J’ai des doutes, textes de Raymond Devos, mise en scène de François Morel

J’ai des doutes textes de Raymond Devos, mise en scène de François Morel

 

©Manuelle Toussaint

©Manuelle Toussaint

Le comédien, écrivain et chroniqueur radio nous fait visiter le répertoire de Raymond Devos (1922-2006) et revivre pendant une heure et demi, l’inimitable comique avec la complicité d’Antoine Sahler, auteur de la musique et qui l’accompagne sur scène, en alternance avec Romain Lemire.  Sans singer Raymond Devos qui était aussi mime et jongleur, et qui portait sur le monde un regard à la fois aigu et bienveillant, l’acteur restitue la saveur de son verbe, tout en jeux de mots et en calembours. «Sur scène, j’imagine la rencontre entre Dieu et Devos qui, l’un et l’autre, ont créé des univers… », dit François Morel, qui, tel un magicien, apparaît en ouverture dans un éclair céleste. Enchaînant les sketches, il ménage des plages chantées et quelques pauses poétiques où l’on entend la voix du clown philosophe, venue d’un autre siècle, dans l’émission Radioscopie de Jacques Chancel : une marionnette blanche, fantôme du grand comique, s’impose entre l’acteur et le musicien, formant avec eux un curieux trio.

 «J’ai des doutes, dit François Morel, est né à la demande de Jeanine Roze qui organise les Concerts du dimanche matin au Théâtre des Champs- Élysées, et qui voulait rendre hommage à Raymond Devos à l’occasion des dix ans de sa mort». Avec le titre d’un fameux texte où, jouant à la guitare un air espagnol, Raymond Devos soupçonne naïvement un ami de d’utiliser ses pantoufles, son pyjama, « Et pourquoi pas ma femme! » Cet art de la chute, on l’entend dans ce spectacle,  comme la logique, pas si absurde, d’une écriture économe en mots mais très forte.

Raymond Devos nous manque et nous prenons plaisir à le réentendre, incarné ici avec grâce et tendresse. Un exercice d’admiration réussi. «Ce qui me plaît chez lui, dit François Morel, c’est sa capacité à nous entraîner vers l’imaginaire, à ouvrir des portes, des fenêtres, à nous permettre de nous échapper de la réalité, du quotidien, de la tristesse. » Nous avons tous besoin de ces instants où l’absurde dit le monde, mieux que personne. 

 Mireille Davidovici

 Jusqu’au 6 janvier, Théâtre du Rond-Point, 2 bis avenue Franklin D. Roosevelt, Paris VIII ème. T. : 01 44 95 98 21.


Archive pour 6 décembre, 2018

Le Cid, dramaturgie et mise en scène de Gabriel Plante

© Hugo L. Lefort.

© Hugo L. Lefort.

Le Cid,  dramaturgie et mise en scène de Gabriel Plante

Une création en laboratoire à Ottawa… Les expériences de théâtre rituel  en Europe, aux États-Unis et en Grande Bretagne dans les années 60-70 ont mené très loin la création scénique. Rappelons le Marat-Sade de Peter Brook, Le Prince Constant de Jerzy Grotowski, les expériences du Living Théâtre créé par Judith Malina et Julian Beck, ou celles de Richard Schechner directeur du Performance Group à New York et dirigea la revue Drama Review. Le travail en laboratoire et le processus créatif dans le sillage des expériences psycho-physiologiques des anthropologues ont permis de véritables transformations du corps, quand les conventions du théâtre explosaient. Ce joyeux chaos a éliminé les frontières entre des pratiques artistiques considérées comme acquises.

