Le Soulier de satin de Paul Claudel, mise en scène d’Antoine Vitez

Le Soulier de satin ou Le pire n’est pas toujours sûr de Paul Claudel, mise en scène d’Antoine Vitez: projection exceptionnelle de la captation du spectacle


afficheCe drame mystique raconte en quelque onze heures, un amour impossible, celui de Doña Prouhèze et du capitaine Don Rodrigue. L’action, située à la Renaissance s’étale sur vingt années et dans plusieurs pays, répartie en quatre journées… Et avec de nombreux personnages. La pièce fut créée en 1943 à la Comédie-Française dans une version réduite de cinq heures réalisée par Jean-Louis Barrault. Il reprendra cette pièce en 1963 à l’Odéon, puis dix-sept ans plus tard au Théâtre d’Orsay. Nous avions aussi vu la mise en scène d’Olivier Py au Théâtre de la Ville en 2003, puis à l’Odéon en 2009. Et dans l’adaptation pour le cinéma que Manoel de Oliveira  réalisa  en 1985  et qui durait près de sept heures.

La mise en scène d’Antoine Vitez (1930-1990) de la version intégrale reste celle qui a notre préférence et de loin. A la fois par sa rigueur, son ampleur, sa direction d’acteurs exceptionnelle avec Ludmilla Mikael et Didier Sandre (Doña Prouhèze et Don Rodrigue) et aussi, entre autres: Gilles David, Valérie Dréville, Jany Gastaldi, Philippe Girard, Serge Maggiani, Serge Maggiani, Madeleine Marion, Daniel Martin, Redjep Mitrovitsa, Alexis Nitzer, Aurélien Recoing, Robin Renucci, Dominique Valadié, Pierre Vial, Gilbert Vilhon, Jeanne Vitez, Jean-Marie Winling. Bref, une distribution là aussi exceptionnelle. Avec une remarquable scénographie et des costumes de Yannis Kokkos.

Tous les amateurs de théâtre ont vu, ou au moins entendu parler de cette création fabuleuse de cette pièce dans son intégralité à la Cour d’honneur du Palais des Papes, au festival d’Avignon 1987 pendant toute une nuit, et que nous avions vue avec un grand bonheur. Puis Le Soulier de Satin fut repris au Théâtre National de Chaillot  que dirigeait alors le metteur en scène. 

A l’occasion de l’année autour d’Antoine Vitez proposée par le Théâtre des Déchargeurs et l’Association des amis d’Antoine Vitez, avec la complicité de ses filles Jeanne et Marie, une projection exceptionnelle- ce qui n’est pas si fréquent- de l’intégrale filmée de ce spectacle devenu mythique, aura lieu de midi à minuit, le samedi 20 octobre: de 12h à 16h, de  17 h à 20h, et de 21 h à 00 h. Avec entractes de 16 h et 17 h, et de 20 h à 21 h. Mais vu la petite jauge de la salle et la gratuité, il n’y aura pas de place pour tout le monde. Il est donc impératif de réserver.

Philippe du Vignal.

Théâtre des Déchargeurs, 3 rue des Déchargeurs, Paris 1er.
Pour réserver: http://www.lesdechargeurs.fr/spectacle/projection-du-soulier-de-satin-antoine-vitez-paul-claudel
On peut voir sur le site du Soulier de satin des extraits de la pièce filmée par l’I.N.A.

 


Archive pour octobre, 2018

La Nuit des rois ou tout ce que vous voulez de William Shakespeare, mise en scène de Thomas Ostermeier

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©Brigitte Enguerand/Divergence

La Nuit des rois  ou tout ce que vous voulez de William Shakespeare, traduction d’Olivier Cadiot, mise en scène de Thomas Ostermeier

En Illyrie, autrement dit en « Utopie », quelque part entre Occident et Orient, des jumeaux encore adolescents, Viola et Sébastien (fille et garçon, précisons parce qu’ensuite ça va se brouiller pas mal…) font naufrage. Chacun croit l’autre perdu. Nous-mêmes, spectateurs, perdons de vue le garçon pendant un certain temps. Quant à la fille, elle n’a pas le choix : au féminin, elle ne serait qu’une proie, mais, au masculin, elle peut gagner sa vie, et les faveurs du Prince. Naturellement, elle en tombe illico amoureuse et lui-même se consume pour une belle Olivia endeuillée et glaciale, qui elle-même prend feu pour le pseudo Cesario, alias Viola, messager du prince.

C’est clair ? Pour d’autres que Shakespeare, cela suffirait pour bâtir une comédie. Lui y ajoute une bande de fêtards: Falstaff au petit pied, Sir Toby Haut-le-cœur, l’oncle d’Olivia et sa maigre vache à lait,  Sir Andrew Gueule de fièvre, qui soupire après la nièce et finance leurs petites orgies.
Ajoutez un intendant, qui a le tort d’être puritain et désagréable, et de prétendre quand même aux faveurs de sa patronne, un marin un peu pirate, amoureux de Sébastien, un capitaine de vaisseau sans vaisseau, et l’on aura à peu près tout le monde. Sans oublier Feste, très important personnage:  le Fou d’Olivia (et de tout le monde), celui qui «empoisonne» les mots, les retourne et fait soudain béer la vérité (remarquable Stéphane Varupenne).

