Exécuteur 14 d’Adel Hakim, un projet d’Antoine Basler
Exécuteur 14 d’Adel Hakim, un projet d’Antoine Basler
»La guerre est là», écrivait Adel Hakim, le directeur du Théâtre des Quartiers d’Ivry disparu l’an passé, en exergue à Exécuteur 14, une pièce qu’il avait mise en espace à Théâtre Ouvert en 1990, puis créée l’année suivante au Théâtre Gérard Philipe de Saint-Denis avec Jean-Quentin Châtelain: un spectacle devenu mythique. La guerre en effet ne cesse d’être là, les générations passent, mais nous sommes les enfants de tous les génocides : «Un appel de mobilisation et aussitôt la Nation -presque comme un seul homme- met les bottes, prend les fusils, enfile le dossard des Croisés, et part ratatiner le Satan basané… « On n’évite pas la guerre. Alors, au moins, essayer de la dire, de la comprendre, de la penser. L’explorer, suivre les logiques, les replis, les sentiments. Ces sentiments en nous, latents. En temps de paix… Temps de paix ? Militaire, il faut dire… Parce que la guerre est permanente, économique, sociale, sportive, culturelle, sexuelle, individuelle… »
Antoine Basler s’empare aujourd’hui de ce texte incandescent selon son esprit originel, que ce soit avec l’évocation de la guerre du Liban ou de n’importe quelle autre! Il suffit malheureusement de choisir à l’aveugle un point sur la carte pour trouver une zone de conflits. Ce qui intéresse l’interprète de ce monologue à la fois brut, si étrange et si juste: pénétrer avec équité dans le «mental du guerrier».
Avant de s’éteindre, le dernier survivant d’une guerre civile la revit. Et il y a de lourdes menaces et des tensions confessionnelles entre les Alamites et les Zélites, le locuteur appartenant aux premiers. Un jour , la guerre se déclenche, avec exécutions arbitraires, meurtres, etc. Le discoureur, fidèle à son camp, évite les tirs, puis prend les armes et tente ici de reprendre le fil des événements mais échoue sans cesse. Il recèle, malgré lui, un héritage symbolique qui pèse lourdement sur le corps et la conscience. Ainsi, les dérèglements structurels s’installent peu à peu en lui, quand il rentre dznsa sa maison sous le feu, et que sifflent les balles, ou explosent les bombes. Et il perdra à jamais la part de rêve qu’il portait. Fanatismes et haine instinctive sont source de déflagrations intimes accompagnées de peurs, douleurs et colères. Et surgit, à point nommé, la croyance en un dieu vengeur qui fait des victimes et des bourreaux. « Le Grand Conciliateur. Il est masculin et c’est une Vierge éternelle. Sur lui sont la terre et le ciel plein d’étoiles…Un dieu de souffrances. Alors, tu dois le protéger. » La religion, vouée en principe à réunir les hommes, en est arrivée à cautionner des luttes sanglantes. Et guerres et/ou violences terroristes installées sur une partie de la planète font spectacle pour les autres pays.
L’acteur incarne ce personnage avec un bel engagement et prend appui à la fois sur une éthique et une esthétique: il fait de ce guerrier, un homme à la fois redoutable et humain qui assume le pouvoir et les valeurs militaires. Cette réalité hors du feu, du sang, de la désolation et de la mort, devient ivresse. Dieu, homme libre, esclave, le comédien se faufile entre toutes ces identités qui, finalement, aliènent son personnage en l’enfermant davantage plus loin de lui, toujours : «Ta mémoire se perd, oublie ce qui suit, ce qui ne peut être décrit. Sinon, il faut tout revivre. Tu préfères oublier. C’est plus cool et les larmes étouffent ta gorge. » Dès les premiers mots, le public est happé par ce voyage sous tension et au bout de la nuit; on en revient pourtant, acquis à cette remarquable performance…
Véronique Hotte
Manufacture des Œillets-Théâtre des Quartiers d’Ivry, Centre Dramatique National du Val-de-Marne, jusqu’au 2 décembre. T : 01 43 90 11 11.
Le texte est publié aux Editions des Quatre-Vents.