Des Gens ordinaires texte et mise en scène de Gianina Cărbunariu

Des Gens ordinaires texte et mise en scène de Gianina Cărbunariu

 BBC2147C-CFCF-4543-A0E3-63A3C072A8AAL’auteure-metteuse en scène roumaine est maintenant bien connue en France avec des pièces comme La Tigresse, Typographie majuscule, Kebab et Avant hier, Après demain, et y a été souvent mise en scène, notamment par Christian Benedetti (voir Le Théâtre du Blog). Gianina Cărbunariu traite dans son théâtre de thèmes sociétaux et elle parle ici des effets pervers de la corruption, un mal endémique, même en Europe et qui sape les fondements même de la démocratie en favorisant l’injustice. Corruption passive: obtention d’avantages ou de droits indus en échange d’argent, liquide bien entendu, ou de cadeaux en nature offerts, voire imposés par un pouvoir (corruption active). Et donc enrichissement personnel ou d’un groupe mafieux, de grosses ou moyennes entreprises, hôpitaux, clubs, commerces… au mépris du droit et de la morale le plus élémentaire et bien entendu, très difficile à prouver, donc à dénoncer.

Et cela touche aussi nombre de domaines politiques où un ministre, un maire ou un responsable de service public ou semi-public favorise ses très proches ou son parti, voire et surtout lui-même, en échange de services ou d’informations privilégiées. Il y a même des tarifs selon l’importance de celui qui les procure. Et la corruption revêt des formes très variés : dessous de table pour faire avancer une négociation, népotisme discret ou évident, factures falsifiées, extorsions d’argent ou de faveurs sexuelles, sur fond de chantage. Un catalogue très fourni, bien connu et soigneusement caché. Et la gangrène est contagieuse ! Bercy connaît bien ce que signifie dans les entreprises: Frais Commerciaux Exceptionnels!

Et cela se passe aussi à tous les niveaux de la Fonction publique : hauts fonctionnaires, mais aussi gardiens de prison, employés de préfecture, policiers, etc.  Même si ce n’est pas si fréquent et les sommes en jeu sont souvent dérisoires par rapport à des malversations d’ordre international, cela s’appelle corruption. Parade bien connue: avoir de solides avocats en cas de dénonciation, et mouiller nombre de gens souvent pauvres, pour éviter qu’ils ne parlent : enveloppes, attribution prioritaire de H.L.M., obtention de postes dans l’administration locale, privilèges et passe-droits, etc. Et la France (25 ème rang) ne fait guère mieux que l’Italie, la Grande-Bretagne ou la Roumanie où l’auteure a mené des recherches.

Ainsi Patrick Balkany, maire de Levallois-Perret, a été condamné pour corruption en 1996 pour avoir rémunéré aux frais de la mairie, trois “employés municipaux” pour s’occuper de ses appartement et résidence secondaire! Il a encore été mis en examen en 2016 pour fraude fiscale et corruption passive… Et le gouvernement n’a pas autorisé les juges chargés de la trop fameuse affaire des frégates de Taïwan, à consulter d’indispensables documents… En se retranchant derrière le secret-défense. Trop risqué en effet pour  certains politiques qui ont fait alors joué leurs réseaux…

