral, au choix,  il nous présente sous un jour très personnel, la journaliste et militante anticapitaliste face à une République fédérale d’Allemagne naissante, encore aux mains d’anciens nazis. La  théoricienne de la bande à Baader finira pendue dans sa cellule, officiellement « suicidée ».  «La mort en prison des membres de la Fraction Armée Rouge, dit Stanislas Cotton, a été un événement fondateur dans ma conscience politique »,.

 La remise des prix S.A.C.D. et R.F.I. fait désormais partie des événements des Francophonies. Cette année, les deux textes récompensés traitent de l’exil, thème récurrent et qui croise l’actualité. «L’Histoire retiendra qu’un continent de cinq cennt millions d’habitants a regardé ses pieds, twittait aujourd’hui Raphaël Glu

©Christophe Péan

©Christophe Péan

cksmann, cinquante-huit naufragés frappèrent à leurs portes. Et les discours sur l’universalisme de la République française auront définitivement un goût de cendre, si Marseille n’accueille pas l’Aquarius.»

Le Prix R.F.I. 2018 a été attribué aux Inamovibles de Sedjro Giovanni Houansou qui rend hommage à ceux qui ont disparu sur la route migratoire Nord-Sud. Ceux qui errent d’un continent à l’autre, ceux qui n’envisagent pas de rentrer chez eux, et ceux qui restent dans leur pays, en attendant vainement leur retour. Au Bénin, où il est comédien et metteur en scène, Sedjiro Giovanni Hauansou a fondé un festival, Les Embuscades de la scène, et une plateforme de diffusion des écritures Les Didascalies du monde. Dans son pays où les choses ne vont pas si mal,  «On est très sensible à ce qui se passe ailleurs, dit-il. La question de la migration me touche, surtout le traitement fait à la jeunesse.»

Prix S.A.C.D. de la dramaturgie de langue française 2018, Maître Karim la perdrix du Canadien Martin Bellemare. La pièce, au rythme singulier, fruit d’une construction polyphonique après, une enquête dans les centres de rétention. Paroles des membres du centre, ou des retenus, s’enchaînent autour d’un personnage emblématique, symbolisant le désir de liberté, l’absurdité des notions de nationalité, de frontières, de territoire…Karim est libre, même quand il est prisonnier ; la Perdrix, un surnom qui lui va bien…

©Christophe Péan

Evelyne de la Chenelière ©Christophe Péan

Il y a aussi aux Francophonies des salons littéraires et des performances d’auteurs, comme Rêver n’est pas de tout repos une performance d’écriture d’Evelyne de la Chenelière « Je m’engage dans l’exercice du rêve éveillé, en lui donnant la forme d’une écriture frénétique, mouvante et érigée, dit l’autrice québécoise. Une écriture-matière sur un mur » En deux jours, l’entrée de la Maison des auteurs se couvre de mots, en rangs serrés; une fresque graphique en action prend forme sous les yeux des passants qui s’arrêtent, lisent, questionnent…

 

©Christophe Péan

©Christophe Péan

 

 Séna/Rencontre littéraire et politique, « Il s’agit de se dire en Caraïbe », lance un animateur au public réuni au bar du Théâtre de l’Union. «Qu’est-ce que pour vous, la Caraïbe ? Fusent des noms: cocotiers, cyclones, Cuba, Fidel Castro, Aimé Césaire, Toussaint Louverture… Un comédien, parmi les neuf mêlés au public, autour du maître de cérémonie Thierry Malo, dit MC Timalo, lit un texte en anglais des Antilles tiré de Checking Out Me History du poète John Agard. où il est question d’identité : I’am carving out me identity ( Je sculpte ma propre identité),  conclut-il. Car les Caraïbes se définissent aussi par un multilinguisme. Suit un texte sur les noms des Antillais « Connaissez vous mon autre nom ? Vous  l’avez volé à une pauvre nègre». Il sera aussi question de racines : «Et mes racines ? N’ai-je pas un aïeul nocturne ? »

Ces lectures suscitent les réactions du public. Une dame parle d’Albert Camus qui lui a «apporté une grande lumière ».  Un spectateur dit qu’il se sent plus Berrichon que Français… Certains textes expriment la colère : « Mes volcans réveillés cracheront des mots de souffre » (…) « Nous marcherons sereins parmi les cataclysmes… ».  « A quel moment le français est notre langue ? », se demande un autre écrivain. Et que signifie pour nous cette mère-patrie ? »

