Il y aura la jeunesse d’aimer, mise en scène de Didier Bezace

 

Il y aura la jeunesse d’aimer, lecture-spectacle de textes de Louis Aragon et Elsa Triolet, mise en scène de Didier Bezace

XVMf1da8b4c-e9af-11e8-9d7f-b1be9502c5c0Ce beau titre? Quelques mots d’un poème de Louis Aragon (1897-1982) qui était aussi romancier, journaliste et directeur de l’hebdomadaire Les Lettres Françaises, issu de la Résistance. Avec André Breton, Tristan Tzara, Paul Eluard, Philippe Soupault… Aragon fut un des protagonistes du surréalisme avec lequel il rompt en 1931. Il adhèrera au Parti Communiste et approuvera sans état d’âme «une tâche historique d’une grandeur sans précédent: la rééducation de l’homme par l’homme», donc l’existence de camps et, complètement aveuglé, l’écrivain glorifiera Staline! Et approuvera le réalisme socialiste.

Mais il est surtout et plus heureusement, connu pour son œuvre poétique et romanesque. Marié à l’écrivaine Elsa Triolet, belle-sœur de Maïakowski (1896-1970) qui le séduit en 1928,  il formera avec elle, un des couples littéraires mythiques. Et dès 1941, elle sera sa grande inspiratrice, notamment avec Les Yeux d’Elsa, Cantique à Elsa (1941), Les Yeux et la mémoire (1954), Elsa (1959) et Le Fou d’Elsa (1964). Louis Aragon, on l’oublie parfois; aura aussi lutté avec ses amis Robert Desnos, Paul Eluard, Pierre Seghers… dans la Résistance. Après la mort d’Elsa, il s’affichera, beaux cheveux blancs au vent et toujours très élégant, avec de jeunes hommes, et nous le croisions souvent au théâtre.

Ses poèmes ont souvent été adaptés en chansons par Georges Brassens, le célèbre Il n’y a pas d’amour heureux, puis par Léo Ferré, Yves Montand, Jean Ferrat… et par Joseph Kosma avec un poème en hommage à Gabriel Péri, La Ballade de celui qui chanta dans les supplices. Didier Bezace nous convoque à cette lecture-spectacle de textes d’Aragon qu’il a choisis avec Bernard Vasseur. Accompagné ici par Ariane Ascaride: «Le fil de l’amour, les contradictions du couple, l’irrémédiable chagrin d’une mortelle séparation sont le tissu vivant des poèmes qu’Ariane et moi, nous nous efforçons d’adresser au cœur et à la mémoire des spectateurs. » Soit… Sur le petit plateau, seulement de hauts sièges réglables noirs et des micros-perche. Avec un beau fond de scène de lumière bleutée mais sous un faible éclairage: même au milieu de la petite salle rouge du Lucernaire, on peine à voir le visage des comédiens.

Cela commence par des poèmes de lui et d’elle, puis continue avec de très longs extraits d’œuvres romanesques d’Aragon comme surtout Aurélien ou Servitude et Grandeur des Français, La Mise à mort… Puis surtout des poèmes extraits du Fou d’Elsa et une belle lettre d’elle, Il n’est pas facile de te parler, retrouvée après la mort d’Aragon. Et cela donne quoi? Pas du très fameux, et c’est un euphémisme! Ariane Ascaride en robe noire et Didier Bezace en costume noir très strict, assis sans guère bouger derrière leurs micros, lisent (ou font parfois semblant) les feuillets posés sur leurs pupitres noirs ! Toujours face public, ils se regardent rarement. Ariane Ascaride a une belle présence mais est un peu écrasée par son partenaire qui a tendance à s’écouter parler.

Spectacle? Non, sauf à de rares moments comme dans ce récit d’une descente de police où naît enfin un dialogue vivant. Lecture? Pas non plus… Et cette chose hybride, plus que longuette, même aérée par quelques phrases musicales au piano, distille vite un véritable ennui. Aucun jeune dans le public, qui, en majorité assez âgé, semble pourtant apprécier. Pas nous. La faute à quoi? Surtout à une dramaturgie et à une direction d’acteurs indigentes (vieille règle théâtrale: on est rarement bien servi par soi-même quand on est aussi le protagoniste d’un spectacle). Le metteur en scène inventif et directeur du Théâtre de l’Aquarium avec Jacques Nichet, puis du Théâtre de la Commune à Aubervilliers, nous a semblé bien loin! Pourquoi avoir privilégié  ce côté très statique, pourquoi ces micros (la manie actuelle!) qui donne de beaux graves mais uniformise les voix, pourquoi cet éclairage parcimonieux jusqu’au bout comme pour créer une intimité? Du coup, l’ensemble paraît figé, presque momifié, et on ne ressent guère d’émotion, sauf à la fin avec, entre autres, le célèbre Il n’y a pas d’amour heureux, et surtout grâce à Ariane Ascaride! Bref, ces textes d’Aragon méritaient mieux. Dommage !