Gabriel Plante, dramaturge montréalais, arrive à la Nouvelle Scène à Ottawa, avec un spectacle étonnant et turbulent dans l’esprit du théâtre d’avant-garde d’il y a cinquante ans déjà. Après un mois de travail en laboratoire avec une équipe de jeune comédiens de sa région: il est parti de l’œuvre de Corneille qu’il a transformé en rituel d’une violence troublante. Une recherche où il met en évidence des acteurs exposés à un choix de situations sélectionnées dans  Le Cid et où les personnages tragiques expriment ici l’expression d’une passion effrénée, brouillant toute communication linguistique habituelle. Structure classique ici abandonnée et narration réduite à peu de choses. Gaston Baty (1885-1952), grand metteur en scène du Cartel qu’il avait fondé avec Georges Pitoeff, Louis Jouvet et Charles Dullin avait écrit dans  Sire le Mot, un chapitre de son remarquable essai Le Masque et l’encensoir  (1926) que «le théâtre devrait opérer l’osmose des passions et fondre un nouvel ordre de réalités», en rejetant l’importance qu’avait pris le texte imposé par le théâtre du dix-septième siècle. Gabriel Plante a relancé le débat au Québec et a fait une incursion très osée dans le domaine de la tradition néo-classique. Il a projeté les personnages de Chimène, Don Rodrigue, l’Infante, Don Diègue, le Comte et le Roi.. dans les brumes d’un espace archaïque où avec un recours aux signes visuels, verbaux et sonores, se libère l’expression de pulsions et de forces animales inouïes.

Mais il est préférable de relire la célèbre pièce pour mieux cerner les relations entre personnages et ensuite on peut se laisser entraîner dans ce monde mystérieux et glauque où des portes surgissent et disparaissent, où certains coins sont à peine éclairées par un spot oblique, et où un espace central avec micros et de sièges semble destiné à un orchestre. Des émotions intenses saisissent ces figures qui s’enlacent, se touchent ou se roulent par terre Avec force hurlements, cris insoutenables, respirations profondes d’êtres vivants en train d’agoniser.. ou de faire l’amour, en proie à l’orgasme.

Au début, on aperçoit le silhouette d’une femme, la tête penchée sur l’épaule d’un homme, et une voix répète doucement les noms de chacun des amants. Peu à peu, des appels suffoqués d’émotion à Chimène, Don Rodrigue, cèdent à des sonorités évoquant la jalousie et  la passion de l’Infante. Dans un espace brumeux qui cache les identités. La femme hurlante se projette contre les amants, les corps se mêlent et disparaissent dans l’ombre. Le jeune Rodrigue et le père de Chimène, Don Gomès, se rencontrent mais la confrontation uniquement vocale entre les deux guerriers rugissant comme des ours enragés, annonce un combat mortel… Puis le Roi, le regard caché par des lunettes de soleil, apparait en véritable chef de tribu dont la carrure et la présence de femmes sensuelles accrochées à lui, suggèrent sa toute puissance. Le metteur en scène brosse ici le tableau d’une communauté d’hommes et femmes, submergés par une mer de passions qui les ramènent vers les origines pulsionnelles et pré-linguistiques de la civilisation.

Nous sommes plongés dans un monde pas facile à déchiffrer et un résumé de la pièce et l’indication des scènes sélectionnées pour le travail en atelier auraient pu figurer dans le programme pour mieux orienter le public perturbé par cette expérience étonnante, mais qui est, malgré tout et jusqu’à la fin, resté très attentif.

Alvina Ruprecht

 Spectacle vu le 29 novembre, à la Nouvelle scène, Ottawa (Canada).

Les Terrains vagues, d’après Raiponce des frères Grimm, texte et mise en scène de Pauline Haudepin

Les Terrains vagues, d’après Raiponce des frères Grimm, texte et mise en scène de Pauline Haudepin

©Jean-Louis Fernandez

©Jean-Louis Fernandez

Un conte populaire pour enfants, empreint de mélancolie et où le bonheur n’arrive jamais pour bien longtemps, comme dans Raiponce. Pauline Haudepin est issue du groupe 43 de l’Ecole du Théâtre National de Strasbourg, comme ses comédiens, scénographes, costumiers et régisseurs. Ici, l’espace scénique est parcellaire : tour, laboratoire, décharge, à l’image d’un texte fragmentaire et elliptique et de personnages refermés sur eux-mêmes. L’imaginaire des Terrains vagues répond à une vision de l’homme déchu, seul et en errance. Consolé par des hallucinogènes lui donnant accès à un bonheur illusoire.

