Sylvia, d’après l’œuvre de Sylvia Plath, mise en scène de Fabrice Murgia, musique d’An Pierlé
© Hubert Amiel
Sylvia Plath (1932-1963) et Ted Hughes (1930-1998) furent un couple mythique de 56 à 63, et leurs œuvres poétiques rayonnent encore un peu partout dans le monde. La romancière néerlandaise Connie Palmen revient avec une fable symbolique Ton histoire mon histoire.
L’Américaine rencontre l’Anglais en 1956, à une fête sur le campus de Cambridge. «Elle, la fougueuse Américaine, aux allures de star hollywoodienne, venue terminer un master de littérature anglaise, en Europe; lui, le beau gosse rêveur, foudroyé sur le coup par son double féminin. Quatre mois plus tard, ils sont mariés, animés par une même volonté de tout sacrifier à l’écriture.» Mais la réalité et les petites amertumes : failles de Sylvia et infidélités de Ted prennent le dessus. Et elle, à trente ans, se donne la mort une nuit de l’hiver 63, seule avec ses jeunes enfants, en se mettant la tête dans un four à gaz! Une vie gâchée, malgré la force d’une écriture poétique dont la reconnaissance aura été tardive… Ce beau spectacle, entre théâtre, cinéma et musique, commence, et finit par ce même suicide avec quelques citations, entre autres, de Virginia Woolf qui s’est elle aussi suicidée, …
Fabrice Murgia, directeur du Théâtre National Wallonie-Bruxelles, s’empare de la vie et de l’âme de l’artiste, à partir de ses journaux, nouvelles et essais. Il invente de façon magistrale un opéra pop original pour une chanteuse et des actrices, mis en musique par la comédienne et compositrice belge An Pierlé. Accompagnée de son quartet , elle chante la voix intérieure de l’héroïne: un univers à la fois sensuel, entre énergie pop et douce mélancolie souriante. Sur scène, un plateau de tournage avec décors mobiles: des escaliers menant à deux plateaux, à jardin et à cour. Avec, d’un côté, les musiciens, et de l’autre, la chanteuse au piano. Avant la représentation, défilent à l’écran, des extraits de films hollywoodiens des années cinquante avec des jeunes filles radieuses. Mais on le devine, elles finiront malheureusement, selon Sylvia Plath, comme sculptée par Duane Hanson (1925-1996), cette vulgaire et grosse Supermarket Lady-Caddie ou Supermarket shopper (1969). Une triste représentation de la classe moyenne féminine aux Etats-Unis, victime de la société de consommation et manipulée par la publicité! Soit l’image inversée du rêve américain: des femmes encore jeunes qui n’ont rien plus rien d’attirant! «Je suis horrifiée de rejoindre l’expression du rêve américain dans mon désir d’avoir une maison et des enfants… C’est ironique, mon rêve à moi n’est pas le rêve américain: c’est écrire des histoires de femmes drôles et tendres. Mais je dois aussi être drôle et tendre, et non pas une femme désespérée, comme ma mère.»
A jardin, un studio pour enregistrer la voix de la narratrice au micro, et, à cour, la maison familiale où Sylvia, le plus souvent seule, est confinée dans un couloir étroit, accrochée à son téléphone noir. Les comédiennes incarnent tour à tour ce personnage, en passant de la gaieté à la peine… Des femmes actives qui échangent, prêtent, empruntent, et reprennent ou redonnent leur rôle dans une jolie danse. Soit l’occasion d’allers et retours sur la jeunesse festive de Sylvia. Fabrice Murgia recrée de petits halls d’investigation personnelle comme cette salle de bal estudiantine, ou un vestiaire où des jeunes femmes, doubles de l’héroïne, figures joyeuses du cinéma hollywoodien, se déshabillent et s’habillent de jupes romantiques en tulle pour la fête, ou plus simples et colorées pour la vie de tous les jours.
Sur le plateau de tournage, un film en train de se faire et ses coulisses, un espace entre l’être et le rôle, la réalité et la fiction, le rêve et le quotidien. Avec une équipe de tournage au travail: «Coupez!» «Action!» autour de Juliette Van Dormael, la chef-opératrice aux commandes, superposant les images, celles du film que l’on tourne et celles des coulisses. Ils sont une vingtaine à venir saluer: comédiennes, techniciens, chanteuse… On échappe ici à ce que la poétesse redoutait: la mort de l’imagination. Avec, ici, un spectacle, à la fois tonique et espiègle et le regard bienveillant de Fabrice Murgia sur le monde.
Véronique Hotte
Les Théâtrales Charles Dullin, Théâtre Jean Vilar, Vitry-sur-Seine, les 5 et 6 décembre.
Le Central, La Louvière (Belgique), le 14 mars; Théâtres en Dracénie, Draguignan (Var), le 19 mars. Le Carré, Sainte-Maxime (Var), le 22 mars. Mars-Mons-Arts de la Scène, Mons (Belgique), le 26 mars.
Toneelhuis & Opera 21, de Singel, Anvers (Belgique), les 25 et 26 avril.
Operadagen festival, Rotterdam (Pays-Bas), le 20 mai.
Ton histoire mon histoire, traduction d’Arlette Ounanian, est publié chez Actes Sud.