 Plus tard le public reprendra en chœur le refrain Inglan Is a Bitch, du poète Lindon Kwesi Johnson, tiré de son album Bass Culture dont l’un des morceaux-phares est  cet Inglan Is a Bitch  (L’Angleterre est une salope)… Chacun se prend au jeu d’une réflexion qui s’avère universelle, suscitée par une quinzaine d’extraits de poèmes, romans, chansons, contes… Séna, en créole, est le nom donné à la Guadeloupe à des rencontres informelles sur les places pour discuter. Gerty Dambury, poète, dramaturge et romancière de Pointe-à-Pitre reprend cette forme et organise depuis 2012, des rencontres scénarisées autour d’un thème changeant d’une soirée à l’autre. Une manière originale de partager la littérature.

Par tes yeux de Martin Bellemare, Sufo Sufo et Gianni Grégory Fornet, mise en scène de Gianni Grégory Fornet

©Christophe Péan

©Christophe Péan

Le spectacle est le fruit d’une rencontre, à Limoges, entre le Québécois Martin Bellemare, le Bordelais Gianni Grégory Fornet et le Camerounais Sufo Sufo. Pour ce laboratoire d’écriture, les trois auteurs se sont déplacés les uns chez les autres, à l’écoute d’adolescents de leurs pays respectifs, accompagnés du vidéaste João Garcia. Les films sont devenus la toile de fond de trois histoires enracinées chacune dans un lieu, un paysage, racontées par trois comédien(ne)s.
Une adolescente de Montréal (Mireille Tawfik ) se demande : «Qu’est-ce que je suis moi ?» : Canadienne ? Québécoise ? Citoyenne du monde, dans ce quartier Nord de la ville, réputé mal famé, où se mêlent tant de populations ? Un jeune homme de Yaoundé (Patrick Daheu) lui, a «une fille dans la tête»:  «La fille de l’heure», assise au carrefour à compter les voitures, mais qui ne le voit pas. Il cherche  son «rêve caché »dans les sept collines de la ville.
Une lycéenne bordelaise (Coralie Leblan) déracinée et placée dans un internat se projette dans la carapace d’un scarabée inspiré de celui de La Métamorphose de Franz Kafka. Trois langues se répondent pour dire les constantes et différences dans les vies de ces êtres en mutation : les adolescents

Para de David Van Reybrouck, mise en scène de Raven Ruëll,

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Para © Christophe Péan «

Un pays a besoin d’une armée ! » affirme le conférencier qui se risque seul en scène et qui va nous parler, pendant une heure quarante, de l’opération de pacification menée par les Belges en Somalie en 1992-1993. Bruno Vanden Broecke se glisse dans la peau d’un ancien militaire, adopte son ton bourru, sa gaucherie.  Au point que certains spectateurs se sont crus devant un véritable vétéran venu raconter son histoire, partager son malaise et ses interrogations.

L’historien et essayiste flamand David Van Reybrouck, célèbre pour ses pamphlets contre l’extrême-droite et le populisme, soulève ici un pan caché et scandaleux de l’histoire belge récente. Il a épluché archives et publications, interviewé des paras, officiers ou simples soldats des commandos qui ont participé à cette opération. Para dresse un portrait ambigu et dérangeant mais son auteur n’émet pas de jugement. Il y expose la réalité brute d’un être de fiction, plus vrai que nature, façonné à partir de vécus multiples.

La solitude de ce soldat nous émeut, autant que sa brutalité nous scandalise Et son idéalisme se heurte à une situation inextricable. «Nous pensions être la Patrouille des Castors, des chevaliers sur un cheval blanc, mais là-bas, nous nous sommes heurtés au chaos ambiant, et à notre propre comportement», confiait une ancien para à David Van Reybrouck. 

  Pris dans les mailles d’une tragédie complexe : une opération internationale de maintien de la paix, le personnage s’y débat comme un insecte dans une toile d’araignée et nous renvoie à une réflexion sur le bien-fondé des interventions humanitaires armées. L’enfer est pavé de bonnes intentions ! Et nous l’éprouvons ici, sans cesse partagés entre empathie et antipathie pour ce personnage problématique mais bien humain. Loin d’un manichéisme bien-pensant, le spectacle dérange et la performance du comédien nous séduit.

