Si loin si proche, une saga franco-algérienne d’Abdelwaheb Sefsaf

Si loin si proche, une saga franco-algérienne d’Abdelwaheb Sefsaf

© Renaud Vezin

© Renaud Vezin

Cela raconte  l’histoire et la vie au quotidien dans les années 1970-80 d’une famille  nombreuse immigrée dans l’Est de la France. Déchirée entre l’Algérie et la France, elle compte tout centime par centime, et vit très pauvrement, pour pouvoir s’offrir une belle maison au bled…  Le père, la mère et les dix enfants,  vont s’embarquer pour un voyage de 2.700 kms, tassés dans une vieille Estafette Renault pour aller en plein été;  fêter le mariage de Wahid avec Zanoubatou. Et bien entendu, l’Estafette tombera en panne en Espagne. Avec arrêt obligatoire de dix jours sur un parking, le temps de faire venir la précieuse pièce indispensable à la réparation. Enfin miracle, la famille pourra continuer le voyage et, après bien des péripéties, finira par arriver au bled…

Hélas, le mariage sera un échec et Wahid après six mois ne s’installera pas en Algérie et repartira pour la France. Ce récit-concert participe à la fois d’une petite épopée familiale de gens pauvres mais dignes. Abdelwaheb Sefsaf raconte cette histoire,  comme un conte moderne, plein d’humour et parfois d’émotion, dans une langue et une diction absolument impeccables. Et on voit, comme si on les avait accompagnés, ces personnages, tout au long de ce drôle de voyage.

 En même temps, le  spectacle participe aussi d’un théâtre musical, puisque Abdelwaheb Sefsaf est accompagné de deux musiciens-chanteurs. Ces allers et retours entre récit et musique sont parfois un peu cahotants -on aimerait que le récit soit plus détaillé quand toute la famille arrive dans son village. Cependant il y a ici une telle générosité que le public en grande partie d’origine algérienne, est vite emporté par cette saga lumineuse. Philippe Mourrat qui vient de quitter la direction de la Maison des Métallos, a bien fait de présenter ce beau spectacle, et ce n’est pas si fréquent surtout dans le centre de Paris, très populaire.

Philippe du Vignal

Maison des Métallos, 34 rue Jean-Pierre Timbaud, Paris XIème jusqu’au 23 décembre

 


Archive pour 19 décembre, 2018

Jean-Louis Trintignant,Mille, Piazzolla mise en scène d’Alexandre Vernerey

Trintignant, Mille, Piazzolla, mise en scène d’Alexandre Vernerey
©Alexandre Isard

©Alexandre Isard

Assis sur une chaise haute, Jean-Louis Trintignant est accompagné par Daniel Mille, son fidèle accordéoniste et par son quintette à cordes qui joue des airs d’Astor Piazzolla.  Il dit -très bien- des textes de Jules Laforgue, Guillaume Apolinaire, Allain Leprest, Jacques Prévert, Boris Vian, Gaston Miron, Robert Desnos… « Eternité, tu m’as embrassé, de nous deux, qui est l’homme de couleur ? »

Et on éprouve un vrai plaisir à écouter des poèmes autrefois appris par cœur, comme La Chanson du mal aimé de Guillaume Appolinaire dont les vers continuent à résonner dans nos têtes, ou Je voudrais pas crever de Boris Vian. Le célèbre comédien fait allusion- «J’affirme en mon amour que tu existes ! » à sa fille Marie, tuée voilà quinze ans par son amant Bertrand Cantat qui a purgé sa peine mais les polémiques n’ont jamais cessé et il a du mal à se produire. Il aurait  récemment à Bruxelles, sous-entendu qu’il mettrait un terme à sa carrière sur scène.

Un spectacle honnête, à la fois musical et poétique mais finalement décevant, et aux places vendues assez cher: 35€! On est dans le théâtre privé! La salle se vide rapidement pour laisser place à Tartuffe, monté par Peter Stein.

Edith Rappoport

Théâtre de la Porte Saint-Martin, 16 boulevard Saint-Martin, Paris X ème. T. :  01 42 08 00 32.

Oui, la France est agitée….

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Oui, la France est agitée….

