La Trace de la limace d’Aristide Demonico, mise en désordre de Dominique Verrier
La Trace de la limace d’Aristide Demonico, mise en désordre de Dominique Verrier
En commençant par la fin, du coq-à-l’âne et de fil en aiguille –logique pour un fils de tailleur- sans oublier les anguilles sous roche, les mots entraînent Aristide Demonico, notre conteur-acteur vers de curieuses découvertes. On peut jouer avec, mais les calembours ne vous laisseront pas tranquilles. Méfiez-vous du non-sens, il en aura toujours, du sens.
Donc, ce personnage est tourmenté, amusé, chatouillé par les mots. Parfois même chatoyé (ça y est, on est contaminé…). Et quand ils lui sont particulièrement bienvenus, il s’active à les consigner dans un cahier à trésors. Donc, si certains ont douté de l’existence de Dieu, on peut aussi douter de sa propre existence, et de celle du doute même. « Naître et ne pas être» est une drôle d’expérience : savoir si on ne serait pas son propre jumeau disparu, avalé par la bonde de la baignoire ou tombé dans un trou de mémoire… On aura compris que le clown, si délicat et poétique soit-il, comme ici, n’échappe pas à la métaphysique.
Aristide Demonico se laisse avec bonheur, et avec son consentement, embobiner, promener, et tout ce qu’on voudra, par les mots. En prenant le risque de débobiner : suivre le fil peut mener loin, sans parler d’une affaire de labyrinthe, et là, pour ce qui est de se débiner… Décidément, on se fait prendre au jeu : laisser venir les mots en douceur, plus pêcheurs que poissons, avec tout ce qu’ils tirent dans leurs filets, de blagues et de vraie vie. L’acteur prend le temps de chanter comme on se chante à soi-même la ballade mélancolique de Jacques Prévert et Joseph Kosma Au jour le jour, à la nuit, la nuit, il fait l’ange en faisant la bête, à quatre pattes sur le plateau. Cela mérite d’être salué, après tant d’années sur les planches. Parfois, on a l’impression qu’il s’égare mais cela n’a rien d’étonnant avec ce langage en liberté. Le tout donne un spectacle alerte, poétique, rêveur, avec de grandes respirations et des apnées, d’une originalité garantie.
Les planches, ce sont aussi celles du Lavoir Moderne Parisien, rue Léon, dans le 18ème arrondissement de Paris, sur son versant africain. Le propriétaire voudrait bien dénoncer le bail pour livrer les lieux à des promoteurs immobiliers en quête de précieux mètres carrés, dans ce quartier “en mutation“, c’est-à-dire promis à la gentrification, mais le théâtre et la musique savent se défendre: avec un beau programme, Julien Favart et Joanna Boutté, les responsables du lieu et leur minuscule équipe consolident cette précieuse salle enracinée dans l’histoire du Théâtre et du quartier. Au public de les y aider : ce qu’il fera avec bonheur. Après La Trace de la limace et Je suis Voltaire, de Laurence Février, Antonin Artaud par Florian Pâque, puis Valère Novarina, avec la complicité de Claude Buchvald et Claude Merlin, vous y attendent.
Christine Friedel
Le Lavoir Moderne Parisien, 35 rue Léon, Paris XVIII ème, jusqu’au 11 novembre. T. : 01 46 06 08 05.
Je suis Voltaire de Laurence Février, se joue aussi jusqu’au 11 novembre.