Dans cette excellente traduction d’Olivier Cadiot, concrète et claire, cet acteur donne le ton. Après la musique cependant : contre-ténor et théorbe installent une belle gravité vite être bousculée par le carnaval grinçant des bouffons, et à chaque acte de retour. Shakespeare croit à la vertu de la musique, harmonie transcendantale (voir la dernière scène souvent coupée du Marchand de Venise)  mais il croit aussi à la grossièreté du monde. Et cette nuit-là, les malins, sir Toby et Maria (la suivante d’Olivia) qui se voit bien épouser un ivrogne, s’amusent cruellement aux dépens des naïfs, le trop timide Sir Andrew et le trop sûr de lui Malvolio. Feste se prête au jeu mais ne s’y donne pas. Quant aux amoureux, à chacun son aveuglement mais les dévoilements seront parfois cruels.

Le metteur en scène a pris au mot la pièce et son titre et cette nuit de fête carnavalesque sera ce que vous voudrez, et donc, pourquoi pas: n’importe quoi. Pour commencer, dans une boîte blanche aux angles arrondis, peuplée de plantes exotiques, avec entrées, sorties, et danse silencieuse de deux singes, tout le monde est en slip : on dirait une réclame pour «le slip français». Cela donne aux acteurs, dans un premier temps, une fragilité certaine, et puis, on s’y fait, à voir ces beaux garçons et belles filles à l’aise et sportifs déambuler sur une sorte de “catwalk“ entre la salle et la scène, la passerelle du Théâtre du Globe.

Car il va y avoir du sport. Les bouffons, Toby et Andrew (Laurent Stocker et Christophe Montenez), se lancent dans un cabaret politique irrésistible, avec grosses blagues d’actualité, du genre : «Je veux bien traverser la rue pour trouver du travail, mais pas la nuit. –Pourquoi ? –Parce que ce serait du travail au noir! ». Rire franc garanti, ça marche. Thomas Ostermeier n’hésite pas à tirer le public du Français avec les grosses ficelles du show biz  mais et avec humour : «Pour Untel, faites du bruit ! », ni à l’entraîner dans l’outrance d’une boîte gay sado-maso du genre : cravache-qui-rit, avec mention particulière pour Christophe Montenez aux parodies énergisées et hilarantes. Ce sont ces moments, plus caca-pipi-quéquette que troubles, qui valent au spectateurs l’avertissement: «Attention, certaines scènes sont susceptibles de heurter la sensibilité. »

On l’aura compris, la bouffonnerie carnavalesque, parfois longuette, écrase quelque peu les scènes d’amour et de désir. On voit un Denis Podalydès  (le prince Orsino) perdu dans sa rêverie retrouver un instant de pudeur vestimentaire en présence d’un prêtre,  le jeune Sébastien (Julen Frison) interroger avec raison le public qui en sait en effet un peu plus long que lui sur son identité… Tout cela reste pastel et brumeux. C’est peut-être pour cela que les deux jeunes premières, Adeline d’Hermy (Olivia) et Georgia Scaliett (Viola/Cesario) susurrent leur texte.

Votre servante n’est pas sourde et peut fournir un audiogramme satisfaisant. Mais si ce susurrement ôte de la présence à ce dialogue, on remercie le metteur en scène de ne avoir pas sonorisé la voix de ces actrices. Cette diction indécise, ce parcours rêveur trouvera sans doute sa justification à la fin;  dans ce «songe d’une nuit d’hiver» un peu gueule de bois, ne cherchez pas le baiser final : il y en aura plusieurs. Mais aussi, après une bonne dose de rire, un épilogue inquiétant : le rire est parfois cruel. À vous de savoir de quoi vous allez rire, et avec qui?  À la Comédie-Française, on est entre gens bien, assurément.

Christine Friedel

Comédie-Française, place Colette Paris 1er. Jusqu’au 28 février (en alternance). T. : 01 44 58 15 15.

 

Le Tartuffe de Molière, mise en scène de Peter Stein

©Pascal Victor/ArtComPress

©Pascal Victor/ArtComPress

 

Le Tartuffe de Molière, mise en scène de Peter Stein

 

La biographie de Molière de Georges Forestier publiée ce mois-ci, révèle les difficultés d’autorisation du Tartuffe par Louis XIV : la pièce fut créée en 1664, avant une seconde version en 1667, puis une troisième en 1669. « Car prêcher « la vie en Dieu », comme le faisaient les adeptes de la dévotion, revenait à recommander l’anéantissement de soi et la pratique de l’humilité, de la pauvreté, de la pénitence, de la chasteté. Ce qui impliquait de tourner le dos à la vie mondaine, gouvernée par la recherche du plaisir, et aux conceptions galantes qui recommandaient la modération en tout, et notamment … en matière de religion. »

 Des différences entre les première et  seconde versions apparaissent,: le nouveau Tartuffe, escroc endurci, loin de se laisser chasser, une fois démasqué, comme le naïf et penaud directeur de conscience  du texte primitif, se révèle le vrai maître de la maison d’où on veut l’expulser. Molière pousse aux limites extrêmes le jeu d’une donation à un intrus.« Quand commença 1669, on attendait toujours Tartuffe… On dût vivre de reprises jusqu’à ce que le roi se décide enfin à dire oui à la pièce. Fort de l’aval de Louis XIV, Molière était satisfait : il avait pu afficher sa pièce sous le titre L’Imposteur ou le Tartuffe, qui combinait les deux titres interdits et annonçait que Tartuffe avait recouvré son nom, un temps effacé au profit de Panulphe ».