“Oui, la France est agitée, mais franchement, n’est-ce pas mérité? Quels gens stupides que nos ministres! Le syndicalisme est la grande force d’aujourd’hui. Ne valait-il pas mieux lui donner raison, que de dire bêtement: « Nous ne céderons pas?  »

Les députés ont peur. Ils vont être méprisés par le dernier des électeurs. La grève des votes. Mais la République n’est pas en danger. »

Journal de Jules Renard (1908)

 

 

 

Le Prix Europa pour le théâtre. Petersbourg, novembre 2018


Le Prix Europa pour le théâtre à Saint-Pétersbourg en novembre 2018  

Schweik. Le Retour, adaptation de Tatiana Rakhmanova, d’après les motifs du roman de Jaroslav Hašek, Les Aventures du brave soldat Schweik pendant la grande guerre, mise en scène de Valeri Fokine

© Valery Plotnikov

Valery Fokine© Valery Plotnikov

Schweik. Le Retour, c’est le titre parodiant celui de certains grands films américains, d’un des derniers spectacles  de Valeri Fokine qui vient de recevoir à Saint-Péterbourg, le Prix Europa pour le théâtre. Sur le plateau du grand Théâtre Alexandrinski, on est bien  loin dans cette création des textes originaux de Jaroslav Hašek, ou des illustrations bien connues de Josef Lada pour Le Brave Soldat Schweik. Valeri Fokine nous prend  le public à revers. «Brecht, dit-il, a bien donné sa version des aventures de Schweik, en les situant pendant la Seconde Guerre mondiale, nous pouvons  aussi donner la nôtre, cent ans après l’écriture de ce roman, et dans le contexte d’aujourd’hui.» Etudier ce qui a changé et ce qui n’a pas changé, les relations de l’individu et du pouvoir,  la responsabilité de chacun.  

On attend de l’humour, de la satire mais c’est une histoire à la Kafka, à la Dali, c’est Guernica de Picasso, voire un objet théâtral dans l’esprit de Wagner: avec un Lohengrin grotesque en chaise d’infirme… Ce curieux spectacle sur un Schweik du XXI ème siècle ne cherche ni à ridiculiser ni à faire aux récentes commémorations, alors que les guerres enflamment au loin, pas si loin, la planète. Il ne cherche pas à divertir: il veut avertir. Et en effet, il ne plaît pas vraiment aux Russes qui voient la guerre traitée autrement dans leurs grands théâtres nationaux. Et là-bas, quand on n’aime pas, on applaudit peu ou pas du tout; pas comme ici où, que les spectacles soient bons ou mauvais, on applaudit souvent presque de la même façon. Il y a dans la salle, une atmosphère étrange, inattendue comme l’est ce Schweick tragique et amer. Et on en sort avec un vrai malaise. Mais on est frappé par ce spectacle et on en parlera entre soi  plus tard… Car cela peut nous arriver et nous restons pourtant indifférents, comme habitués, anesthésiés. Ce Schweick veut être une épée qui déchire un voile et ouvre un débat concret.

main-facade-of-the-alexandrinsky-theater-in-st-petersburgUne critique française, qui était à Saint-Pétersbourg, pense que le spectacle peut être interprété comme un invitation à la guerre. Mais non, c’est, courageusement, dans cette Russie infestée par les militaires, tout le contraire. Et Valeri Fokine parle de la guerre de façon terrible, avec des images de soldats en plein désarroi (cette critique française signale alors qu’ils « sont mal dirigés »…), traités comme du bétail, ou se comportant comme du bétail, forcément. Mais avec des images de chefs stupides, et ici dézingués, avec toutes les horreurs et confusions qui s’ensuivent, ce spectacle s’oppose justement à l’esprit commémoratif à base d’héroïsme et à tous les consensus aveugles d’aujourd’hui.

Valeri Fokine provoque et choque Russes et étrangers, et c’est ce qu’il veut faire. Il divise le public, comme souvent car il ne cherche jamais à plaire. Selon lui, le théâtre ne peut sauver le monde mais au moins il peut réveiller vingt personnes dans la salle qui impulseront-un changement. Le dispositif scénique, signé Semion Pastoukh, est grandiose et opératique. Un immense plateau vide et très incliné, est bordé de profils d’hommes-géants et mobiles servant d’écran aux films qui les animeront et les rendront grouillants d’une foule menaçante. Au sommet de ce plan incliné, un immense visage-masque semble dormir, alors qu’il est en position de spectateur privilégié pour tout voir. Il s’anime parfois, ouvre alors les yeux et une énorme bouche d’où s’échappent des cris et des ordres. Une musique de bruitages spatialisés d’Alexandre Bakchi qui collabore depuis longtemps avec Valeri Fokine (comme pour Chambre d’hôtel dans la ville de N N de Gogol qu’on avait pu voir au festival d’Avignon 97), compose avec des extraits de Haydn, Wagner (le Prélude de Lohengrin), Chostakovitch… une partition puissante.