 Mireille Davidovici

Par tes yeux a été créé à Limoges les 26, 27 et 28 septembre.

Et le 18 octobre au Bois Fleuri de Lormont, dans le cadre du FAB et de la programmation du CDCN -La Manufacture.
 Le 15 novembre,  Festival Les Coups de Théâtre (Montréal); le 20 novembre Festival TrafiK  à Bergerac ; le 30 novembre, Institut Français de Douala (Cameroun).
Les 6 et 7 décembre, OTHNI, Laboratoire de Théâtre, Yaoundé (Cameroun)

 Para

En Belgique :
Le 18 octobre, Le Manège, Mons ; le 21 octobre, Palais des Beaux Arts, Charleroi.
Du 19 au 22 novembre, De Warande, Turnhout.
Le 3 décembre, Centre culturel Saint-Pierre-Woluwe ; le 7 décembre, Centre culturel, Geel; le 12 décembre, Centre culturel, Maasmechelen ; le 21 décembre, Centre culturel Scharpoord, Knokke-Heist.

 

L’Envol des cigognes, texte et mis en scène de Simon Abkarian

 

(C) Antoine Agoudjian

(C) Antoine Agoudjian

L’Envol des cigognes,  troisième partie du diptyque, texte et mise en scène de Simon Abkarian

Pénélope ô Pénélope racontait l’obstination amoureuse d’une femme, Le Dernier jour du jeûne, deuxième volet du triptyque, l’histoire de femmes qui s’émancipent  des hommes et de la religion… Le troisième volet raconte lui la guerre, et le paradis perdu d’une vie paisible. Avec une importante distribution dont Ariane Ascaride, David Ayala, Océane Mozas, Chloé Réjon, Catherine Schaub-Abkarian, Igor Skreblin… Comme Les Derniers jours du jeûne, une famille déchirée par la guerre civile tente de survivre. Sur fond de rafales de mitraillette incessantes, le quartier se fait écho des massacres, d’une Révolution volée, de fuite. Et les femmes luttent pour que subsistent des oasis de tendresse et des moments de liesse. Les mères protègent leurs enfants des coups de feu, des jeunes gens se marient, troquent des cigarettes contre la dernière saucisse, rêvent de golf et tentent de sauver leur amour malgré la tempête.

« Ariane Mnouchkine nous accueille, dit Simon Abkarian, non pas parce que certains d’entre nous étions membres de sa troupe, mais parce qu’elle sait qu’il y a là, dans notre travail, quelque chose qui ressemblerait à une promesse tenue. Quelque chose qui pourrait s’apparenter à un théâtre citoyen, à un théâtre d’art. Tout comme elle, notre compagnie croit en la force de la beauté. Quand je dis nous, c’est d’une troupe que je parle. Nous sommes vingt-six… Des hommes et femmes, toutes générations et corps de métier confondues, qui croyons en la force artistique de ce projet. La ville s’installe et se transforme. Les décors des maisons et magasins sont installés par les acteurs : « J’ai un message de ta femme Théo » dit Olga qui a fermé les yeux. Un vieille désarme un jeune qui l’agresse : «Tu paieras demain, je t’agresse aujourd’hui parce que demain, je serai morte, ou toi, tu seras mort !» Nouritsa la mère s’avance : »Y-a des gens qui meurent toutes les secondes… ». Un homme en recrute un autre, menacé, il se laisse faire. Un fils revient voir sa mère avec une fille : «J’ai tué mon frère ! (…) Jour après jour, massacre après massacre, il faut s’adapter !  (…) Je tire pour prévenir les hommes de la mort, le rossignol est mort dans sa cage, mon capitaine, le ciel réclame un sacrifice (…) Nous devons briser le siège ou nous laisser mourir (…) Zina, je vais partir, je dois me soucier du plus grand nombre. » On voit une étreinte entre une fille et un soldat: «Nous ne sommes pas faits pour la guerre ni toi, ni moi… ».

Un texte joué à vive allure où l’on voit s’agiter une mystérieuse mariée et où les femmes ont un rôle important, surtout Nouritsa, une mère impérieuse. Avec en filigrane, l’extermination des Arméniens au début du XXème siècle et les guerres actuelles qui chassent tant des gens essayant d’échapper à la mort dans leur pays… Un spectacle bien interprété et émouvant, à ne pas manquer.