 En signe d’apaisement, Louis XIV avait fait frapper le 1er janvier 1669 une médaille commémorant « la Paix de l’Eglise », mais il attendait un signe ultime pour pouvoir tourner définitivement la page, et le 3 février, tombent deux «brefs» remis par le nonce du pape Clément IX. Il se déclarait satisfait de la soumission et de l’obéissance des quatre évêques jansénistes un rien excessifs…  Et Louis XIV annonça le lendemain à Molière qu’il l’autorisait à représenter la pièce.

 Ici, Tartuffe (Pierre Arditi), avec tout la morgue distanciée qu’on lui connaît, ne craignant pas de blesser les bienséances quand il s’adresse à la maîtresse de maison, goujat au possible, s’amuse avec  sournoiserie tranquille. Il fait perdre la raison au maître de céans, un Orgon incarné par le très humain Jacques Weber, grugé dans sa passion aveugle pour lui…

 Isabelle Gélinas est une belle épouse, respectable et élégante et Manon Combes, une servante facétieuse qui n’a ni son regard ni sa langue dans sa poche ; Madame Pernelle ( Catherine Ferran) est une mère austère,  entièrement dévouée à Tartuffe. Jean-Baptiste Malartre se glisse à merveille dans le rôle du beau-frère, honnête homme et courtisan, et Félicien Juttner est le jeune fils fougueux d’une famille bouleversée par la présence pesante de cet intrus hypocrite.

Dans une scénographie d’un blanc lumineux à deux niveaux avec un large escalier tournant, les personnages de la plus belle pièce de Molière se meuvent avec grâce, comme dans la clarté d’une mise en relief. Quand les compagnons déménageurs, vêtus du noir traditionnel et d’une capuche, la corde enroulée sur le dos, surgissent pour jeter les propriétaires hors de chez eux, ils rappellent de façon effrayante des figures fondamentalistes.

 De même, belle image finale quand apparaît l’Exempt, émissaire du Roi : sur le lointain, un soleil de rayons dorés s’installe majestueusement. Tartuffe, diable terrorisant, est ligoté, et en costume noir à capuche, et emmené en Enfer. Bref, la mise en scène de Peter Stein est un beau travail…

 Véronique Hotte

 Théâtre de la Porte Saint-Martin, 18 boulevard Saint-Martin,  Paris X ème.  T. : 01 42 45 53 66.

ObsolèteS, par Gravitation/ A demain, j’espère

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ObsolèteS, par le collectif A demain, j’espère

 

« On lâche rien ! » entonnent Alexis HK et les Saltimbanks. Une enceinte pourrie crache le fameux air des manifs. Difficile dans ce gloubi-boulga globalisé qu’est devenu notre monde de croire encore la lutte possible. Quel discours tenir? Quelle forme, la résistance pourrait-elle revêtir?  Les comédiens cherchent des solutions. Issus de la compagnie Gravitation, ils sont deux hommes et trois femmes à avoir fondé ce nouveau collectif théâtral. Bien décidés à en conserver l’esprit participatif, ils poursuivent leurs rêves de lendemains qui chantent, comme en témoigne leur nom, A demain, j’espère, inspiré de la dernier réplique du film de Chris Marker tourné en 1967 à la Rodiacéta de Besançon.
 Cette œuvre avait provoqué la naissance du groupe Medvedkine, avec des ouvriers qui, épaulés par le cinéaste, avaient osé filmer leurs conditions de travail et diffuser leurs propres réalisations.
La phrase A bientôt, j’espère, lancée face caméra, déclarait la guerre au patronat. Le ton est donné! On l’aura compris, ici, pas de dominant (enfin… on essaie !). Dans la lignée des mouvements des années soixante donc, mais aussi de l’éducation populaire, d’associations comme ATTAC ou des rassemblements type Nuit Debout, on s’intéresse au cheminement et à l’efficacité de la pensée collective. En ligne de mire, le public : s’interroger sur sa place et sa participation, s’adresser au plus grand nombre, recréer une agora qui permette d’échanger et de penser ensemble.

 Le festival Salins-sur-Scènes, niché dans un écrin de collines jurassiennes et organisé par les Urbaindigènes, une troupe de théâtre de rue acrobatique, offre un cadre idéal, bucolique et familial, à cette toute fraîche création. Sur une placette, dans les hauteurs de la ville, une réunion publique peine à débuter. Vraie consultation ou mystification ? Des gradins en bois et en hémicycle font face à une grande tablée que reconnaîtront tous les habitués des lieux alternatifs : gobelets en plastique, mauvaise bière, rouleau de scotch, cartons de récupération, paquet de confiseries au soja bio, impatience des participants qui tirent à qui mieux-mieux sur leur cigarette électronique. L’installation progressive feint l’à-peu-près et brise le quatrième mur, en sollicitant directement les spectateurs.

 Les derniers bancs sont installés à vue et la charte affichée. 1. La parole est libre. 2 . Tout le monde peut ajouter un point à la charte. 3. Si tout le monde s’y met, personne ne se fatigue… Et c’est parti pour la réunion ! Esthétique vériste à mourir de rire : vrais prénoms des comédiens, recherche d’un nom à donner au mouvement, avec vote épique, inévitable coupage de cheveux en quatre, crises de nerfs…  Les tics langagiers et gestuels des altermondialistes et autres militants sont à la fête. Tout ici est millimétré pour qu’on y croie, jusqu’aux larsens. Du faux improvisé et du théâtre pauvre comme aiment à feindre le pratiquer Les Chiens de Navarre ou d’autres compagnies de théâtre de rue. Le sujet : l’obsolescence des choses et des êtres. Ou comment lutter contre le grand capital qui bouffe la planète et nos énergies individuelles. On taira les superbes trouvailles de la troupe jamais à court de séquences pédagogiques pour relancer le débat. Mais on peut vous assurer que « c’est hyper fort », comme dirait un des personnages caricaturaux, et pourtant si pertinents, de cette fine équipe. On y vulgarise du Bourdieu et Le Monde Diplo de l’année dernière pour réfléchir au système libéral qui rend nos vies si pathétiques.

