Ivanov d’Anton Tchekhov, mise en scène de Christian Benedetti
Ivanov d’Anton Tchekhov, mise en scène de Christian Benedetti
Nikolaï Ivanov, propriétaire d’un domaine, est marié depuis six ans avec Anna Petrovna, une jeune femme juive atteinte d’une grave tuberculose et qui va sans doute bientôt mourir. On dit qu’il l’a épousé pour sa dot et qu’elle a renoncé pour lui à sa religion… Mikhaïl Borkine, un parent d’Ivanov, dirige le domaine. Le médecin de famille, Lvov, dit à Ivanov que sa femme a besoin de repos mais il s’occupe peu d’elle et préfère fréquenter les Lebedev dont la fille, Sacha est folle amoureuse de lui. Anna arrive et les voit s’embrasser…
Au troisième acte, Lebedev exigera d’Ivanov qu’il rembourse ses dettes, et Lvov lui reproche la façon dont il traite Anna… Sacha, elle, reproche à Ivanov de ne plus aller la voir depuis que sa femme les a vus s’embrasser. Et Anna, dans une scène sublime, lui dit que leur mariage a été un jeu de dupes. Son mari lui avoue qu’il a été faible et soudain, très en colère, lui dit sans pitié qu’elle va bientôt mourir! Dernier acte: un an après, en effet Anna est morte. Ivanov et Sacha vont se marier. Lvov dit publiquement qu’Ivanov veut épouser Sacha pour sa dot, comme il l’avait déjà fait avec Anna. Certains prennent sa défense, mais sans doute incapable d’assumer son choix de vie, ce qu’il avoue à Sacha, il accepte finalement ce mariage mais, pour y échapper, il se tue.
Cette pièce formidable et qu’avait monté entre autres Luc Bondy et Alain Françon (voir Le Théâtre du Blog), est pourtant moins jouée qu’Oncle Vania, Les Trois Sœurs ou La Cerisaie. Christian Benedetti a fait plusieurs mises en scène -avec peu de moyens mais de façon souvent brillante- des comédies de Tchekhov dans son petit théâtre d’Alfortville et nous vous en avions rendu compte. Ici, il dispose d’un grand plateau mais cela frise la catastrophe…
La faute à quoi? D’abord à une scénographie mal conçue et hypertrophiée: «Un espace de répétition. Une scénographie allusive »(…) « Ici, un urbanisme de l’espace rempli de mémoire vive. (sic) « Un mur… un mur pour l’intégrale, un mur pour une œuvre, un mur sur lequel nous allons écrire et projeter nos rêves » (sic). Mais être scénographe, cela s’apprend et ces éléments de décor, que l’on déplace trop souvent, ne fonctionnent pas du tout! Au premier acte, donc, un grand mur gris, avec une banquette où sont assis les personnages; en haut, une petite fenêtre où on voit le visage d’Anna. Bon… Puis une rangée de chaises où tous, de nouveau, sont assis. Ce qui donne au début de la pièce, un côté très statique. Direction de jeu voisine du degré zéro : les acteurs boulent leur texte et on les entend difficilement. C’est donc mal parti.
Vincent Ozanon, pourtant bon acteur, semble ici perdu et n’est malheureusement pas très crédible en Ivanov. Christian Benedetti, lui, joue Borkine; affublé d’une perruque, qu’il piétinera ensuite (???). Il en fait des tonnes, semble s’amuser comme un petit fou (mais pas nous !) et fait de la pièce une sorte de farce, ce qu’elle n’est pas! Alix Riemer (Sacha) a aussi bien du mal à être crédible. Seuls, dans une distribution qui souffre cruellement d’un manque d’unité, Philippe Lebas (Chabelsky), Brigitte Barilley (Zinaïda) et Philippe Crubézy (Lebedev) réussissent à être convaincants…
Les comédiens changent eux-mêmes les éléments de décor montés sur roulettes à chaque nouvel acte, mais fausse bonne idée: même si ce n’est pas long, cela casse un rythme déjà cahotant. La dernière partie avec les scènes-culte avec Sacha et Ivanov, puis entre Anna et Ivanov, et enfin celle du mariage sont un peu moins mal traitées. Mais on est loin du compte.
Tout se passe comme si Christian Benedetti semblait peu à l’aise sur ce grand plateau. Alors qu’il maîtrise bien mieux les choses dans son ancien entrepôt de vins aux poutres en bois à Alfortville. Et où on entre facilement dans l’intimité des personnages. Mais ici, rien à faire, ils sont et restent loin de nous. Et en éclairant parfois la salle ou en envoyant à vue un jet de fumigènes (sans doute pour rappeler qu’on est bien sur une scène!), Christian Benedetti croit sans doute être original mais il aurait pu nous épargner ce vieux truc du théâtre contemporain usé jusqu’à la corde.
Bref, une soirée perdue. Au moins, nous redécouvrons -quand on réussit à entendre les comédiens! – la première version de ce texte (1887), moins connue. Malgré quelques révisions pas toujours très heureuses du metteur en scène. Mais, pour le reste, vous pouvez vous abstenir. Dommage ! Ivanov mérite beaucoup mieux que cette réalisation prétentieuse et qui n’a rien de passionnant.
Philippe du Vignal
Théâtre de l’Athénée-Louis Jouvet, square de l’Opéra Louis Jouvet, 7 rue Boudreau, Paris (IX ème), jusqu’au 1er décembre.