L’auteure-metteure en scène a construit son spectacle à partir de témoignages de ces gens ordinaires qui ne supportaient plus de voir des formes de corruption évidentes se développer dans leur entreprise . Ils ont alors pris la décision souvent à très hauts risques pour eux,  de devenir lanceurs d’alerte. Tout en ayant conscience des pressions qu’ils allaient subir avec menaces morales, voire  même physiques et de toute façon avec mise au placard ou rapide licenciement garanti pour « faute grave ».  Et avec cerise sur le gâteau, dégringolade socio-professionnelle à la clé. Les entreprises et administrations craignant ce genre de personnes trop honnêtes et clamant des vérités pas très propres. Petite histoire à des années-lumière de chez vous… A Marseille, il y a quelques décennies, un ingénieur de la Ville, en désaccord sur d’éventuels travaux avec le Maire tout puissant de l’époque, n’a plus retrouvé son bureau après les vacances et a vu tous ses collègues le fuir.  Son administration a alors suggéré à ce trop honnête homme de rester chez lui, en continuant de toucher son plein salaire, jusqu’à sa proche retraite. Aucun autre choix possible… C’est tout cela dont parle Gianina Cărbunariu. Avec  de courtes scènes brillamment jouées et  aussi  de beaux et forts moments: les interviews de lanceurs d’alerte qui ont souvent, sauf leur dignité, tout perdu, y compris leur logement de fonction ou ont été incapables de rembourser leur emprunt immobilier, et sont tombés gravement malades. Très impressionnant. Sur le plateau, un dispositif scénique  comparable à celui de  Solidarité créé au festival de Sibiu (voir Le Théâtre du Blog).  Soit une grand mur bleu pâle avec deux portes dont l’une pivotante et trois hommes et trois femmes assis sur des sortes de strapontins-trappes dans le mur,  ou debout, mais toujours face public. Le spectacle qui date de quelques années est parfaitement rodé mais Florin Coşuleţ, Mariana Mihu, Ioan Paraschiv, Ofelia Popii, Dana Taloș et Marius Turdeanu, sont tous exceptionnels, et passent d’un personnage à l’autre avec virtuosité. Cela se passe d’abord dans un centre hospitalier avec règlements de compte en rafale : les médecins ne se font aucun cadeau. Mais ni plus ni moins que dans une entreprise dans une des scènes et de courts extraits d’entretiens projetés en vidéo comme celui de Claudiu Tutulan, un père de famille employé de la Société nationale roumaine d’autoroutes qui a dénoncé des irrégularités. En Angleterre, Ian Foxley, ancien officier de l’armée britannique qui a dénoncé des pots-de-vin dans une vente d’armements mais, qui  prudemment, veut savoir si les lanceurs d’alerte ont eu raison. Et il a créé une ONG  pour les conseiller. En règle générale, ces  femmes et ces hommes courageux payent cher leur comportement citoyen, même quand ils ont raison…

Les scènes incisives et courtes sont bien rythmées mais cela produit à la longue des allers et venues un peu trop fréquents. Les acteurs, très concentrés, font un travail magnifique, à la fois proche d’un théâtre documentaire cependant avec une certaine distance, et un humour parfois virulent : «  »C’est important de voir quelle fin aura mon histoire », dit un des personnages. « Si elle finit mal, les gens diront c’est inutile (…) Si je gagne, les potentiels fraudeurs diront: Vous avez vu ce qui s’est passé (…) c’est moche ». Cela dit, cette brillante démonstration sur les  dégâts humains et sociaux qu’engendre la corruption, nous a semblé vers la fin, partir un peu dans tous les sens et manquer d’unité ; il y a des longueurs et des répétitions dans les vingt dernières minutes malgré les projections d’interviews. Bref, la dramaturgie connaît quelques à-coups.

Malgré ces réserves, ce spectacle bien surtitré, est tonique et à mille lieues des revisitations de classiques comme ce pauvre Cyrano de Bergerac fort maltraité par Jean-Philippe Daguerre, ou de fadasses réalisations tirées de romans, ou de solos insipides qui envahissent les scènes parisiennes en cette fin d’année. Et comme Antisocial, l’autre spectacle roumain présenté  sur cette même scène, le coup de fraîcheur procuré par ces Gens ordinaires méritait le déplacement…Mais  cette réalisation ne s’est jouée que trois jours! Reviendra-t-elle en France?

Philippe du Vignal

Spectacle joué au Théâtre des Abbesses/Théâtre de la Ville, 31 rue des Abbesses, Paris XVIIIème, du 15 au 17 décembre. T. : 01 42 74 22 77.


Archive pour 17 décembre, 2018

Dormir cent ans, texte et mise en scène de Pauline Bureau

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©Pierre Grosbois

Dormir cent ans, texte et mise en scène de Pauline Bureau

 On ne vous racontera pas l’histoire de la Belle au bois dormant, mais celle d’une petite fille, à peu près modèle et très solitaire, dont les parents  aiment un peu trop le cha-cha-cha, et qui a une envie de soutien-gorge, bien qu’il n’y ait rien encore à soutenir mais «parce que les copines du cours de danse en ont», et qui photographie, par petits bouts, la femme qu’elle sent pousser en elle… On ne vous racontera pas une histoire de Prince charmant, mais celle d’un garçon un peu solitaire qui a pour ami invisible, (mais nous, nous avons le privilège de le voir !) un crapaud aux allures de Peter Pan et aucune envie d’être embrassé ni contraint à devenir un Prince charmant. Les deux enfants vont grandir, et se rencontrer, grâce à une forêt magique et à des parents trop occupés. Les saules pleurent, un tigre (de papier ?) rugit, et parfois les enfants glissent sur une planche à roulettes… jusqu’au possible baiser final.