On a pu voir aussi d’autres spectacles récents du metteur en scène: Bal masqué. Souvenirs du futur (2014) où il dialogue librement à partir d’une recherche poussée dans les archives, avec un des chefs-d’œuvre de Meyerhold monté sur cette même scène de l’Alexandrinski en 1917, et Aujourd’hui. 2016-…, créé en février 2016. Ici, Valeri Fokine met en scène dans une scénographie technologique et déstabilisatrice de Nikolaï Rochtchine, une dystopie écrite par un très jeune homme où des extra-terrestres font aux Terriens une proposition inédite qui demeure sans réponse : les libérer de tous les stocks d’armes sur leur planète. La Russie en est le deuxième exportateur au monde; on y pense quand on voit les drones dorés qui apparaissent au finale. Valeri Fokine considère notre époque comme un temps d’autodestruction et de folie mondiale généralisée et répète actuellement un spectacle sur Staline où il étudie les racines du mal, les côtés les plus sombres de l’homme: c’est son objectif principal tout au long de sa carrière. «Staline, dit-il, se relèvera de nouveau si nous le lui permettons. » (1)

C’est une création collective, un travail de laboratoire théâtral à partir d’un canevas d’Artur Solomonov et de matériaux documentaires parfois inédits et rassemblés à Tbilissi. Il s’agit d’observer le début du développement de la cruauté, d’analyser la montée du pouvoir absolu,  et les  processus de déshumanisation quand Staline n’est pas encore bourreau mais où en commence à naître le bourreau. Valeri Fokine cherche un regard neutre et veut ouvrir «le gigantesque abcès qui pourrit sur le corps de la nation et l’empoisonne depuis des dizaines d’années ». «Si nous restons à genoux devant cette peste, cette infection, dit-il, si nous ne nous en débarrassons pas, nous resterons un peuple d’esclaves.» Mais ce spectacle (1), il le sait d’avance, ne plaira ni à ceux qui regrettent, ni à ceux qui condamnent ….

 Avec le Prix Europa, Valeri Fokine fête aussi ses cinquante ans de travail théâtral (son premier spectacle date de 1968). Les jubilés sont toujours dangereux, dit-il, et il s’en méfie. On l’a peu vu ici car le metteur en scène répétait et a continué à travailler pendant les festivités. Mais il a participé à la présentation des Olympiades de théâtre 2.019, dans le cadre du Forum culturel international de Saint-Pétersbourg, en compagnie de Theodoros Terzopoulos, Tadashi Suzuki, Heiner Goebbels. Partenaires depuis plusieurs années de cette manifestation qui promet d’être immense, avec des troupes du monde entier et des représentations, aussi bien dans la Venise du Nord qu’à Toga, une petite ville japonaise aux cinq théâtres fondés par Tadashi Suzuki. Spectacles mais aussi colloques, master-classes, représentations en plein air et tournées dans la Russie toute entière, de juin à novembre 2.019. Etaient présents le vice-ministre russe de la Culture ainsi que  des mécènes japonais finançant cette gigantesque opération à laquelle participeront les festivals Tchekhov et Net.

 Un parcours original que celui de Valeri Fokine en U.R.S.S. puis en Russie: très jeune, il a pu faire des mises en scène dans la Pologne des années 1970 où il a vu Apocalypsis cum figuris de Jerzy Grotowski, un spectacle qui l’a profondément marqué. Le créateur polonais a vu ensuite à Moscou, son Carnets du sous-sol de Dostoïevski, créé sous l’influence directe d’Apocalysis. Et très intéressé, il a invité le jeune metteur en scène à participer à des séminaires en Pologne où ils ont pu longuement parler. C’est lui qui a donné à Valeri Fokine ses grands objectifs: continuer à chercher en «laboratoire», sans quitter le théâtre institutionnel, « si tu as la chance de pouvoir y travailler». Et aussi regarder du travail de Meyerhold dont Jerzy Grotowski avait eu une bonne connaissance pendant son séjour à Moscou à la fin des années 50, et dont il appliquait certains principes fondamentaux dans ses recherches. Ainsi Valeri Fokine a travaillé au Théâtre Sovremennik, a fait édifier le Centre Meyerhold, ouvert dix ans après la pose de la première pierre… et destiné aux recherches de jeunes metteurs en scène. Et cela, alors qu’aucun théâtre en Russie ne portait encore le nom du grand maître assassiné par Staline. Valeri Fokine dirige depuis plus de quinze ans le Théâtre Alexandrinski qu’il a fait rénover et réorganiser entièrement et où il a élevé le niveau de la troupe à laquelle s’est joint en 2014, le grand Piotr Semak qu’on a pu voir en France dans les spectacles de Lev Dodine. Il y a créé un musée et organisé des évènements au long cours comme La Nouvelle Vie des traditions où il a invité Kristian Lupa, Matthias Langhoff, et bien d’autres. Il a aussi fait construire une autre salle, ouverte en 2013 (3) et équipée de nouvelles technologies où il a monté Aujourd’hui. 2016- …