Dans ce lieu dévasté: détritus, pierres de construction en vrac : la ville idéale est loin. La princesse (Marianne Deshayes), poupée fébrile et gesticulante en courte robe blanche, vit dans une tour de contes de fées, une geôle aménagée par un personnage travesti en sorcière jalouse où il la retient prisonnière. Puis l’intrigue explose en fragments, et  grâce à un retour en arrière de treize ans, on voit la mère enceinte (Dea Liane), échanger son nouveau-né contre les stupéfiants qu’elle réclame. Le vendeur est un homme-femme (Paul Gaillard), sûr de lui et qui, entre violence et douceur, nourrit la jeune fille et se révèle aussi fabricant de produits illicites, installé dans une zone attenante. Avec ce dealer (Genséric Coléno-Demeulenaere), travaille un incendiaire qui a enflammé la ville et qui œuvre à la reconstruire… C’est l’amant imaginaire avec lequel la prisonnière ne cesse de parler et de vivre. La rencontre physique aura lieu à la fin mais un nouveau malheur rattrape les jeunes gens qui s’en sortiront… relativement.

Les acteurs jouent entre ombre tamisée et lumière, entre nuit et jour artificiel, du côté des négoces interdits et fabrications fallacieuses. Une société actuelle où percent à n’en plus finir les inégalités, entre la réussite des uns et la misère oppressante des autres évoqués, à travers les figures de l’innocence, de la connaissance du monde et de la rédemption. Le sentiment d’exister trouve souvent sa place entre rêve et réalité, épreuves vécues et fiction. Le narrateur (Jean-François Pauvros), commente en voix off diffusée dans le noir, les pensées et sentiments d’un philosophe humaniste. Dans des monologues ou dialogues à la prose poétique comme celle des personnages, il règle son compte à une société cynique, tout en préservant  la part de rêve que chacun a en soi…

Véronique Hotte

Théâtre de la Cité Internationale, 17 boulevard Jourdan, Paris XIV ème, jusqu’au 11 décembre. T. : 01 43 13 50 60.

Kiss and Cry, idée originale de Michèle Anne De Mey et Jaco Van Dormael,création collective

Kiss and Cry , idée originale de Michèle Anne De Mey et Jaco Van Dormael, création collective de Grégory Gosjean, Thomas Gunzig, Julien Lambert, Sylvie Olivé et Nicolas Olivier

© Marteen Vanden Abeele

© Marteen Vanden Abeele

La chorégraphe belge et son équipe reviennent à Paris avec trois spectacles : Kiss and Cry, créé en 2011 retrouve un public enthousiaste devant cet ovni où se mêlent danse, cinéma, manipulation d’objets, texte…Faire danser ses doigts sur une table de cuisine, filmer et projeter ce ballet en direct sur grand écran au-dessus de la scène: ainsi nait Kiss an Cry. Deux danseurs : leurs mains s’animent, sensuelles,  sur ce plateau miniature et sous un arbrisseau fiché dans un coin. La caméra s’approche et les filme sur Lascia ch’io pianga, une aria de Georg Friedrich Haendel.

Après ce prologue, l’équipe se déploie une heure quinze durant sur la scène encombrée de plusieurs plateformes, et bancs-titres, rails de travelling, ordinateurs, circuits de trains miniature électriques : l’un à l’avant-scène, l’autre au lointain… Soit pour faire naître un décor, pour filmer et pour éclairer les artistes dans des « nano-chorégraphies » à mains nues, aux paysages peuplés de figurines enfantines. Un dessin animé se fabrique sous les yeux des spectateurs, invités à regarder le film et sa réalisation.

Scénario simple: les mains et un narrateur racontent l’histoire d’une femme et de ses amours passés: cinq hommes croisés, aimés, disparus: «La première fois qu’elle était tombée amoureuse, ça avait duré treize secondes. Elle avait treize ans/ dans le train en retard de dix-huit heures quinze, voiture numéro quatre /chargé de quatre-vingt-six passagers dont un garçon de quatorze ans. (…) Ils étaient serrés. (…) Les mains s’étaient touchées. (…) Elle ne l’avait jamais revu. » Depuis, elle attend sur un quai de gare et regarde passer les trains: dans la vapeur de ses réminiscences, on entend Verdes Anos de Carlos Parades, un air qui reviendra, comme un leitmotiv. Où vont nos souvenirs ? Dans quel trou de mémoire, les gens que nous avons croisés, tous ceux que nous avons fréquentés puis perdus de vue, sont-ils tombés? dit le narrateur, et la caméra pénètre dans le pays de l’oubli, niché au fond d’un tiroir où se trouve une foule de petites statuettes figées dans le sable… La caméra zoome sur ce paysage et le rêve poétique disparaît dans un glissement de terrain. Ailleurs, des micro-caméras sur les trains électriques filment des paysages, animaux, fermes, maisons…