Edith Rappoport

Théâtre du Soleil, Cartoucherie de Vincennes, route du Champ de Manœuvre, jusqu’au 14 octobre.  Le diptyque est joué en intégrale, les samedis à 16 h et les dimanches à 13 h. T. : 01 43 74 24 08.

About Kazuo Ohno, conception et danse de Takao Kawaguchi

Festival d’Automne à Paris: Japonismes 2018

 About Kazuo Ohno, conception et danse de Takao Kawaguchi

©Jean Couturier

©Jean Couturier

Rendre hommage à un mythe n’a rien de simple. Surtout quand il s’agit du cofondateur, avec Tatsumi Hijikata, du fameux butô japonais! Le chorégraphe et danseur Kazuo Ohno (1906-2010) aura donc vécu plus de cent ans, et formé de nombreux disciples. On célèbre sa mémoire dans le monde entier.

A Paris, cette performance commence dans le jardin public jouxtant l‘Espace Cardin où Takao Kawaguchi manipule, de façon peu conventionnelle, des objets hétéroclites posés sur le gazon, un peu comme dans certains happenings des années 1970.

Un chien (non invité !) vient perturber cette performance,  des badauds se mêlent aux spectateurs et une pluie fine s’invite: une entrée en matière pour ce spectacle, originale et réussie… Puis le danseur, dit-il, copie sur le plateau des extraits d’œuvres emblématiques de Kazuo Ohno, comme Hommage à La Argentina  (1977) ou Revue de ma mère (1981). Une copie  des  captations de ses spectacles, rendue encore plus authentique, grâce à l’utilisation des bandes-son originales y compris les applaudissements.

«Pour copier Kazuo Ohno, dit Takao Kawaguchi, il fallait m’effacer, et être le plus fidèle possible à ce que je voyais en vidéo». Pari réussi mais les changements de costumes à vue cassent le rythme de cette pièce beaucoup trop longue (deux heures dix !). Un moment de grâce cependant : la projection d’un beau film où le fils du chorégraphe et danseur, Yoshito Ohno, manipule une marionnette à gaine de son père.

Takao Kawaguchi nous touche par la fragilité de ses gestes et par sa propre folie, en particulier au moment des saluts. L’ombre du maître Kazuo Ohno plane, et il est bien difficile d’évoquer cette figure  atypique de la scène underground japonaise, mais il y a de très photos très réussies des performances de Kasuo Ohno exposées dans les couloirs du théâtre. Il faut aussi voir en même temps, les dessins pleins de mouvement que Takao Kawaguchi a faits sur sa performance…

Jean Couturier

Théâtre de la Ville-Espace Cardin, 1 avenue Gabriel Paris VIII ème, jusqu’au 5 octobre.

 

La Fête des Vendanges/Arts de la rue à Bagneux (Hauts-de Seine)

La Fête des Vendanges/Arts de la rue à Bagneux

 

Fête des vendanges de Bagneux, les 29 et 30 septembre. Spectacle 78 tours avec une roue de la mort. DR

Fête des vendanges de Bagneux, les 29 et 30 septembre. Spectacle 78 tours avec une roue de la mort. DR

Bagneux, environ 38.000 habitants et très proche de Paris, était autrefois bien connue pour ses carrières dont les pierres ont servi à édifier nombre d’églises parisiennes comme celles la Madeleine ou Saint-François Xavier, le Pont des Invalides, les fûts des colonnes du Panthéon… On y cultivait jusqu’à la fin du XIXème siècle, et on y cultive de nouveau, la vigne dans le Clos municipal des Brugnauts depuis les années 80.

Cette ville, aux rues remarquablement fleuries, dispose aussi de nombreux espaces verts:  entre autres, les parc Richelieu et Maximilien Robespierre, chacun de deux hectares, ce qui est assez exceptionnel en région parisienne. La fête des Vendanges y a lieu chaque année et un verre du vin blanc du Clos municipal est offert aux visiteurs. Et il y a beaucoup d’événements artistiques et/ou sociaux, le samedi et le dimanche. Dans le parc Richelieu, les stands des nombreuses associations locales et une « Disco-soupe » à la médiathèque Louis Aragon où chacun peut réaliser une soupe avec fruits et légumes récupérés, histoire de sensibiliser les habitants au recyclage, une opération qui se poursuit jusqu’au 20 novembre. Et nombre de spectacles, comme La Grande Phrase de Didier Théron où quatre danseurs envahissent les abords du parc Richelieu de leurs corps gonflés et déformés, et jouent avec l’architecture, le mobilier urbain!