Ce spectacle, jusque dans son humilité et son ironie, paraît révélateur du découragement des citoyens et des milieux artistiques : condamnés à toujours chercher comment dire la nécessité de comprendre les migrants, de sauver notre environnement, de lutter contre le cynisme du pouvoir et les multinationales qui nous détruisent littéralement.
Les mots semblent usés, les sonnettes d’alarme tirées depuis si longtemps… A quoi bon agir ? Et pourtant! Avec ce dispositif auto-réflexif et drolatique, ObsolèteS tape là où ça fait mal  et où résident encore les possibles. Très attachants, pas démagos (de nombreuses scènes bien saignantes rendent le public hilare !), interrogeant jusqu’à la peine de mort pour les patrons du CAC 40, les cinq acteurs se montrent nos compagnons d’infortune. Traversés par des doutes, névroses, mauvais sentiments, et bonnes intentions, ils exhibent leur impuissance avec humanité. Les spectateurs sentent bien qu’ils sont vraiment convoqués… jusqu’à la surprise finale ! Le rythme varie au gré de sollicitations du public qui sont autant de prises de risques et d’ouvertures, parfois bancales ou décalées, forcément.

Le sketch sur la fameuse «part du colibri», quelle réussite ! Naïve volonté de faire au mieux, esthétique de bric et de broc, énergie fabuleuse et sincère… Il concentre tout l’esprit de la lutte écologique et du faux amateurisme de la compagnie qui aboutit, l’air de rien, à des réflexions très fines (les déboires de Pierre Rabhi ne sont jamais nommés, mais on y pense… Comme on sourit à l’écoute de Renaud: « On les a récupérés, oui, mais moi, on m’aura pas» !). Bien vu cette confiance en l’esprit critique du public ! Les comédiens en grande forme, mouillent le maillot dans des rôles criants de vérité. Voilà du vrai spectacle populaire, vivifiant et provocateur : un beau boulot collectif !

 Stéphanie Ruffier

 

Spectacle vu au festival Salins-sur-Scènes organisé par les Urbaindigènes le 29 septembre.

Festival Du Bitume et des Plumes à Besançon, les 6 et 7 octobre.
L’Abattoir, Chalon-sur-Saône (71), le 23 novembre.
Résurgences / La Saison-les Rives (34) le 14 décembre.
Association Rudeboy Crew, Belbezet (48) le 15 décembre.

Catherine Fornal, comédienne d’ObsolèteS, jouera son solo Méchanceté le 6 octobre.

 

The Idiot conception et chorégraphie Saburo Teshigawara.

Japonismes Festival d’automne

The Idiot, conception et chorégraphie de Saburo Teshigawara.

 

©Jean Couturier

©Jean Couturier

Ce chorégraphe dont nous avions apprécié le travail sur  plusieurs grandes scènes parisiennes (voir Le Théâtre du blog) découvre la nouvelle salle Firmin Gémier, bien adaptée à ce duo intimiste d’une heure, inspiré de L’Idiot de Fiodor Dostoïevski. «Je savais, dit-il, qu’il était impossible de créer une chorégraphie tirée d’un tel roman. » Pourtant, il réussit, en dansant avec sa muse, Rihoko Sato, à rendre remarquablement lisibles la solitude du personnage et ses fractures intérieures…

 Saburo Teshigawara, ici danseur et chorégraphe, a aussi conçu le collage musical, les costumes, les lumières. Il fait bouger nos repères habituels, en mettant tous ces éléments en mouvement pour produire un concentré d’émotion vraie.

Les musiques de Serguei Prokofiev, Piotr Tchaïkovski, etc., se chevauchent et reviennent en boucle comme pour une valse éternelle, et les lumières changeantes soulignent une danse en constante mobilité. Rihoko Sako, en robe longue ou en costume de tulle, semble voler, gracieuse et fluide. Saburo Teshigawara hume les effluves parfumées de cette dame en noir qui tournoie autour de lui : il la cherche, la perd et la retrouve. Quand il reste seul dans la pénombre, traversé de convulsions incontrôlables, sa douleur, communicative, nous émeut profondément. Fragiles et solitaires, les danseurs, transformés parfois en pantins désarticulés, nous impressionnent par l’humanité qu’ils  donnent à leurs personnages.
Nous retiendrons surtout de cette belle performance les gestes d’amour : des mains qui se frôlent, une tête qui se penche, une hanche qu’un bras accompagne tendrement… Une soirée exceptionnelle conclue par des saluts d’une extrême délicatesse, avec une danse généreuse, toute de désespoir et de passion. A recommander aux amoureux du spectacle…

Jean Couturier

Théâtre National de la Danse de Chaillot, 1 place du Trocadéro, Paris XVI ème jusqu’au 5 octobre.

 

Chandâla, l’impur, Mise en scène, texte et traduction (tamoul/français) de Koumarane Valavane.

