J’ai bien fait ? texte et mise en scène de Pauline Sales

 

J’ai bien fait ? texte et mise en scène de Pauline Sales

Tristan Jeanne-Vallès

Tristan Jeanne-Vallès

Oui, Pauline Sales a bien fait d’interroger notre société à travers Valentine, une enseignante modèle aux prises avec son métier, son couple et ses enfants, un frère artiste, et des parents vieillissants. Et bien d’autres questions traitées ici avec humour et profondeur. Son écriture, aux aguets du monde tente « d’attraper quelque chose de notre temps.» «J’ai essayé, dit-elle, de partir d’un sentiment diffus que je pouvais ressentir aussi bien dans des rencontres de tous les jours, dans les lieux publics  où on laisse l’oreille ouverte, dans les journaux, à la radio … »

Valentine, venue de Normandie, fait donc irruption chez son frère, dans un appartement envahi par une installation artistique en cours. Désemparée, submergée par la complexité du monde, elle a abandonné ses élèves lors d’une sortie scolaire à Paris. On apprendra pourquoi à la fin du spectacle. Elle s’interroge : comment agir aujourd’hui face la crise économique et morale de notre société? En écho à ses doutes, on entend son frère, devenu à quarante ans, un artiste qui prend de l’âge, et donc  bouté hors du système mercantile de l’art contemporain. Puis Manhattan, une ancienne élève surdouée mais en rupture de ban cherchant sa voix dans une attitude zen et son mari généticien un peu allumé qui nous délivre une conférence sur l’ADN*. Selon lui, l’homme moderne ( venu d’Afrique) a rencontré l’homme de Néanderthal, il y a deux mille ans et que nous sommes issus de ce mélange, portant à peu près 2,5 % des gènes de cette lignée disparue : « A mesure que nous voyageons dans l’espace et le temps, nous découvrons que les rameaux qui nous ont donné naissance se sont séparés, éloignés les uns  des autres(…) , se bouturant, fusionnant avant de se séparer à nouveau, et peut-être de se rejoindre encore, plus tard, ailleurs »…. Arguments imparables contre le racisme…

J’ai bien fait ?, outre la voix  des quatre protagonistes, interprétés avec justesse et distance par les  comédiens, fait aussi entendre celle des jeunes générations. Valentine nous rapporte le désarroi de ses élèves, et  la colère à fleur de peau de sa propre fille au soir des attentats du 13 novembre 2015 :  « «Elle m’a hurlé dessus : Moi, je risque de me faire tirer dessus à ma première bière ? Alors que je n’ai rien vécu de ce qui vaut la peine ? (…) Ils n’auraient pas pu choisir des vieux? Ils n’auraient pas pu vous choisir ? Vous avez eu de la chance. Vous avez eu beaucoup trop de chance, ta génération(… ). Vous n’avez connu aucune guerre. Vous avez vécu tranquilles …» J’ai bien fait ?  C’est le doute de Pauline Sales : «Et moi je ferais quoi, ça me ramène à quoi ?… un théâtre comme un outil immédiat de confrontation à soi-même» . Mais elle sait aussi nous faire rire de ça.

On ne peut rester insensible à ces préoccupations qui constituent l’ADN du XXI ème  siècle et que l’autrice partage avec un quatuor d’acteurs hors pair. Sa seconde mise en scène, après En Travaux est une réussite. Une heure quarante de plaisir théâtral. Ne perdons pas de vue Pauline Sales: en janvier prochain, elle  commence une résidence de six mois au Théâtre Gérard Philipe de Saint-Denis, pour écrire Quand tu es là, rien d’autre ne compte, un spectacle qui verra le jour en mai. Interprété  par la troupe éphémère dans une mise en scène de Jean Bellorini. Elle mettra en scène sa pièce jeune public Normalito, à l’invitation d’AM STRAM GRAM, théâtre pour l’enfance et la jeunesse, à Genève début 2020.

Mireille Davidovici

Jusqu’au 16 décembre, Théâtre de la Tempête, Cartoucherie de Vincennes, route de Champ de manœuvre.  T. : 01 43 28 36 36.

