La Petite Sirène, d’après Hans-Christian Andersen, adaptation et mise en scène de Géraldine Martineau
La petite Sirène, d’après Hans-Christian Andersen, adaptation et mise en scène de Géraldine Martineau
Surmonter la réalité et s’exposer à avoir les jambes coupées: dure nécessité, même si on est une jolie petite sirène que le confort familial de la vie ne satisfait pas. Confrontée à la peur des adultes, à l’éveil du sentiment amoureux et à la violence du monde, la petite Sirène s’émancipe dans une danse instinctive qui subjugue les humains, éblouis par cette ode à la différence.
Capable d’abandonner sa queue de sirène mais encore sa sœur, sa grand-mère et la mer : une part de soi inaccomplie, la jeune fille prouve aussi qu’elle peut se transformer pour rencontrer autrui. Risquant sa vie si elle n’épouse pas le Prince charmant qu’elle a sauvé et dont elle est tombée amoureuse. Elle aimerait découvrir le monde avec lui et a donc joué son va-tout, perdant à la fois sa queue et sa voix qui enchante les hommes. Mais on lui volera son le bonheur à cause de quiproquos et d’une mauvaise lecture de la réalité par des menteurs. La Petite Sirène renoncera à tuer l’aimé, un crime qui l’aurait maintenue en vie, témoignant ainsi d’une bonté et d’une humanité qui lui accordent le statut de Fille de l’air, belle étoile reconnue et autorisée à découvrir la poésie du monde, de cœur à cœur: «Nous soufflons un vent frais sur les enfants fiévreux. Nous réchauffons les cœurs gelés par les grands froids et enveloppons les corps en manque de douceur. »
Géraldine Martineau analyse le conte d’Andersen comme un chemin initiatique à dimension universelle et intergénérationnelle : l’affirmation de soi passant par un changement pour plaire et être accepté par l’autre. «La petite sirène, dit la metteuse en scène, vit ses désirs sans céder aux peurs dans le respect bienveillant de soi et des autres et j’ai adapté fidèlement le conte, avec la poésie et la douce musique d’alexandrins libres et non rimés.» Mais la metteuse en scène ne pouvait faire l’impasse sur les problèmes écologiques actuels et sur la survie des migrants qui fuient l’horreur. Quand on évoque les fonds marins, résonnent les urgences de notre temps, comme la pollution des océans, et avec les bateaux errant sur les mers, la difficulté à accueillir l’étranger émigré, l’Autre. Ici, les jeunes gens incitent leurs parents à ne pas se résigner : le père du Prince (remarquable Jérôme Pouly), un pêcheur enjoué, bon enfant mais mélancolique, est poussé par son fils à regarder plus loin et à s’ouvrir aux autres. Humour et beauté mais aussi désenchantement : ce conte cruel diffuse sa magie.
Salma Bordes a suggéré les fonds marins avec des couleurs bleues et froides que des cordes dorées éclairent, à la manière de Gustav Klimt. La Petite Sirène et sa sœur sont suspendues sur des balançoires, comme si elles baignaient dans l’eau. Et le monde des humains est, lui, représenté par le jardin du palais du Prince: une terrasse en bois de maison contemporaine avec des arbres en pot aux feuilles vertes rassurantes. Et le père du Prince parle de recettes de poisson qui donnent l’eau à la bouche!
La Petite Sirène vit sa métamorphose à vue dans une belle chorégraphie de Sonia Duchêne, mêlant danse classique et hip-hop, sur la musique au piano et au synthé de Simon Dalmais. La voix chantée de Judith Chemla sert de fil d’or, écho d’une voix intérieure. La merveilleuse Petite Sirène est interprétée par Adeline d’Hermy, vivante et désirante, à la voix sucrée, qui s’abandonne à la féérie de son rôle. Sa jolie sœur (Claire de la Rüe du Can) est tout aussi facétieuse. Danièle Lebrun, grand-mère généreuse, coupe sa chevelure pour sauver son petit «plancton». Et Julien Frison est un beau Prince charmant. Un voyage bienfaisant dans l’imaginaire doré d’un conte qui nous fascine encore tous…
Véronique Hotte
Studio-Théâtre de la Comédie-Française, 99 rue de Rivoli, Paris Ier, jusqu’au 6 janvier. T. : 01 44 58 15 15.