©Cristophe Pean

©Christophe Pean

Chandâla, l’Impur, mise en scène, texte et traduction de Koumarane Valavane. (en français et en tamoul, surtitré en français)

«Cher Monsieur Shakespeare, nous allons jouer votre pièce dans le contexte des castes», annonce une voix, avant que ne retentisse la célèbre musique de  Shigeru Umebayash pour le film In the Mood for love de Wong Kar-Wai. Avec cette adaptation haute en couleurs de Roméo et Juliette,  une histoire d’amour entre un Intouchable et une jeune Brahmane, le Théâtre Indianostrum de Pondichéry, nous offre un magnifique spectacle qui dénonce, sous les formes traditionnelles du théâtre indien revisitées à l’aune de la modernité. la violence sociale contemporaine.

Selon le livre sacré de Manou, créateur de l’humanité : «Au sommet de la pureté, se trouvent les Brahmanes, au-dessous d’eux, les Ksatriya, les guerriers, puis les Vaisya, les marchands, enfin les Sûdras, les serviteurs.  Une cinquième catégorie, les Chandâla, les Intouchables, sont exclus, car susceptibles de polluer la pureté des lieux, de l’air, des objets» . Aujourd’hui en Inde, ils sont deux cents millions (18 % de la population!), à être victimes de nombreuses discriminations et condamnées aux viles tâches : éboueurs, égoutiers, chargés de la crémation des corps… Comme le père de Jack notre Roméo, tombé amoureux de Janani (Juliette), fille de Brahmanes ultra-conservateurs. Aux destinées des jeunes gens, préside le dieu Amour: descendu du ciel avec son arc et ses flèches, qui conduira le cortège nuptial au guidon d’un rickshaw.

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©Christophe Pean

« Nous adaptons chaque élément de la pièce de Shakespeare au système des castes», dit Koumarane Valavane. Tout y est, mais transposé : la rencontre au bal masqué se fait dans un cinéma porno; la scène du balcon a lieu sous les jupes de la nourrice, jouée par l’hilarante clown et danseuse française,  Marie Albert, qui a rejoint la troupe indienne pour la création de Chandâla, l’impur et qui appris le tamoul.
Le spectacle convoque tous les arts du théâtre indien. Pour la scène nuptiale, les comédiens dénudent avec délicatesse leurs effigies de bois et d’étoffe, imaginées par le maître des marionnettes K. Periyasamy. Le chorégraphe Sathish Kumar réussit à mêler danse traditionnelle, kathakali et hip-hop en passant par quelques citations de West Side Story ou des comédies de Bollywood. La musique de Saran Jith puise aux racines des percussions du Kerala. Les chants gaana de David Salamon, proches du rap, proviennent de la communauté des Intouchables. Ces deux musiciens interprètent les compagnons de Jack. La plupart des comédiens excellent dans la gestuelle traditionnelle à l’instar de Purisai Sambandan : ce grand maître de therou kouthou, une forme de théâtre qui mêle le chant, la danse et le jeu, et qui  a collaboré avec Ariane Mnouchkine pour  Une chambre en Inde. Et Vasanth Selvam, un des fondateurs du Théâtre Indianostrum…

Le cinéma où se déroulent certaines séquences, sert aussi de toile de fond à la pièce, avec des intermèdes extraits de bandes-annonce de films d’action calqués sur les blockbusters hollywoodiens ou des publicités projetées pendant les entractes dans les salles obscures indiennes. Cette violence du septième art fait écho à celle de la société, présente en arrière-plan de la pièce, et de la fable shakespearienne. On entend à plusieurs reprises le témoignage de Kwasalya, une jeune femme dont l’amoureux a été assassiné par des tueurs, sur l’ordre de ses parents. Elle a porté plainte et son père a été condamné à mort pour avoir commandité le meurtre. «C’est la première fois, précise Koumarane Valavane, et cette jeune fille est en train de se battre pour une loi contre les crimes d’honneur.»

Car, au pays où Ram Nath Kovind, un Intouchable, a été élu président de la République en 2017, les crimes d’honneur persistent. La forme bon enfant et un peu kitsch que prend ici la tragédie shakespearienne avec des séquences dansées,  des couleurs vives, des cortèges fleuris n’est que la  façade ironique de drames quotidiens et bien réels. Pour le metteur en scène: «Le spectacle touche un sujet sensible, et le texte reste très documenté ; quatre-vingt dix pour cent des éléments contenus dans la deuxième partie sont vrais mais les Indiens ne les connaissent pas.» Il craint de choquer des communautés par certains détails, quand ils joueront en Inde, « car il y a des allusions à d’autres castes qui se reconnaîtront ».

 Le Théâtre Indianostrum, créé en 2007, veut promouvoir un théâtre moderne dans une continuité culturelle. Il possède aujourd’hui une petite scène, à Pondichéry, la salle Jeanne d’Arc,  un ancien cinéma français. D’où son nom complet: Indianostrum Pathé-Ciné Familial. Koumarane Valavane, franco-indien et ancien membre du Théâtre du Soleil, a invité en 2015 Ariane Mnouchkine et son École Nomade. Naîtront de ces échanges, la création d’Une chambre en Inde par le Théâtre du Soleil, et celle d’un diptyque amoureux Chandâla, l’impur puis Dounia, mon amour ! par le Théâtre Indianostrum.

A l’issue de trois heures avec entracte, cette troupe polyvalente et généreuse a reçu un accueil enthousiaste à Limoges. Mais dommage, le spectacle, coproduit par le Théâtre du Soleil, les Francophonies en Limousin et le Théâtre de l’Union, ne se jouera que trois soirs à la Cartoucherie de Vincennes. Il faut donc s’y précipiter !