Il y a aussi la fanfare bien connue -uniquement des cuivres et une grosse caisse- des étudiants en médecine de l’hôpital Bichat. Tous en blouse blanche, ou parfois en habit noir, ces musiciens jouent souvent dehors à Paris : marathon, actions de solidarité, mais aussi pour des mariages…
Sur un câble et accompagné par un guitariste, mis en scène par Nikolaus, trois circassiens :Arthur Sidoroff, Madgalena Vicente, Nicolo Bussi. Tout à fait au point, un numéro de fil-de-ferriste avec petites danses sur le fil, acrobaties au sol, et sketches: ceux-là nettement moins réussis et où l’un d’eux malmène une jeune spectatrice… Bien entendu, c’est Madgalena Vicente!

Il y aussi et surtout l’exceptionnel 78 Tours par La Meute. Basé à Auch, ce collectif de cirque fondé par Mathieu Lagaillarde et Thibaut Régnier, réunit six acrobates formés à l’Ecole nationale des arts du cirque à Rosny-sous-Bois et à l’Université de danse et cirque de Stockholm. Ici, accompagnés par Gabriel Soulard, au violoncelle, ils ont comme partenaire exclusive pendant quelque trente minutes, la fameuse roue de la mort qui existe sous diverses formes mais qu’on ne voit plus guère, même dans les cirques traditionnels.  

Imaginez dans une rue fermée à la circulation et devant quelque cinq cent personnes une belle machine en fer avec deux nacelles comme des tambours de machine à laver tournant chacun sur un axe et montés sur un dispositif tournant lui-même sur un autre axe! Le tout à quelque dix mètres de hauteur! Mathieu Lagaillarde et Thibaut Brignier dépendant sans arrêt l’un de l’autre puisqu’ils se font contre-poids. Avec infiniment de solidarité, de grâce et  un bon sens de l’humour visuel, ces acrobates donnent tout sa valeur au du mot acrobate ( étymologiquement en grec ancien, akro : extrémité, et batein: marcher: donc marcher sur la pointe des pieds  comme un danseur de corde…

Ils  vont de l’une à l’autre roue,  mais passent aussi de l’intérieur à l’extérieur de ces s tambours qui tournent uniquement par leur volonté, plus ou moins vite, et où ils se mettent parfois debout.  Et sans aucun filet de protection. Mais avec une extrême concentration, une vigilance de tous les instants et une prise de risques très calculée, puisque cette petite balade en hauteur flirte à chaque instant  avec la mort.  Très impressionnant, parfois à peine regardable, mais sans doute le spectacle le plus réussi de cette Fête des vendanges.

Le dimanche a eu lieu en plein air le concert d’une formation exceptionnelle dirigée par Alejandro Sandler avec 78 interprètes et 80 choristes! qui a fait résonner le fameux Hymne à la Joie de Beethoven dans l’une des principales avenues de Bagneux.
Bref, une fête intelligemment conçue et populaire au meilleur sens du terme… Bravo à Marie-Hélène Amiable, conseillère départementale  des Hauts-de-Seine et maire communiste de cette  ville: elle peut être fière de ce vivre ensemble qui a réuni des milliers d’habitants le temps d’un samedi et d’un dimanche ensoleillés de septembre. De quoi donner des idées à Olivier Py pour le prochain festival d’Avignon…

 Philippe du Vignal

 La Fête annuelle des vendanges de Bagneux (Hauts-de-Seine)  a eu lieu les 29 et 30 septembre.

 

Requiem pour L. , musique de Fabrizio Cassol d’après Le Requiem de Mozart, mise en scène d’Alain Platel

 

Francophonies en Limousin 2018 :

 Requiem pour L., musique de Fabrizio Cassol d’après Le Requiem de Mozart, mise en scène d’Alain Platel

 

©© Chris Van der Burght

©© Chris Van der Burght

Coup fatal (2014) de ces artistes belges nous avait emplis d’un élan joyeux (voir Le Théâtre du Blog). Ici, même fascination, mais sur un tout autre mode :  ils nous invitent à une veillée funèbre qui se mue en rituel festif.  Sous les auspices du Requiem en ré mineur de Mozart revisité par des musiques africaines, Fabrizio Cassol et Alain Platel apprivoisent la mort et on ne sort pas indemne de cette cérémonie dédiée à Lucie, une fidèle spectatrice d’Alain Platel, dont on assiste au dernier voyage.