 Chaque année, le Prix Europa se déroulait dans le contexte de la section Théâtre du VII ème Forum culturel international, à Saint-Pétersbourg, et cette manifestation invite et rassemble  des experts du monde entier: littérature et lecture, bibliothèques, cinéma, musées, danse et ballet, beaux-arts, éducation, environnement créatif et sciences urbaines,  théâtre, musique, cirque, mass-medias, art populaire et culture immatérielle, informatique, culture: 2.0. Autant de sections où sont organisés colloques, débats, spectacles, concerts, projections de films, expositions, visites dans plusieurs endroits de la ville et à l’Ermitage. Avec aussi des moments croisés entre certaines sections, et un programme spécial réservé au Théâtre Mariinski: concerts, opéras et soirée Ella Fitzgerald. Un programme-marathon en trois jours: impossible de citer toutes les conférences et tables rondes sur des thèmes pointus: les robots et l’art, l’art et la science… et le «dialogue des cultures» avec l’Italie et le Quatar,  invités d’honneur du Forum.   

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Lev Dodine.

On a vu aussi des créations des artistes qui recevaient en 2018, ce prix Europa des Réalités européennes: Sidi Larbi Cherkaoui, Tiago Rodrigues, le Circus Cirkör, Ian Klata et Milau Rau qui n’a pas pu venir à cause d’un retard de visa. Julien Gosselin, nominé, n’est pas venu car il avait une première à Paris. Etaient donc programmés Puzzle(s),  Sopro et By Heart, Un Ennemi du peuple par Ian Klata, un film de Milo Rau, The Congo Tribunal et un extrait de Limits Events du Circus Circör où le travail des acrobates sur l’équilibre, accompagné de vidéos, amenait le public à recomposer celui de l’Europe avec la présence des humains migrateurs.

Chaque artiste présentait aussi le matin, son travail dans une « mise en scène » choisie par lui. C’était particulièrement intéressant avec Sidi Larbi Cherkaoui: les interventions de ses collaborateurs étaient à la fois chaleureuses, informatives et réflexives. Un des chanteurs de la polyphonie corse qui accompagne les danseurs de Puzzle(s) a exprimé une conception juste et sensible de l’identité des cultures, très importante en ces temps troubles et agités par des controverses que nous vivons : «Dans un monde qui s’arc-boute chaque jour davantage sur ses peurs, la peur de l’autre, sa contagion, la contamination par proximité ou capillarité, Sidi Larbi Cherkaoui proclame, et nous avec lui, que rien n’est plus étranger à toute œuvre humaine et à l’art en général, que la notion de pureté. Nous sommes tous, impermanente image, trajectoire floue, et notre errance nous creuse de rêves impertinents qui n’aspirent qu’à l’éclosion, au renforcement, au renouvellement incessant des liens premiers de l’amour. » (3)

A la cérémonie de remise des prix à l’Alexandrinski devant un des rideaux du Bal masqué mis en scène comme on l’a vu par Meyerhold en 1917, les artistes étaient accompagnés par les personnages de commedia dell’arte qu’il avait convoqués sur la scène de ce Théâtre, alors Impérial. C’est Lev Dodine qui remettait son Prix Europa à Valeri Fokine. Le sort de Kirill Serebrennikov fut évoqué avec un message de Milo Rau et un court discours de Jan Klata, tous deux en anglais non traduits en russe par les interprètes officiels. Lev Dodine, accompagné, lui tous deux en anglais, non traduits en russe par les interprètes officiels. Dodine — accompagné lui par son interprète personnelle pour s’assurer que tout serait traduit et Fokine, qui terminaient la soirée, ont renchéri. Tous ici voulaient la libération rapide de «Kirill»,  soumis en ce moment à un procès interminable, à cause d’une gestion économique -gravement malhonnête, dit-on- des projets du Gogol-Centre qu’il dirige. Beaucoup y voient, en fait, des raisons politiques.