 Mireille Davidovici

Spectacle vu le 30 septembre le au Théâtre de L’Union à Limoges.

Et du 5 au 7 octobre, Théâtre du Soleil, Cartoucherie de Vincennes, route du Champ de manœuvre.  Et en novembre et  décembre au Théâtre Indianostrum à Pondichéry et dans plusieurs villes indiennes.

Les Francophonies en Limousin se poursuivent jusqu’au 5 octobre

Véro 1ère, Reine d’Angleterre / Cie 26 000 couverts

Véro 1ère, Reine d’Angleterre  de Gabor Rassov, mise en scène de Philippe Nicolle

7a7b39e22a4c4339cd2d6b70add634La  compagnie 26 000 couverts,  pour sa nouvelle création, nous reçoit chez eux, à la Caserne devant le hall 38 où  on a installé une petite scène au plancher incliné, ressemblant à une baraque foraine, entourée de deux caravanes qui servent de loges aux comédiens.

Le public prend place sur des gradins et sur des tapis. Pendant ce temps, la famille foraine des Stutman se prépare. Un de ses membres passe une musique d’ambiance de dance floor et joue à l’annonceur avec un effet de réverbération irrésistible. La représentation qui commence avec des saynètes est en deux parties de cinquante minutes, avec un entracte. « Les célèbres Mélodrames Stutman, une des dernières familles du théâtre forain, vous présentent leur plus grand succès : Véro 1ère, Reine d’Angleterre. L’extraordinaire destin de Véronique, qui n’osait se rêver gérante de Franprix, et qui finira pourtant reine d’Angleterre: une fable aussi morale que perverse où l’on retrouve des larmes, du sang, de la magie, des massacres et des merveilles. Frissons, stupeur et crises de rires garantis. Attention ! La direction ne rembourse pas les mauviettes ! »

Le programme est lancé, avec des personnages hauts en couleur, et en roue libre. Quatre des huit  comédiens jouent une dizaine de rôles et, surprise, nous retrouvons ici le grand Denis Lavant qui fait du Denis Lavant ! Ce comédien a une facilité déconcertante pour passer d’un registre à l’autre,  tel un caméléon. Son alter ego Léo Carax avait bien exploité ce potentiel dans le film Holly Motors. Comme chez James Thierrée, Denis Lavant est employé comme une espèce de bête foraine à la limite du geek (au sens forain du terme). Il y a, dans le spectacle, un côté à la fois  horrible et fascinant, à la marge et que l’on retrouve dans les freak shows. Inévitablement, les comédiens sont dans la caricature et cabotinent un maximum pour ramener le mélodrame à sa fonction primitive, avec toutes ses invraisemblances. Gabor Rassov a annoncé la couleur : « Je vous promets une flopée de coups de théâtre. J’en ai mis autant qu’il est humainement possible de le faire. Il y a même une scène où il y en a quasiment plus, que de mots. » Avec rebondissements à gogo, jusqu’au malaise ! Sur ces bases artificielles, évolue une dramaturgie en une dizaine de tableaux inégaux.

Nous suivons donc ici les aventures rocambolesques de Véronique, pauvre fille des bas quartiers, livrée à elle-même avec un nouveau-né, et de nombreux amants de passage. Tous périront dans d’atroces souffrances  mais son fils, lui, ressuscitera plusieurs fois ! Elle-même sera tuée mais, après l’administration d’un sérum dans un hôpital, elle reviendra à la vie et se verra proposer trois demandes en mariage.

Une fois Reine et donc arrivée au pouvoir, les problèmes arriveront et le peuple demandera sa tête.  Condamnée à mort, elle sera décapitée par un bourreau sado-lubrique. Une grande guillotine est amenée sur scène, et la tête de Véronique placée dans le trou. Soudain, la lame descend et tout le corps s’escamote, alors que dans le tour de magie classique, on laisse clairement visible la découpe au niveau du cou. Parmi les décapitations réalisées par les illusionnistes depuis le XVIII ème siècle, celle de Rubini était particulièrement morbide car montrée sous un jour sérieux et terrifiant.

Le spectacle finit par un moment surréaliste: on voit la tête  coupée de Véro léviter dans les airs et rejoindre le royaume des morts pour retrouver son fils défunt sous les traits d’un squelette fluorescent. Ce tableau, dans la pure tradition du « théâtre noir »  est un petit moment de non-sens macabre bd’une réjouissance absolue, malgré ce soir-là des problèmes techniques de manipulation.« Une histoire qui se termine bien, malgré la mort qui réunit mère et fils »:  une conclusion savoureuse dite par Denis Lavant, dans une dernière tirade…

 Comme d’habitude, Les 26 000 couverts explorent les limites de la représentation  dans la tradition du théâtre de rue, avec une liberté de ton vivifiante… mais un brin répétitive. Les spectateurs, dans un entre-deux bancal, ne savent pas très bien où se situe la, ou les scènes, ni comment se positionner par rapport aux comédiens placés dans une mise en abyme. A la fois déroutés mais complices malgré eux d’un système retors et séducteur qui  les oblige à prendre part au spectacle. On se  souvient, entre autres, de ce pénible Beaucoup de bruit pour rien de Shakespeare, où le public attendait pendant un long moment debout, et parfois dans le froid et sous la pluie, comme au festival d’Aurillac… sans jamais être admis à pénétrer dans la salle.