Le 8 janvier, Scènes du Jura, Dôle (Jura); le 11 janvier, Le Granit  à Belfort (Territoire de Belfort); le 15 janvier Théâtre Edwige Feuillère,Vesoul (Haute-Saône); le 18 janvier Quai des rêves, Lamballe (Côtes d’Armor);  22 janvier, Le Grand Logis, Bruz (Ile-et-Vilaine) ; le 24 janvier, Le Canal,  Redon  (Ile-et-Vilaine) ; le 29 janvier, Espace culturel Capellia, La Chapelle-sur-Erdre (Loire Atlantique). Le 5 février, Le Carré magique, Lanion (Côtes d’Armor) ; le 7 février, Centre culturel de Vitré (Ile-et-Vilaine) ; le 14 février, Scène nationale de l’Essone, Evry ; le 16 février, Maison du Théâtre et de la Danse, Epinay-sur-Seine (Seine-Saint-Denis); le 22 février ,Espace culturel Boris Vian, Les Ulis (Seine-Saint-Denis) . Le 7 mars, Théâtre du Cloître, Bellac (Haute-Vienne) ; du 12 au 14 mars, T.A.P.S., Strasbourg (Bas-Rhin); du 19 au 21 mars, le NEST-Centre Dramatique National transfrontalier de Thionville-Grand-Est (Moselle) ;le  22 mars, ACB-Scène nationale de Bar-le-Duc (Meuse); le 26 mars, Maison de la Culture de Nevers (Nièvre); les 28 et 29 mars, Théâtre  de Cesson-Sévigné (Ile-et-Vilaine) ; le 30 avril, Théâtre de l’Hôtel de Ville, Saint-Barthélemy-d’Anjou (Maine-et-Loire). Les 23 et 24 mai, Comédie de l’Est-Centre Dramatique National de Colmar (Haut-Rhin).

 

*Le texte de la conférence est tiré d’une intervention de Svante Pääbo, spécialiste de génétique évolutionniste , Les traces du Néanderthal qui est en nous,  à la conférence TED 2011. La pièce est publiée aux éditions des Solitaires Intempestifs


Archive pour 19 novembre, 2018

Giselle, chorégraphie de Dada Masilo, musique de Philip Miller

 

giselle

photo © Stella Olivier

Giselle, chorégraphie de Dada Masilo, musique de Philip Miller

 Après Swan Lake et Carmen, des spectacles salués partout, Dada Masilo adapte à nouveau un classique, Giselle, où elle danse le rôle-titre. Giselle et les Wilis avait été créée en 1841 à Paris sur un livret de Jules-Henri Vernoy de Saint-Georges et Théophile Gautier. Avec une chorégraphie de Jean Coralli et Jules Perrot modernisée par Marius Petipa en 1887; depuis, ce ballet a inspiré nombre d’artistes dont Mats Ek pour le Ballet Cullberg en 1982, qui l’avait dépouillé de son romantisme et a créé une version d’un réalisme noir.  

 La chorégraphe sud-africaine avoue aimer les belles histoires. Elle a conservé le poétique magique de l’argument originel mais l’a transformé à l’aune du féminisme. Giselle, une jeune paysanne séduite par un duc, Albrecht, dédaigne un garde-chasse, malgré les récriminations de sa mère, Hilarion. Quand son amoureux de duc la trahit pour épouser la princesse Bathilde, elle perd la raison et meurt. Elle rejoint alors les Wilis, ces fantômes de jeunes filles mortes de chagrin d’amour. Mais ici loin d’être des âmes en peine, elles réclament vengeance et ne pardonnent pas, comme dans le livret initial. Giselle se joint au cortège et, armée d’un fouet, tue l’infidèle. Juste revanche, au nom toutes les femmes bafouées !