 Avec une image de sa lente agonie projetée au ralenti sur un écran géant  jusqu’à son passage de l’autre côté du miroir.  Elle a permis, se sachant condamnée, qu’on la  filme sans pour autant en faire un plaidoyer pour la mort assistée. Voyeurisme, diront certains, choqués par un gros plan hypnotique sur un alignement de tombes noires; d’autres seront emportés du côté de la vie par les quatorze musiciens dont six jouaient déjà dans Coup fatal.

 Pour ne pas prendre les spectateurs au dépourvu, une conférence de vingt minutes nous est assénée: on nous explique, avec logiciel de présentation à l’appui, la genèse du Requiem en ré mineur de Mozart, puis le travail de Fabrizio Cassol à partir de cette partition et comment ont collaboré ces artistes. Etait-ce bien utile? A chacun de juger selon sa propre sensibilité. On y apprend que le compositeur autrichien écrivit un tiers de l’œuvre avant qu’une mort prématurée  ne l’emporte en 1791. Franz Xaver Süssmayr, un de ses élèves, prit la suite sans vraiment achever cette partition.

Fabrizio Cassol décida de combler les deux tiers manquants et fit appel à des interprètes africains. Le compositeur et saxophoniste s’intéresse en effet aux musiques non européennes depuis sa rencontre avec les Pygmées Aka en République Centre-Africaine. Et à la suite de voyages qu’il a faits au Mali, et en Asie. Il aime mêler ces musiques à la musique de chambre ou symphonique. Ici  interprètes africains, américains et européens croisent chant lyrique, improvisation jazzy, cadence zoulou, rumba congolaise, et rythmes des Pygmées.

Musiques écrites ou transmises oralement fusionnent ainsi. Mais, comme la plupart des interprètes ne maîtrisent ni le solfège ni les harmonies occidentales savantes, Fabrizio Cassol a transposé sur son saxophone la ligne mélodique de chaque instrument pour qu’ils la mémorisent: «Les musiciens africains, dit-il, ont besoin de ressentir quelque chose.» Et il a répété avec eux un an et demi à Kinshasa, à Capetown mais aussi à Gand, en Belgique … Pour aboutir à un mélange étonnant et détonnant. Du Mozart augmenté ! Mais avant tout, une musique en mouvement.

 Avec une mise en scène minimaliste, Alain Platel dicte à cet orchestre métissé une économie de déplacements. Après un premier morceau égrené à l’accordéon  par le Portugais João Barradas, la troupe déambule dans un cimetière de granit noir évoquant le mémorial de l’Holocauste à Berlin. Costumes sombres, bottes de caoutchouc (allusion à celles utilisées pour la danse «gumboot» dans les mines et les townships d’Afrique du Sud). D’abord, en lente procession: derrière le baryton Owen Metsileng et la soprano Nobulumko Mngxekeza, tous deux Sud-Africains, marchent entre les tombes un haute-contre brésilien, Stephen Diaz et les Congolais Kojack Kossakamvwe à la guitare électrique, et Rodriguez Vangama à la Gibson-double manche cherry (basse et guitare). Et aussi trois choristes de ce pays (Boule Mpanya, Fredy Massamba, Russel Tshiebua)) et, au likembe (petite caisse-piano en bois à lamelles de fer), Bouton, Kalanda, Erick Ngoya et Silva Makengo.

Le percussionniste Michel Seba demeure le plus souvent assis au centre du plateau, et le tubiste belge, l’ange blond Niels Van Heertum se détache souvent du groupe pour souffler dans son euphonium, un instrument à pistons.  «Ne jouez pas pour les gens, dit Alain Platel, mais pour vous. Faites de la musique entre vous. »  Et il leur demande aussi d’accompagner la mourante dont l’image est projetée en continu. Frappé dernièrement par la mort de proches, le chorégraphe veut créer avec ce spectacle, «d’autres manières d’accompagner l’âme des défunts, individuellement et collectivement, dans une société qui cherche à effacer la mort, mais où l’on déverse des atrocités de façon impudique, jour après jour, sur nos écrans ».