On ne vous dévoilera pas les secrets de la lanterne magique: un décor projeté où les toits de Paris, avec leurs ornements et tourelles, se mettent à ressembler au château de Chambord, où la forêt brumeuse recèle, puis dévoile des créatures étranges et magnifiques. La fable manque un peu de tonus mais la poésie enfourche les images, et  il y a la présence efficace de quatre comédiens qui se relaient selon les représentations. Un joli spectacle «dès huit ans», précise le programme, et complice des petites filles qui piétinent avec impatience vers l’adolescence. Vite, vite, se raconter des histoires merveilleuses, avant de cesser à tout jamais d’être enfant ! Quant aux adultes, ils se laissent bercer avec plaisir, sans aller jusqu’à «dormir cent ans»…

Christine Friedel

Théâtre National de la Colline, jusqu’au 23 décembre, 15 rue Malte Brun, Paris XX ème. T. :01 44 62 52 52.

Du 4 au 8 février, Le Grand T, Nantes (Loire-Atlantique); les 15 et 16 février, Espace Marcel Carné, Saint-Michel-sur-Orge (Essonne). Les 28 févier et 1er mars, TrioS à Inzinzac-Lochrist (Morbihan). Les 3 et 4 mars, Pont des arts, Cesson-Sévigné (Ile-et-Vilaine). Du 10 au 12 mars, Centre culturel Jacques Duhamel, Vitré (Ile-et-Vilaine). Les 22 et 23 mars, Scènes et cinés, Fos-sur-mer (Bouches-du-Rhône). Les 28 et 29 mars, Pôle en scène, Bron (Rhône). Les 1er et 2 avril, Carré Sainte-Maxime (Var) et les 29 et 30 avril, Très tôt théâtre, Quimper (Finistère).

 

Les Tourmentes-Un Coup de Dés jamais n’abolira le hasard et Au désert de Mallarmé, mise en scène de S. Creuzevault

Festival d’Automne à Paris 

Les Tourmentes: Un Coup de Dés jamais n’abolira le hasard de Stéphane Mallarmé, composition musicale de Pierre-Yves Macé, et Au Désert, peinture de Blandine Leloup, mise en scène de Sylvain Creuzevault

Pour Stéphane Mallarmé (1842-1898, l’aventure poétique est d’abord celle du langage. Le poème, écrit un an avant sa mort, tient d’une prose désarticulée et ballottée par les houles vives du rêve et pourtant ici maîtrisée grâce à une solide partition musicale. Et la mélancolie triomphe dans ce  texte où le choix variable des caractères typographiques peut surprendre le lecteur/spectateur.

Et pour le traduire scéniquement, Sylvain Creuzevault a fait appel à son scénographe Jean-Baptiste Bellon, et à Gaëtan Weber dont les lumières laissent courir sur un voile sombre, un motif prépondérant en grandes capitales: UN COUP DE DES/JAMAIS/N’ABOLIRA/LE HASARD. Un motif réparti aux quatre points du poème, en un mouvement ondulatoire, variant de la hauteur, au milieu, et en bas de page. La Création, l’Abîme, le Chaos et la Tempête sont des espaces où se déploient les forces de vie et le hasard, et où surgit le Maître, héros opposant la pensée au néant. Et sonne ainsi le dernier vers, Toute pensée émet un coup de dés.

 Le Maître a voulu opposer sa volonté au destin, mais englouti par un  naufrage, il laisse la place à l’«ombre puérile» filiale, décidée à affronter l’absurde. Par une mer démontée, les mots, chantés et lus, créent le monde en même temps. Le poème devient alors le livret d’une musique confiée à Pierre-Yves Macé. Malgré la tempête, on entrevoit un homme essayant de tenir le mât de son bateau en déshérence, le corps écartelé comme un Christ d’une grande puissance physique. La soprano Juliette de Massy chante avec splendeur et clarté Mallarmé, et s’inscrivent alors sur  un voile noir, ses vers singuliers, pleins de mystère existentiel. Le poète, assis à sa table, fait résonner sa plume. Apparaît alors une femme, déesse de blanc vêtue, adossée à un cordage. Passent aussi les ombres d’un homme dans un fauteuil roulant, et de son accompagnateur.

Les-Tourmentes©DR-1Ce spectacle est le premier de la série des Tourmentes de Sylvain Creuzevault: un travail sur des  «peintures animées» et «natures vives» où il met en scène des êtres face à des espaces hostiles: soit la nature vécue comme un châtiment… Et, après le premier volet, avec une nuit marine sous les étoiles claires, vient le second : Au Désert. Changement de décor à vue pendant l’entracte, grâce aux techniciens efficaces de la MC93. Dans un espace noir que la peinture de Blandine Leloup va rendre plus clair, s’impose une «installation» sur fond blafard, comme si le sable du désert avait aussi recouvert les interprètes, de ses particules fines.

