Un Clown à la mer, et Coloris Vitalis, de Catherine Lefeuvre, direction Jean Lambert-wild et Catherine Lefeuvre
Un Clown à la mer, Calenture n° 55 de l’Hypogée pour acteur, grand col bleu, pompon rouge et rêve de longue route et Coloris vitalis de Catherine Lefeuvre, direction Jean Lambert-wild et Catherine Lefeuvre
Calenture : ce mot –vieilli mais délicieux et ici bien choisi- signifie le délire chez certains marins qui traversent les zones tropicales et qui veulent alors se jeter à la mer. Quant à l’hypogée, il désignait dans l’Antiquité un tombeau. Jean Lambert-wild incarne ici un clown, Gramblanc d’abord allongé sur une méridienne recouverte de velours rouge et qui va devenir un bateau avec une voile unique et un gouvernail. On va assister à une sorte de voyage poétique dans l’océan et à la quête d’absolu d’un homme qui veut sauver son identité dans un univers de plus en plus hostile à l’humanité, alors qu’il est le premier coupable de sa dégradation.
Le personnage de clown a souvent fasciné sous une forme ou sous une autre, les gens de théâtre comme entre autres, les Russes du Licedei, Pierre Etaix, Sol, Emma le clown et… Jean Lambert-wild… Ce clown blanc, en costume de marin français revu et corrigé, semble être ici une sorte de double, à la fois comique et inquiet, de l’acteur et metteur en scène ; il aurait même, semble-t-il une certaine parenté avec le Richard III ou le Lucky d’En attendant Godot que Jean Lambert-wild a joué et mis en scène (voir Le Théâtre du Blog). «Le clown, dit-il, a souvent quelque chose de facile mais pas ici: je suis habillé pour Coloris Vitalis dans une sorte de grande robe bleue à rayures comme celles d’un pyjama, avec des petites baudruches rouges accrochées. Et Jean Meyrand, technicien du théâtre, vient par moments me retrouver avec un accessoire et des seaux d’eau qu’il me balance; il a une présence qui aide beaucoup à mon jeu sur scène et complète visuellement le travail sur le langage de Catherine… »
Ce tohu-bohu de mots comporte de belles trouvailles : «Mon corps est déjà parti en mer, il tangue et il danse, il danse, il danse ! Je mets les voiles. Je pars pour rêver encore, pour mourir peut-être, pour vivre intensément et faire pipi dans le Pacifique.» «Elle est comme ça, la mer, cruelle et sans état d’âme. Elle fait disparaître les êtres et les choses. Et on rêve ensuite à ces disparitions, comme si la mer était en nous.» Mais bon, quelle que soient les qualités d’écriture, ce court spectacle de cinquante minutes a quelque chose d’hybride entre une entrée de clown blanc et une petite pièce de théâtre. Il y a des moments très drôles quand le clown blanc descend dans la salle, et interroge des spectateurs au hasard : «Une fois dans la passe de nuit comme de jour, si le courant vous porte vers le public, demandez-lui de répondre aux questions suivantes : Question 1 – Voulez-vous sauver votre âme ? Question 2 – Tournez-vous parfois en rond ? Question 3 – Avez-vous toujours le compas dans l’œil ? Question 4 – Voulez-vous faire pipi dans le Pacifique ? »
Mais le spectacle manque encore sans doute d’une certaine maturité. Jean Lambert-wild a une belle présence mais a tendance à bouler un texte qui aurait besoin d’une grande précision pour être bien reçu. Et la salle de l’Union, pas très chaleureuse et trop grande pour ce genre d’exercice, ne facilite guère les choses. Il faudrait revoir ce Clown à la mer dans de meilleures conditions et quand il aura un peu mûri après ces deux représentations exceptionnelles qui tiennent encore du coup d’essai.
Après un entracte où on a pu voir un délicieux intermède de dix minutes par les jeunes élèves d’Outre-Mer de la classe préparatoire au sein de l’Académie de l’Union (voir article précédent dans Le Théâtre du Blog). Quelques chants en solo, des danses en groupe : bienvenu et très tonique, ce petit coup de fraîcheur…
Ensuite, retour dans la salle pour assister à Coloris Vitalis où, debout sur un tout petit praticable, Jean Lambert-wild a la grande élégance des clowns blancs dans une grande robe reprenant rayures et motifs de son pyjama du Clown à la mer. Il se lance dans un long (trop long !) monologue qui n’a sans doute pas les qualités du premier. Malgré de réelles trouvailles sémantiques et on pense aux poèmes de Ghérasim Luca. «C’est un rai, un pet, un fait, à vouloir trop tirer sur la corde, un pet, à remettre toujours tout à demain, un pet, à lancer des «au diable, la varice » et des «promis j’arrête» de pacotilles, un pet ! Je pète en ligne droite, je ne dévie jamais, malgré les courbes, et puis voilà, paf dans le mur, paf le Clown, paf, paf, paf. » (…) « Ah! Mon ami, j’avoue que parfois, avec toutes ces actions bigarrées et guerrières, mes viscères virent au rouge sans prévenir. Ça se diffuse comme une onde de chaleur, là, sous la robe. Et sous mon teint blanc aussi, ça chauffe, ça chauffe comme un soleil d’été. »
Il y a une certaine contradiction dans ce personnage à la fois drôle et pathétique qui semble coincé sur son cube. L’image est de toute beauté -et le metteur en scène l’a d’ailleurs reprise pour l’affiche- mais cette scénographie trop statique fige le jeu de ce clown. Par ailleurs, cette présentation en une fois de ces deux monologues permettait de les voir en même temps, mais cela fait une soirée bien longue et on reste donc un peu sur sa faim… D’autant plus que ce dernier solo est lui aussi encore trop brut de décoffrage et il y faudrait une diction plus ciselée. Donc un travail en cours et à suivre…
Philippe du Vignal
Spectacles créés le 15 novembre, Théâtre de l’Union, Centre Dramatique National, 20 rue des Coopérateurs, Limoges (Haute-Vienne). T. : 05 55 79 90 00.
Le texte sera édité en 2018 aux Solitaires intempestifs.