 Dada Masilo nous transporte dans la campagne en Afrique du Sud, avec ses travaux des champs et ses cérémonies rituelles. En fond de scène, d’élégants dessins en noir et blanc de William Kentridge  évoquent un paysage de marais et de landes. Sur le plateau nu, douze danseurs aux costumes stylisés de David Hutt et Donker Nag Helder. Dans ce chœur de paysans, les  protagonistes changent d’habit à l’occasion. En Giselle, Dada Masilo, d’abord parmi les siens, comme eux ployant l’échine sous les travaux agrestes, s’élance avec grâce pour un duo amoureux avec Albrecht (Xola Willie). A l’acte II, la cohorte des Wilis, vêtues de rouge par Songezo Mcilizeli et Nonofo Olekeng, se déploie, tribu redoutable d’hommes et de femmes, sous les ordres de Myrtha, leur reine, devenue ici un féroce sorcier africain, brillamment incarné par Llewellyn Mnguni. La puissance des mouvements traduit une colère profonde.

 Soutenue depuis ses débuts par la Dance Factory de Johannesburg dirigée par Suzette Le Sueur, cette chorégraphe et interprète exceptionnelle invente, à partir de sa formation classique, une  grammaire gestuelle qui emprunte à la fois à la danse contemporaine et à celle de son ethnie, les Tswana. La musique de son compatriote Philip Miller s’inspire librement de la partition d’Adolphe Adam mais il a ajouté harpe classique, violoncelle, violon, voix et des percussions africaines qui rythment les déplacements du chœur et dopent ce ballet effervescent.

Les interprètes, de haut niveau, conjuguent habilement tous les styles de danse, avec des mouvements d’ensemble rigoureux et fluides. La liberté des corps sculptée dans des postures stylisées et leur gestuelle altière soulignée par la mobilité des bustes et des dos, font de cette pièce un spectacle éblouissant… Créé en 2017 à Oslo, Giselle a été programmé à la Maison de la Danse de Lyon. Une artiste à découvrir et un événement à ne pas manquer.

 Mireille Davidovici

 Spectacle vu à Bonlieu-Scène nationale d’Annecy, le 13 novembre.
Les 21 et 22 novembre, la Rampe à Échirolles (Isère).
Du 13 au15 décembre, Pavillon Noir, à Aix-en-Provence; du 18 au 21 décembre, Grande Halle de la Villette, Paris XIX ème.
Du 27 au 29 mars, Comédie de Valence (Drôme).

L’Échange de Paul Claudel, mise en scène de Christian Schiaretti

 

L’Échange de Paul Claudel, mise en scène de Christian Schiaretti

l'échange

photo Rémi Blasquez

 Ici, un plateau nu, marbré de traînées rouges. Fanny Gamet a imaginé une plage et, au loin, les grands espaces du continent américain. En ouverture, un déluge de sable tombe des cintres, provoquant une brume de poussière derrière laquelle apparaît Marthe. Les lumières de Julia Grand s’infléchiront de l’aube à la nuit où d’étranges lumignons trouent une obscurité peuplée de forces occultes. Marthe, une jeune Française a suivi Louis Laine, un Indien métisse mais leur couple bat de l’aile : Louis, tel un oiseau ou un animal sauvage, aspire à la liberté : «C’est assez que d’aujourd’hui pour moi. (…) Je vole dans l’air comme un busard, comme Jean-le-blanc qui plane ! » Son épouse, simple et soumise, veut juste le servir et l’entourer de son amour : « Je ne te vois pas, mais je te tiens tant que je peux; ah ! je l’ai bien compris tout de suite qu’il le fallait que je te tienne tant que je peux, mon petit gars, tant pis pour toi, si tu me lâches! » Louis et Marthe  gardent un domaine dont les propriétaires: un riche homme d’affaires, Thomas Pollock Nageoire et Lechy Elbernon, une actrice délurée qui confond la vie et le théâtre, vont détruire ce couple précaire: Louis cèdera aux avances de Lechy Elbernon et Thomas Pollock, pour qui tout se négocie, achètera Marthe à son mari pour une poignée de dollars. Cet échange tourne à la tragédie:  Louis s’enfuit mais sans Marthe et Lechy Elbernon le fait assassiner par vengeance, et incendie la maison de Thomas Pollock. En bonne chrétienne, Marthe, la magnanime, pardonnera à l’homme ainsi ruiné, tout en s’installant dans un statut de veuve pieuse. Le dramaturge qui situe son action dans une propriété sur la côte Est des Etats-Unis en 1890, évoque les réalités concrètes d’un pays qu’il découvre: son histoire, son folklore indien et sa situation socio-économique… Mais au-delà, gronde l’Océan et chuchote la Nature.