Nous nous souvenons avec nostalgie du magnifique Catherine, un spectacle mis en scène par Antoine Vitez, d’après le roman d’Aragon Les Cloches de Bâle, au festival d’Avignon 1975, et on se dit qu’un collectif de jeunes comédiens, même un peu maladroits mais pleins d’énergie, auraient donné une vie réelle à des extraits de ses romans ou poèmes, ce qui manque cruellement ici. Enfin, si cela vous tente… mais il ne faut vraiment pas être difficile. Mieux vaut donc relire Aragon chez soi.

Philippe du Vignal

Théâtre du Lucernaire, 53 rue Notre-Dame des Champs, Paris VI ème. T. : 01 45 44 57 34.

 


Archive pour 22 novembre, 2018

Les Hérétiques de Mariette Navarro, mise en scène de François Rancillac

Les Hérétiques de Mariette Navarro, mise en scène de François Rancillac

 

 

   © Christophe Raynaud de Lage

© Christophe Raynaud de Lage

La laïcité reste une question brûlante, face à la montée du religieux vécue comme menaçante. Certains  veulent imposer leur vision religieuse à la société et d’autres brandissent contre eux  le fouet de la laïcité. Au nom de la liberté de croire ou non, on se met à interdire. Comment faire théâtre de ce malaise démocratique où nous sommes englués ? dit François Rancillac qui a confié à Mariette Navarro le soin de répondre. Dans Les Hérétiques, une femme (Stéphanie Schwatzbrod) sera le fil conducteur pour nous éclairer sur cet épineux problème. L’autrice la propulse au royaume des sorcières, personnages éminemment théâtraux: trois comme dans Macbeth… Leur monde s’avère aussi obscur que celui qu’elle a quitté. Une vierge lumineuse apparaît, apportant la contradiction mais n’aidera pas plus la visiteuse à faire le clarté.

 Quittant la ville où «chacun brandit sa foi et son appartenance», ces «longs hivers sans réverbères» malgré l’éclairage public, notre enquêtrice entre en résistance contre «ces temps mal éclairés». « On me parle d’Allah, de Jehovah, on voudrait me remettre sur le chemin de Dieu», dit-elle, en rejoignant la scène depuis la salle où elle était assise parmi les spectateurs. Des voix l’accueillent dans le noir et on distingue les pupitres et tableau noir d’une école troisième République, délabrée. Pour signifier que l’école laïque réalisée par Jules Ferry a du plomb dans l’aile? Les trois sorcières énumèrent les tourments qu’elles ont endurés au fil des âges: torture, exorcisme, autodafé, bourrage de crâne: «Pour notre éducation sexuelle, dit l’une, on nous parlait de visitation d’un ange. » A l’écart du monde, elles fomentent un coup de force.

Ces «pétroleuses», féministes avant la lettre, en costumes façon Femen -mais sans nudité provocatrice- vont se déchaîner contre la martyre, Blandine, apparition nimbée dans sa foi et moins prosélyte que ses sœurs noires. «Comment, dit François Rancillac, ces sorcières, qui ont subi les pires sévices, peuvent-elles, dans la pièce de Mariette Navarro, se révéler aussi intolérantes que leur bourreaux,  face à d’autres femmes qui s’écarteraient à leur tour «du droit chemin», en s’en prenant à mots couverts aux féministes radicales qui se revendiquent souvent de la Sorcière…

La symbolique de la lumière accompagne ce spectacle d’une heure cinquante: le metteur en scène joue sur des éclairages contrastés, avec feux et flammes orchestrés par le magicien Benoît Dattez qui recrée l’univers sulfureux des sorcières. L’imagerie chrétienne est portée par Sainte-Blandine qui surgit comme un éclair blanc, immaculée et voilée de bleu ciel. Andréa El Azan incarne une mystique mais rejettera son accoutrement emblématique pour celui d’une jeune fille d’aujourd’hui prônant la tolérance… L’une des sorcières (Lymia Vitte) se rendra à ses arguments et la rejoindra pour former avec la visiteuse un cercle plus amical. Cette fin, un peu convenue,  n’a pourtant rien d’un happy end…

François Rancillac manie avec intelligence les signes et métaphores que distille Mariette Navarro dans ce conte fantastique parfois trop bavard, trop explicite, malgré une écriture fluide et imagée. L’un comme l’autre se lancent dans un débat courageux et contradictoire qui n’a pas fini de nous  mobiliser. La question complexe mais essentielle de la laïcité, reste ouverte comme cette porte qui, en fond de scène, libèrera à la fin, un  jet de lumière, en montrant le chemin vers l’Hérésie véritable: un mot qui, à l’origine, renvoyait à la liberté de conscience…

Mireille Davidovici

Jusqu’au 9 décembre, Théâtre de l’Aquarium, Cartoucherie de Vincennes, route du Champ de manœuvre, Vincennes (Val-de-Marne). T. 01 43 74 99 61.  

Du 5 au 8 février,Théâtre Dijon-Bourgogne (Côte-d’Or); du 26 au 28 février, Comédie de Béthune (Pas-de-Calais).
Le 26 mars, Théâtre Jean Lurçat, Aubusson (Creuse) ; le 16 mars, Ferme du Bel-Ébat, Guyancourt (Yvelines).

La pièce est publiée aux éditions Quartett.

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