 Le système du théâtre dans le théâtre, usé jusqu’à la corde, ne surprend plus vraiment, ou par intermittence! La faute à une dramaturgie qui ronronne, à des situations stéréotypées et des dialogues au ras des pâquerettes. Même si «c’est pour rire»,  avec un second, voire un troisième degré, Philippe Nicolle et sa bande, à force de tirer sur la même ficelle, finissent par produire l’inverse de ce qu’ils voudraient dire. Leur jeu volontairement amateur se retourne contre eux, et on va alors jusqu’à douter de leur professionnalisme !

Mais par ailleurs, Véro 1ère, Reine d’Angleterre est assez pertinent avec son côté attraction  et reprend les codes des stands forains, en proposant une sorte de boîte à illusions d’où immerge des surprises avec de belles idées de scénographie et des effets spéciaux bricolés. Le spectacle, encore en rodage, manque de rythme mais on voit  mal comment il pourrait évoluer: il  se complait trop dans une caricature facile des mélodrames…

Sébastien Bazou

Spectacle vu à la Caserne, hall 38 à Dijon (Côte d’or) le  21 septembre

Du 5 au 6 octobre  à Tournefeuille.

 Du 10 au 11 mai  à Clermont-L’Hérault.  Du 14 au 17 mai à Saint-Christol-lès-Alès.  Et du 21 au 23 mai à Chenôve. 

 

 

Sébastien Bazou

www.artefake.com

Avidya –L’Auberge de l’obscurité, texte et mise en scène de Kurô Tanino

© Avidya

© Avidya

 

Festival d’Automne à Paris: Japonismes 2018

Avidya-L’Auberge de l’obscurité, texte et mise en scène de Kurô Tanino

Cela se passe dans une petite auberge de montagne, Avidya, coupée du monde contemporain et où on peut se baigner dans une eau de source thermale : le luxe pour tous mais dans des conditions rustiques. Avidya, en sanskrit le premier des douze maillons du bouddhisme représentant la vie de l’homme, signifie aussi obscurité. C’est ici dans un huis-clos, une sorte de conte teinté de philosophie, toujours  à la frontière du quotidien réaliste et de l’imaginaire.

Deux marionnettistes arrivent de la ville, le fils et le père, un nain aux longs cheveux, pour présenter leur spectacle. Invités par le propriétaire… Mais personne n’est au courant pour les recevoir. Ils attendant dans le petit hall d’accueil et se réchauffent un peu auprès d’un petit poèle. Une vieille femme leur dit quand même d’entrer. Il y a ici plusieurs autres personnages dont Matsuo, un homme qui perd la vue, et deux geishas, l’une jeune et l’autre plus âgée,  qui vont jouer du shamisen. Ils semblent résider pour un certain temps dans des grandes chambres collectives, l’une pour les hommes, et l’autre pour les femmes.

 Dans une grande salle avec bassin pour se baigner où l’on pénètre par un vestiaire, règne un «sansuke». Jusque dans le milieu du XIX ème, il était chargé de  prendre soin des clients, de les laver et parfois, avec l’accord tacite du mari, de faire l’amour avec une cliente pour qu’elle tombe enfin enceinte… « J’ai fait apparaître un « sansuke » dans ma pièce, dit Kurô Tanino, un métier disparu que la plupart des Japonais ne connaissent même pas: il s’agit de renforcer le caractère coupé du monde de cette auberge. De même, il n’existe plus aujourd’hui que de très rares sources gratuites ouverts au public comme ici. »
L’auteur et metteur en scène nous parle un peu comme Anton Tchekhov d’un monde ancestral qui va disparaître et dont les personnages ont la nostalgie, même si les gens du village souffrent de problèmes de santé. Dans les vapeurs du bain collectif, on dit que l’auberge est condamnée pour laisser place à une  ligne de TGV… 

Belle scénographie de Michiko Inada et Kurô Tanino qui ont  conçu de façon très réaliste les quatre lieux de cette auberge- en fait presque le personnage principal-  où se déroulent les tranches de vie de cette pièce étrange sur un plateau tournant. Un dispositif qui a toujours  quelque chose de magique et permet de changer d’angle et de voir les personnages autrement, comme presque de l’intérieur. Dans une sorte de cycle où on entre facilement dans l’intimité des personnages que l’on voit parfois nus, et qui semblent avoir habité longtemps et comme chez eux, dans cette simple auberge rurale plongée dans la nature, totalement à l’écart d’une ville. Mais tout le charme et la paix de ce lieu -on le sent bien- vont disparaître quand les villageois devront supporter le vacarme du TGV.

  Le spectacle doit beaucoup à la grande présence de tous les comédiens, et plus particulièrement de cet acteur nain dans ce spectacle lent, où les silences et les bruits du quotidien ont une place importante. Les dialogues ne sont pas de la même  qualité que ceux de The Dark master, l’autre pièce de Kurô Tanino jouée ici (voir Le Théâtre du Blog)  mais il y a un sens du temps qui passe et des images parfois fabuleuses. Et cela n’a pas de prix.
Kurô Tanino avec Avidya-L’Auberge de l’obscurité nous emmène avec une lenteur bien assumée sur les chemins d’une vie qui s’en va. Consolation, à la fin, une des deux geishas tient un  bébé dans ses bras. Beau symbole:  une auberge est condamnée mais la vie continue, malgré les désastres de la modernité. Et le Japon depuis la catastrophe de Fukushima, est bien placé pour le savoir…

Philippe du Vignal

Le spectacle a été joué du 25 au 29 septembre, au T2G de Gennevilliers (Seine-Saint-Denis).