On pense à un drame bourgeois mais au fond, cet échange se situe sur un tout autre plan que le pur commerce des corps, même s’il est question d’argent et de désir. «La foi et la poésie peuvent-elles s’acheter, devenir propriété, ou plus pervers, peuvent-elles se vendre ?» dit le metteur en scène: «Le couple américain avance vers son miroir inversé: un couple en fuite, les âmes inspirées, la foi chrétienne et la force libertaire d’un sang mêlé. Mais la dépense de l’interprétation doit être, impérativement, l’objet même de la représentation. » Et l’intérêt de la pièce réside moins  pour lui dans cet affrontement entre matérialisme et spiritualisme, que dans ce défi écrit dans une langue inouïe et fascinante. Il faut bien ça pour apprécier cet Échange, malgré une idéologie de cul-béni, un antisémitisme larvé (Thomas Pollok est juif) et une représentation très réactionnaire de la femme à l’instar de ses contemporains. On ne peut s’empêcher, en voyant Marthe, de penser à Camille Claudel, la sœur sacrifiée du poète et diplomate…

 Cette prose musicale et imagée, fort bien orchestrée par Christian Schiaretti, se décline sans temps morts, en une suite de duos, trios et quatuors avec, en point d’orgue, le superbe monologue de Marthe qui ouvre l’acte III. Francine Bergé  n’a plus l’âge du rôle mais, magnifique en diva vieillissante, incarne l’Actrice-même. Sorcière, figure du destin, elle revêtira, à l’issue de ses crimes, l’aspect de la Mort, avant de s’écrouler, ivre… Mais elle est moins crédible en séductrice et amante. Face à elle, Louise Chevillotte campe une Marthe, solide et terrienne mais un peu terne et mal à l’aise avec le texte, surtout au début. Robin Renucci tient sobrement le rôle de Thomas Pollock Nageoire et donne un fond d’humanité à ce chantre de la puissance marchande dérégulée, apôtre militant du dieu Dollar. Marc Zinga, au mieux de son talent en Lumumba dans Une Saison au Congo, et dans le personnage principal de La Tragédie du roi Christophe d’Aimé Césaire, qu’avait montés Christian Schiaretti, est moins en phase avec Louis Laine, un personnage difficile à cerner, mu par des forces contradictoires : manipulable et manipulé, mais fondamentalement libre, comme les animaux qui hantent le folklore de ses ancêtres et les légendes qui fondent sa poésie.

Malgré un travail précis sur la métrique et une direction au cordeau d’acteurs qui jouent sans micro, malgré une réelle maîtrise du rythme et de l’espace, et une analyse intelligente de la symbolique claudélienne, il y a un certain déséquilibre, en partie à cause d’une distribution inégale. Il y a des moments où on est transporté par le texte mais d’autres où il tombe à plat, même si le talent des comédiens n’est pas en cause. Mais une réelle tension dramatique s’installe dans le jeu pervers du chat et de la souris entre ces Américains matérialistes et cyniques et ces jeunes gens exaltés: l’une portée par sa foi chrétienne et l’autre par les forces sauvages de sa terre natale. De ce marché de dupes, les personnages sortent vaincus, sauf Marthe : pour elle, «il n’y a que la foi qui sauve»… Les amoureux de Paul Claudel trouveront leur compte dans cette mise en scène.

 Mireille Davidovici

Jusqu’au 1er décembre, Les Gémeaux, 49 avenue Georges Clémenceau, Sceaux (Hauts-de-Seine) T. : 01 46 61 35 67.
Du 6 au 23 décembre, Théâtre National Populaire, Villeurbanne (Rhône).
Du 15 au 18 janvier, La Coursive à La Rochelle (Charente-Maritime); du 23 au 25 janvier, Comédie de Picardie,  Amiens (Somme).
Du 12 au 23 mars, Comédie de Valence (Drôme).
Du 2 au 4 avril, Comédie de Saint-Etienne (Loire).

 

 

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