 A travers les paroles connues de cette messe funèbre, on peut apprécier les variantes de certaines musiques. Ainsi le Dies Irae, une séquence de ce Requiem de Mozart appelé aussi La Messe des morts en  D mineur, sera endiablé, dansé et chanté, d’une tombe à l’autre… Entre les morceaux, des silences, emplis par le soupir du tuba ou les respirations de l’accordéon. Plus tard, des mouchoirs blancs agités en rythme adresseront un ultime adieu à Louise… Les chœurs, de plus en plus mobiles, feront place à un final apaisé, quand le mort aura saisi le vif. Tels des gisants, chanteurs et musiciens s’allongent alors sur les tombes pour entonner un Agnus Dei émouvant et leur Miserere nobis  insiste à plusieurs reprises sur le nobis (nous) en renvoyant la prière au collectif, et à nous,  public mortel !

 Magnifique, le travail chorégraphique et musical d’Alain Platel et Fabrizio Cassol mêle ici gravité et exubérance. Il conjure l’angoisse de la mort par la joie de vivre que nous communiquent ces artistes venus des quatre coins du monde: «Je suis un fanatique de tous les métissages, dit le chorégraphe. Pas seulement ceux des hommes mais aussi en termes d’art, quand plusieurs disciplines se rejoignent. On est dans un monde qui a, et de plus en plus, peur des mélanges. Moi, je les défends au contraire, de plus en plus.» Ovationné par le public, le spectacle divise : certains considèrent comme obscène et violent de montrer la mort en face, en public et en gros plan. Voilà: dûment avertis, vous pourrez partager avec émotion ce cérémonial à la fois grave et festif…

 Mireille Davidovici

 Spectacle vu le 30 septembre à l’Opéra de Limoges.

Le 9 octobre, L’Onde-Théâtre, Centre d’Art de Vélizy-Villacoublay (Yvelines); les 13 et 14  octobre, Aperto Festival, Reggio Emilia (Italie) ; le 19 octobre, Les Théâtres de la Ville, Luxembourg ; les 23 et 24 octobre, Concertgebouw, Bruges et le 26 octobre, De Warande, Turnhout (Belgique).
Les 31 octobre, 1, 2 et 4 novembre, Schauspiel de Stuttgart et le 6 novembre, Euro Scene, Leipzig (Allemagne).
Du 21 au 24 novembre, Théâtre National de la danse de Chaillot, Paris, et le 28 novembre, Opéra de Dijon.
Les 30 novembre et 1 décembre, Torino Danza, Turin, (Italie).
Du 6 au 8 décembre, Opéra de Lille. Les 19 et 20 décembre, Centre Dramatique National de Nice.

Le 8 février, Le Parvis, Pau.
Et du 6 au 8 mars, MC2, Grenoble.

Georges Dandin ou le mari confondu de Molière mise en scène de Jean-Pierre Vincent

©Pascal Victor

©Pascal Victor

Georges Dandin ou le mari confondu de Molière, mise en scène de Jean-Pierre Vincent

 

A l’origine, une comédie-ballet avec une musique de Jean-Batiste Lully créée à Versailles, il y a tout juste trois siècles et demi cette année. George Dandin, un paysan qui s’est enrichi grâce à un travail forcené veut un jour faire d’une pierre deux coups: se marier avec une belle jeune femme et devenir un noble respecté de ses voisins. Il épouse donc Angélique, la fille des Sottenville, de petits aristocrates ruinés dont il va rembourser les dettes. Marché de dupes: il l’a donc « achetée » et gagné le droit de s’appeler de la Dandinière… Mais ses beaux-parents le méprisent et lui font sentir qu’à leurs yeux, il restera toute sa vie, malgré sa fortune, un paysan  sans intérêt.

Il rencontre incognito un certain Lubin qui lui apprend que sa femme entretient une correspondance amoureuse avec un jeune et beau Clitandre et que ce Lubin voudrait bien séduire Claudine, la servante d’Angélique. Georges Dandin se plaint maladroitement auprès des Sottenville qui le rabrouent mais qui demandent des explications à Angélique et à Clitandre. Avec habileté, ceux-ci vont tout nier de l’histoire. Le pauvre Georges Dandin  devra présenter ses excuses  à ses beaux-parents. Georges Dandin apprend ensuite que Clitandre est avec Angélique dans la maison. Les Sottenville voient Angélique et Clitandre quittant la maison. Mais Angélique de façon très habile, se met à  injurier Clitandre pour ses mauvaises manières. Et l’entourloupe  paye : les parents naïfs félicitent leur fille…