© Marteen Vanden Abeele

© Marteen Vanden Abeele

Opérant par distorsion d’échelle, le spectacle tend un miroir satirique à cette histoire empreinte de nostalgie. «Rien n’est grand ou petit, que par comparaison», dit Gulliver en arrivant à Brobdingnag. A l’aune des personnages principaux que sont les mains, les souvenirs de la vieille dame -représentée aussi par une poupée de playmobil- reprennent vie. Sa main tient celle de ses amoureux d’antan pour quelques pas de deux érotiques: les pouces s’enlacent, les doigts s’étreignent, les paumes s’épousent sous les draps, ou quand vient le désamour, se tournent le dos dans le lit. Selon l’humeur, le couple s’ébat sur des trapèzes volants ou s’affale dans le canapé devant la télévision pour voir une compétition de patinage artistique… Kiss and Cry, apprend-t-on, est le surnom des bancs où les  sportifs s’assoient pour attendre le verdict des juges. L’occasion d’un gros plan sur une main dansant sur la glace : l’index et le majeur dessinent d’harmonieuses figures, les ongles en guise de lames.

Ces doigts-danseurs traversent avec légèreté des univers miniatures qui s’emboîtent comme des poupées russes. Tempêtes dans un verre d’eau, cataclysmes en modèle réduit, et illusions d’optique se succèdent. Le cinéaste du fameux Toto le héros, et la chorégraphe, cofondatrice de la compagnie Rosas avec Anne Teresa de Keersmaeker avec qui elle travailla six ans, nous ouvrent un beau livre d’images, habité par les doigts habiles de Michèle Anne de Mey, Frauke Mariën, Grégory Grosjean et Denis Robert Obert, et filmé par Jaco Van Dormael et Harry Cleven. Le récit qui assure la cohésion entre les morceaux de bravoure, gagnerait à être plus laconique, mais bande-son, lumières et scénographie concourent à la magie d’une réalisation minutieuse.

Succèderont à ce spectacle, dans ce théâtre fraîchement rénové, de nouveaux jeux de mains avec Cold Blood (voir Le Théâtre du Blog) puis une création, dansée en solo par Michèle Anne de Mey, et mise en scène par Jaco Van Dormael. A ne pas manquer.

Mireille Davidovici

Un autre avis:

Une affiche attirante et on nous annonce un spectacle totalement innovant joué par les doigts de danseuse avec une scénographie onirique. Michele Anne de Mey et Jaco Van Dormael auraient inventé un procédé inédit…  Cela se passe à la Scala, un nouveau lieu du théâtre privé, boulevard de Strasbourg à Paris, un ancien cabaret rénové par un couple passionné: Mélanie et Frédéric Biessy avec  un budget total de 19 millions d’euros dont 5 % financé par L’Etat et la Région Ile-de-France.
Plus de traces de l’ancien cabaret illustre: ici, tout est propre, aseptisé, un peu fade, malgré le bleu choisi par Richard Peduzzi, le scénographe de Patrice Chéreau.  La scène est encombrée de tables, d’objets et de caméras pour créer des effets spéciaux. Les cadreurs marchent déjà  de long en large en attendant le top-départ. Les lumières  s’éteignent et ils filment ces doigts qui dansent dont on voit l’image sur grand écran. C’est du théâtre d’objets avec quelques effets. Mais une fois de plus, on est au cinéma-théâtre, et sur le plateau, on voit sur grand écran les scènes filmées. Accompagnées par une voix off à la Marguerite Duras qui agit comme un somnifère!

Un quart d’heure, cela passe encore mais l’ennui monte vite, malgré quelques effets bien maîtrisés.Et on se pose la question: pourquoi, au lieu de passer par un plateau de théâtre, ne pas faire directement du cinéma d’animation? La salle n’est pas pleine malgré une presse dithyrambique mais le public est conquis. Pas nous. Mais vous n’aurez pas la « chance » de voir en 2019, ce spectacle qui n’est finalement qu’un dessin animé.

Edith Rappoport

Kiss and Cry jusqu’au 31 décembre. Cold Blood, du 4 au 27 janvier. Amor, du 29 janvier au 3 février.

La Scala, 13 boulevard de Strasbourg, Paris Xème. T. : 01 40 03 44 30.

 

 

 

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