Il nous faut arracher la joie aux jours qui filent,d’après William Shakespeare, mise en scène de Benjamin Porée

© Raphaëlle Girard Uriewicz

© Raphaëlle Girard Uriewicz

 

Il nous faut arracher la joie aux jours qui filent, pièce filmique, inspirée d’Hamlet de William Shakespeare, mise en scène de Benjamin Porée

 «Comme d’autres écrivains de théâtre avant moi, je veux écrire cette histoire en me projetant dans cet Hamlet, dit le metteur en scène. Avec Mathieu Dessertine (Hamlet), il s’empare de la grammaire shakespearienne pour réaliser une version entre  théâtre et cinéma. Avec des scènes jouées sur le plateau mais aussi des séquences de film enregistrées, et d’autres transmises en gros plan et interprétées in vivo, le tout en alternance pendant trois heures…

 Cette pièce si jouée et commentée, qui reste toujours un défi pour un metteur en scène, devient ici une tragédie familiale et politique, digne d’une série télévisée rocambolesque. Un couple en grand deuil dans une salle d’attente, est filmé façon polar: la reine Gertrud, son beau-frère et amant Claudius qui ont assassiné le Roi, apprennent d’un médecin qu’il sera impossible d’exposer la dépouille mortelle: elle pourrit et pue de façon anormale. (Il y a quelque chose de pourri au royaume du Danemark !).  On s’attend alors à voir une séquence de film gore mais l’horreur sera juste évoquée verbalement. La chimie moderne offre des solutions et pour les funérailles, la ressemblance aidant, Claudius, anesthésié pendant deux jours, prendra la place de son frère mort…

Quand Hamlet apparaît à l’avant-scène, il s’adresse à son psy, quelque part dans le public. Sur son lit d’hôpital, il fait de mauvais rêves… Le spectre de son père crie vengeance et errera tout au long du drame, sur scène ou sur l’écran. Dans un coin du plateau, Gertrud et Claudius peaufinent leur coup d’Etat avec Polonius : on lit un destin favorable dans les entrailles d’un poisson et on voit leurs mains ensanglantées sur l’écran… On entre ainsi dans les coulisses du pouvoir, pleines de bruit et de fureur. Gertrud l’adultère et son nouvel époux couronné roi, s’assurent l’aide de Polonius. L’ambitieux ministre espère, en contrepartie, caser son fils, Laertes, frère d’Ophélie, un drogué aboulique. Il le voit déjà régner à la place du jeune Hamlet mais  commence par l’envoyer en poste en Angleterre, en  stage de langue… et  cure de désintoxication. L’autel est dressé pour les noces d’Hamlet et d’Ophélie. On connaît la suite… Inutile donc de raconter cette sombre affaire d’intrigues de palais, avec crimes et vengeances, remise au goût du jour…

Le titre est issu d’une tirade de cet Hamlet revu et corrigé : «Papa, qu’as tu fait de mon ventre ? » (…) « Hamlet, nous avons perdu, nous avons voulu arracher la joie aux jours qui filent (…) », se lamente Ophélie devant le cadavre de Polonius son père, victime de ses magouilles au service du pouvoir. Le sinistre complice de Claudius et de Gertrud a, entre autres crimes, obligé sa fille à avorter de l’enfant d’Hamlet.

Que reste-t-il de Shakespeare, à part une intrigue qui, à force d’être explicite, prive la pièce de toute profondeur ? Ainsi Gertrud au public : «Mon fils sait que je l’aime d’un amour de femme, d’un amour affreux, vous comprenez ? » Le très fameux To be or not to be devient ici une longue plainte d’Hamlet qui, en fin de parcours, accuse les adultes d’empêcher leurs enfants de vivre: « Personne ne connaît rien à mon histoire, cette histoire qui dure depuis trois cents ans. »

On regarde avec plaisir les habiles passages du jeu direct, au cinéma, et le travail de colorimétrie de la pellicule. De nombreuses allusions à la vie politique amuseront certains, comme le discours d’intronisation de Claudius, calqué sur celui d’Emmanuel Macron, et à la place de la célèbre scène des comédiens -jeu de miroir chez le dramaturge anglais- l’allocution d’un ministre inaugurant un théâtre, tandis qu’on visite en vidéo les couloirs du Théâtre des Gémeaux… Des clins d’œil à Roméo et Juliette, à Macbeth pourraient séduire et on sourit parfois à des audaces que le metteur en scène veut provocatrices : comme la noyade d’Ophélie dans une baignoire où elle se taillade les veines. Mais les dialogues restent plats et convenus, les monologues-clichés issus d’improvisations s’étirent inutilement… Les comédiens, invités à «inventer des scènes, à poursuivre le texte, et à travailler sur des scènes silencieuses» ne sont pas les meilleurs dramaturges ! Et on se passerait volontiers d’une longue prière de Polonius invoquant la grâce de Dieu et d’autres scènes anecdotiques. Bref, on s’ennuie.

D’excellents acteurs, un travail technique impeccable, une esthétique sobre et une scénographie sans prétention témoignent d’un savoir-faire mais Benjamin Porée ne réussit pas à nous convaincre… Dommage! Le jeune metteur en scène, associé depuis 2016 à la Scène Nationale de Sceaux, disposait en effet des moyens nécessaires pour réussir cette création…

 Mireille Davidovici

Le spectacle a été joué jusqu’au 16 décembre, aux Théâtre des Gémeaux-Scène Nationale de Sceaux, 49 avenue Georges Clémenceau, Sceaux (Hauts-de-Seine). T. : 01 46 61 36 67.

Les 9 et 10 janvier, Le Quartz-Scène nationale de Brest (Finistère) et le 17 janvier, Théâtre Luxembourg, Meaux (Seine-et-Marne).

 

 

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