Mais les choses évoluent favorablement pour Dandin: Clitandre et Angélique continuent à se voir la nuit et se sont donné rendez-vous devant la maison. Georges Dandin entend le bruit de la porte, se réveille et les voit depuis sa fenêtre. Il semble cette fois tenir sa revanche et demande à son serviteur d’aller prévenir  les Sottenville.  Angélique revient mais Dandin referme la porte et  lui dit que ses parents vont arriver. Elle préfère alors, dit-elle, se tuer  plutôt que d’être déshonorée, et fait semblant de se donner un coup de couteau. Dandin le naïf descend pour voir si sa femme s’est vraiment tuée. Mais il fait noir: elle rentre sans être vue dans la maison et referme la porte derrière elle. Les Sottenville trouvent Dandin dehors et Angélique, à la fenêtre, se plaignant de son mari rentré souvent ivre.

Le pauvre Dandin, très seul, sévèrement tancé par ses beaux-parents, dupé par Angélique et sa servante, doit encore présenter ses excuses, à genoux devant sa femme qui revendique sa liberté à juste raison mais qui en rajoute dans le mépris.  Lucide, il voit bien qu’il ne peut s’en prendre qu’à lui-même d’être allé vendre son âme au diable quand il a fait ce marché de dupes avec les Sottenville et il en est désespéré: «Lorsqu’on a, comme moi, épousé une méchante femme, le meilleur parti que l’on puisse prendre, est de s’aller  jeter dans l’eau, la tête la première ».

Dans cette pièce farcesque d’un pessimisme et d’une noirceur terrifiante, aucun personnage n’est vraiment sympathique, sauf parfois Dandin que l’on peut plaindre à la rigueur de payer si cher son désir d’ascension sociale. Les Sottenville sont odieux, Angélique aussi et elle ne fera aucun cadeau au mari qu’on lui a imposé. Claudine, auquel l’usage de mensonges les plus énormes ne fait pas peur, est des plus cyniques. Quant à Clitandre, il ne vaut guère mieux.

Et quand Jean-Pierre Vincent s’empare de ce combat où cruauté et comique font bon ménage dans l’une des meilleures pièces de Molière, cela donne quoi? Dans un espace vide, celui d’un hall d’entrée qui peut aussi être le devant d’une maison, quelques chaises, un peu de paille et une fausse vache à moitié entrée dans le mur. Le carrelage du sol n’est pas encore achevé et il y a encore un paquet de carreaux en tas ans un coin. Une scénographie tout à fait  remarquable de son vieux complice Jean-Paul Chambas pour abriter cette fable aux mécanismes impitoyables qui va broyer Dandin et préfigure déjà ceux de Georges Feydeau.

Mise en scène rigoureuse comme toujours et d’une redoutable intelligence de Jean-Pierre Vincent qui tire la pièce vers un drame de société/jeu de massacre sans complaisance aucune. Il y  avait, le soir de la première, quelques ruptures de rythme mais depuis les choses ont dû rentrer dans l’ordre. Malgré une distribution un peu inégale : Vincent Garanger est tout à fait remarquable de finesse dans Georges Dandin, comme le sont Elisabeth Masev et Alain Rimoux (le couple Sottenville). Olivia Chatelain et Aurélie Edelin (Angélique et Claudine) font le boulot, nettement moins crédibles. Mais jouer cette comédie intimiste sur un très grand plateau devant huit cent personnes n’a rien de facile…

En tout cas, les jeunes collégiens de Bobigny, ce soir-là en très grand nombre, recevaient cette fable avec enthousiasme. Trois siècles après sa création, la société française a bien changé mais l’exclusion sociale est bien encore d’actualité et la pièce- et c’est assez exceptionnel-  n’a rien perdu de son mordant. Merci à Jean-Pierre Vincent d’avoir fait renaître avec intelligence et sensibilité ce Georges Dandin.

Philippe du Vignal

MC 93,  9 boulevard Lénine Bobigny, (Seine Saint-Denis) jusqu’au 7 octobre.
Du 10 au 12 octobre, Espace des Arts,  Chalon-sur-Saône.
Les 16 et 18 octobre Théâtre du Beauvaisis, Scène nationale de l’Oise.
Les 6 et 7 novembre, Le Granit, Scène nationale de Belfort.

 

 

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