Sous les fleurs de la forêt de cerisiers d’Ango Sakaguchi, mise en scène d’Hideki Noda

 Festival d’Automne à Paris: Japonismes 2018

Sous les Fleurs de la forêt de cerisiers, texte mise en scène d’Hideki Noda

10A9373B-6A82-451D-B47B-FDDB2BB17DF0Le metteur en scène japonais et directeur artistique du Tokyo Métropolitan Theatre, avait déjà présenté The Bee en 2014 et Egg , l’année suivante à Chaillot (voir Le Théâtre du Blog), deux spectacles sur la société contemporaine. Sous les fleurs de la forêt de cerisiers est plutôt une peinture fantastique, inspirée par l’ancien Japon. Une pièce fétiche qu’Hikedi Noda avait écrite à partir de deux courts textes d’Ango Sakaguchi (1906-1955) et qu’il a créée en 1989- il avait trente-trois ans- et qu’il reprendra en 1992, puis en 2001.

Il s’agit d’une guerre de succession au Japon au VII ème siècle. Avec, un peu à la façon d’un conte fantastique, une histoire des créatures non humaines qui vont rencontrer des humains. Une occasion pour Hideki Noda de proposer aussi ici une réflexion sur l’Etat, le pouvoir politique. «Chaque pays, considéré comme puissant aujourd’hui, ne s’est-il pas formé, dit-il, en annexant des territoires, au besoin en réécrivant l’Histoire». Et cette pièce, si on a bien compris, parle donc aussi de l’origine même de son pays.
Un puissant seigneur a convoqué trois artisans  pour choisir celui qui sera digne de sculpter la statue de Bouddha qui protégera ses filles : l’aînée Yonagahime (Princesse-Longue nuit) de toute beauté mais cruelle et Hayanehime (Princesse Sommeil-précoce), joyeuse et charmante… En chemin, deux maîtres-sculpteurs vont se faire tuer, l’un dans une bagarre  avec son disciple Mimia (L’Homme-Oreille) et l’autre par Manako (L’œil qui veut le voler). Ces criminels arrivent avec la fausse identité des sculpteurs. Il y a aussi Ôama,  un troisième artisan.

Mimia est attiré, même si il la hait, par Yonagahime. Il commence à sculpter la statue d’un démon. Quand il s’agit de choisir la statue de Bouddha, Yonagahime préfère celle qu’a réalisée Mimio, et qui ressemble à un monstre. Quand elle est placée à l’entrée de la résidence, la porte des démons s’ouvre, et ceux-ci attaquent la capitale du Japon sur lequel va alors régner Ôama. Les démons sont devenus des citoyens. Puis Ôama ordonne à Mimia de sculpter le visage de Yonagahime sur la grande statue de Bouddha. Et sous prétexte d’instaurer l’ordre, il chassera les démons et accusera Mimia d’en être aussi un… Mimio s’enfuira avec Yonagahime dans la forêt, sous les cerisiers en fleurs… C’est du moins l’essentiel de cette intrigue très compliquée, racontée dans le programme mais qui pour nous public français, n’est ni accessible, ni franchement passionnante. On peut se laisser séduire, comme les nombreux Japonais dans la salle par ce spectacle très visuel aux dialogues parfois curieux qui comportent des allusions du genre : «Excusez-moi, vous n’avez pas joué dans une pièce de Tchekhov?», ou des allitérations/jeux de mots : « Pas sidérant, ce sidarkata».

L’ensemble tient d’une sorte d’opéra à grand spectacle remarquablement mis en scène avec trente interprètes, dont plusieurs vedettes, au jeu d’une incroyable précision mais où, on ne sait pourquoi, les acteurs criaillent souvent. Cela dure deux heures et demi avec entracte; on regarde avec plaisir mais impossible d’entrer dans cet univers qui, curieusement, tient parfois de nos opérettes occidentales et d’une B.D.  Nous avons l’impression de ne pas posséder les codes nécessaires!
On s’ennuie? Pas vraiment : il se passe toujours quelque chose sur le plateau, et les moments joués comme ceux dansés par quelque vingt interprètes sont impeccables et remarquablement mis en scène et/ou chorégraphiées sur des musiques de différents styles… Les décors réalistes comme cet énorme Bouddha sont assez  laids, à moins qu’il ne s’agisse d’un second degré qui nous aurait échappé…
Une forme de théâtre joué et dansé, assez étonnant, doté de très gros moyens, sans doute à mi-chemin entre la tradition et une certaine modernité. Mais pas vraiment convaincant. Une occasion en tout cas de connaître ce qui semble bien être un très grand spectacle pour les Japonais. Voilà, mais on vous aura prévenu: ne rêvez pas sur ce titre séduisant, Sous les fleurs de la forêt de cerisiers... Même si elles sont très présentes au début sous forme d’une espèce de rideau et à la fin, volant partout grâce à une importante soufflerie. Cet opéra, influencé par le kabuki, semble aussi correspondre à une sorte d’exorcisation d’une mémoire collective comme Egg, mais  aurait sans doute gagné à être plus clair… du moins selon notre perception occidentale!
Le chorégraphe Sanuro Teschigawara et sa complice Rihoko Sato, eux,  font un tabac avec The Idiot de Dostoïevski, à quelques dizaines de mètres dans la salle Gémier (voir Le Théâtre du Blog).

Philippe du Vignal

Théâtre National de Chaillot, 1 Place du Trocadéro, Paris XVI ème. T. : 01 53 65 30 00.

 

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