Lionel Dray et Alyzée Soudet sont des migrants, rescapés des guerres actuelles, errant dans le désert… Comme un rappel des magnifiques Pièces de guerre d’Edward Bond, dans la mise en scène d’Alain Françon. Mais aussi des pièces beckettiennes comme Fin de partie, Oh ! Les Beaux jours, En attendant Godot avec leurs silhouettes mythiques. Ici, motif récurrent: deux créatures infiniment petites face à l’Univers, affrontent un vent de sable hostile. Se sortiront-ils du piège qu’est la vie sur cette terre? Un travail rigoureux et Sylvain Creuzevault renoue ainsi avec une vision artistique qui trouve son accomplissement sur un plateau de théâtre.

Véronique Hotte

Spectacle joué à la MC 93 de Seine-Saint-Denis, à Bobigny, du 12 au 15 décembre, et du 18 au 22 décembre. T. : 01 41 60 72 72.

La Cartomancie du Territoire, texte et mise en scène de Philippe Ducros

 

La Cartomancie du Territoire, texte et mise en scène de Philippe Ducros

 

©Maxime Côté

©Maxime Côté

Un spectacle qui s’inscrit dans le cycle Récits de vie organisé à la Maison des Métallos à Paris.  maintenant dirigée par Stéphanie Aubin, et qui fait la part belle aux témoignages, récits et autofictions.  Comme notamment F(l)ammes d’Ahmed Madani ou Radio Live (voir Le Théâtre du Blog). Ici, le Québécois Philippe Ducros s’empare de la question des autochtones et populations nomades qui vivent dans son pays. «L’Occident et son capitalisme, dit-il, n’ont jamais trop aimé les nomades. Les premières nations le savent et en ont durement payé le prix. Or, je me reconnais en ce nomadisme. Je n’ai pas eu la chance d’aller dans des écoles d’art, dans les studios des maîtres, j’ai plutôt voyagé. » (…) «Ces voyages ont fait de moi, un homme hanté. J’ai écrit des pièces qui se sont révélées salvatrices et qui m’ont aidé à retrouver le sommeil ».

 L’artiste est allé à la rencontre d’autochtones parqués dans les réserves au Canada, à qui on interdit la propriété, donc le droit d’hypothéquer leurs biens. Les pensionnats où sont placés les jeunes sont faits pour «tuer l’Indien dans l’enfant» ; certains n’en reviennent pas vivants ou traumatisés. Des jeunes filles disparaissent régulièrement, et on retrouve parfois leurs corps au fond des rivières. Là, le chômage est élevé et le taux de suicide encore plus. Et dans ces coins de nature coincés entre des autoroutes, la pollution n’épargne personne et on trouve des P.C.B. toxiques  jusque dans le lait maternel. Philippe Ducros a sillonné les onze nations du Québec, « descendantes du sol sur lequel on vit ». De cette récolte, il a tiré un spectacle en plusieurs tableaux qu’il joue avec Marco Collin et Kathia Rock, comédiens autochtones. Il y confronte son expérience à celle des hommes et des femmes rencontrés. En fond de scène, un grand écran diffuse des vues aériennes de grands espaces enneigés ou de trajets vers les réserves sur les routes 138 ou 132, le long du fleuve Saint-Laurent. On découvre aussi un train de marchandises tirant une centaine de wagons vides! De belles images, un décor tout à fait approprié. Et Kathia Rock chante d’une voix claire et sensible.

Mais tout cela ne parvient pas toujours à «faire théâtre». L’enchaînement des séquences est difficile à cause d’un manque de dramaturgie : le spectacle paraît donc un peu long. Face aux destins qu’il a croisés, Philippe Ducros nous fait part de ses états d’âme mais ne laisse guère de place aux personnages réels… Quand on fait du théâtre documentaire, trouver la bonne forme pour présenter des témoignages, tient d’une alchimie difficile. Cette Cartomancie du territoire a au moins le mérite de nous ouvrir les yeux sur la détestable traite humaine dans un Canada qui reste un Eldoradopour beaucoup d’Européens. Une cause d’une actualité théâtrale, brûlante et controversée : on peut aussi voir en ce moment Kanata du Québécois Robert Lepage au Théâtre du Soleil.

 Julien Barsan

Spectacle joué du 11 au 16 décembre à la Maison des Métallos, 94 rue Jean-Pierre Timbaud, Paris XI ème. T. : 01 47 00 25 20.

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