Désobéir, texte, conception et mise en scène de Julie Bérès
Désobéir, collecte de témoignages et texte de Julie Bérès et Kevin Keiss, avec la participation d’Alice Zeniter, conception et mise en scène de Julie Bérès
Rencontrer de jeunes femmes d’Aubervilliers dans la banlieue parisienne et issues des première, deuxième et troisième générations d‘émigrés: une mission que s’est donnée la metteuse en scène qui se pose la question de la reconnaissance, mais aussi de la naissance de soi. Pour ce spectacle créé en 2017 au Théâtre de la Commune d’Aubervilliers, Julie Bérès s’est mise à l’écoute des souvenirs de ces jeunes filles trop souvent absentes des scènes. Car vues à l’extérieur selon les normes occidentales mais aussi dans leur famille comme porteuses d’un héritage socio-culturel et religieux.
Ces jeunes femmes souffrent d’abord d’un cadre familial traditionnel. Bâillonnées symboliquement, et interdites d’être à soi, elles subissent une double peine : racisme et machisme, avec assignation à résidence. Désobéir revient donc à ne se se laisser happer dans des engrenages décisifs. Un plateau de théâtre devient alors pour chacune d’elles un espace de parole libérée et d’expression de soi authentique, une possibilité de parler vrai avec le public et avec soi, une manière de danse et de course ludiques. Avec interpellations, adresses aux spectateurs et à la vie en général…
La scène entre Arnolphe (elles demandent à un spectateur de lire un extrait de L’Ecole des femmes), et Agnès représentée par les quatre jeunes femmes jouant le personnage seules ou en chœur, est tout à fait savoureuse. Elles se moquent et tournent en ridicule le discoureur, puis, suivies par toutes les femmes du monde, agressent verbalement les hommes abuseurs, forts de leur puissance ancestrale illégitime. Et elles en arrivent même à faire des trous dans le mur au lointain. Une jeune fille s’avance voilée sur le plateau ; sourire aux lèvres et peine au cœur, elle évoque la découverte de l’Islam, la trahison amoureuse et le poids des héritages. Le cours d’histoire-géographie lasse la collégienne car les cartes étudiées, dit-elle, sont celles de Blancs, avec mer en bleu et continents où les bébés ont le ventre ballonné. La révolte couve et elle se réfugie sur son mur Facebook où elle fait la connaissance de son premier amour, un homme de foi qui la convertit puis qui la trompe. Retour à soi et à la maison, la jeune femme éprouvée garde l’Islam mais transcende le mensonge subi.
Une autre raconte sa passion pour la danse, hors des attentes familiales, en se battant contre les préjugés quand les parents n’accordent pas si aisément l’émancipation aux jeunes filles! Grâce à cette sorte d’école de formation bien menée et finalement gagnée, elle aura trouvé sa raison de vivre. Une troisième raconte les souffrances qu’elle a subies dans une famille où le père et les frères menaient la danse, avec à la clé, des séries d’interdits imposés à la mère et à la fille. Quant à la quatrième jeune femme, de famille évangéliste, il lui a fallu supporter les lubies d’un père qui, incroyant, est subitement passé à une religion qu’il veut imposer à tous. Mère en pleurs entre la fille et son père qui assiste au désenvoûtement de la fille que le diable est certainement venu visiter, comme le pensent les parents. Gouaille, joutes verbales, spontanéité de la gestuelle, danses et courses effrénées (chorégraphie de Jessica Nolta): les interprètes s’amusent, ivres de s’être trouvées et d’avoir miraculeusement réalisé ce mystère existentiel Lou-Adriana Bouziouane, Charmine Fariborzi, Hatice Ozer, et Séphora Pondilles se sont en effet battues pour exister… Elles enchantent le public par leur tonicité.
Véronique Hotte
Théâtre de la Cité internationale, 17 boulevard Jourdan, Paris XIV ème, jusqu’au 8 décembre. T. : 01 43 13 50 50