Mais le cas Serebrennikov que tous, unanimement, veulent voir libre, est-il vraiment si politique? Est-ce bien la censure qui frappe? Quand on sait que ses spectacles continuent à être joués au Gogol-Centre et que, par clef USB et avocat interposés, il a terminé pendant son assignation à résidence qui se prolonge, Noureïev, un ballet pour le Bolchoï et que ce ballet y est dansé. Quand on sait qu’il a donné une suite à Leto, (L’Eté), film présenté au festival de Cannes et maintenant sur les écrans parisiens, et qu’il a mis en scène un opéra Cosi fan tutte à Zurich… L’affaire semble donc très complexe. Tout parait obscur, de part et d’autre. Serebrennikov serait-il vraiment ce symbole de la modernisation de l’art, choisi pour donner un avertissement au monde culturel, pour l’effrayer et l’obliger à aller sur des voies conservatrices? Or, d’autres artistes sont, comme lui, loin de le faire, et lui peut continuer à créer, heureusement.

 Certain(e)s se sont interrogé(e)s sur le sens de ce prix Europa donné en Russie et à un Russe, quand le pays malmène ainsi ses créateurs… Or ne faut-il pas essayer de continuer à tisser des liens avec eux et admettre que le théâtre européen ne serait pas grand-chose sans le théâtre russe, et, comme le dit Valéri Fokine, «comprendre que les artistes de théâtre sont capables de reconstruire les ponts que les politiques détruisent»? Lev Dodine le confirme avec d’autres mots : «La Russie est une partie indissociable de l’Europe. » (…) «Ce qui nous rassemble est plus important que ce qui nous sépare, et nous, nous devons le rappeler aux gens, c’est ce que nous savons et pouvons faire ». Nous, c’est à dire «la fratrie (bratstvo)  des artistes de théâtre» qui «doit parler de ce qui a été, ce qui est et ce qui peut être, c’est sa mission. » (5). Là est le sens de ce Prix Europa qui unit depuis 1.986, les femmes et les hommes du théâtre européen, envers et contre tout. 

Béatrice Picon-Vallin

 


(1 et 2) Voir Entretien de B. P.V. avec M. Tokareva, in Novaia Gazeta n° 42 , 20 avril 2018.

(3) Exposé de B.P.-V. au Symposium sur Valeri Fokine dans le cadre du Prix Europa, à paraître.

(4) Intervention de Jean-Claude Acquaviva, 16 novembre  2018, Maison des acteurs à Saint-Pétersbourg.
(5) Entretien  avec  B.P.V., 15 novembre  2018, Théâtre Malyi, Saint-Pétersbourg. 

Chambre noire, mise en scène d’Yngvild Aspeli et Paola Rizza

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©stas levshin

 

Chambre noire, mise en scène d’Yngvild Aspeli et Paola Rizza, (en anglais, surtitré en français)

Nous avions beaucoup apprécié le travail d’Yngvild Aspeli à sa sortie de l’École nationale supérieure des Arts de la marionnette de Charleville-Mézières, puis cet été au festival d’Avignon avec son étonnant Cendres (voir Le Théâtre du blog). Nous la retrouvons ici, comédienne et marionnettiste, accompagnée de la percussionniste Ane Marthe Sorlien Holen.

Chambre noire s’inspire de La Faculté des rêves, une biographie de Valérie Solanas par l’écrivaine suédoise Sara Stridsberg. Féministe radicale américaine (1936-1988) et autrice du célèbre pamphlet SCUM Manifesto où elle appelait à l’éradication du genre masculin, elle est surtout connue pour une tentative de meurtre sur Andy Warhol qu’elle fréquentait assidûment quand elle était membre de sa Factory. Andy Wharhol qui avait perdu un des manuscrits, refusa de l’indemniser mais ne porta pas plainte contre elle… Ce manuscrit fut retrouvé bien plus tard dans une boîte de matériel électrique!

La marionnette de taille humaine représentant l’héroïne du récit a été réalisée par Pascal Blaison, Polina Borisova et Yngvild Aspelli : une véritable œuvre d’art… Le personnage de Valérie Solanas se situe à l’interface entre la mort et le vivant, et la marionnetteporte les stigmates d’un corps traumatisé par les épreuves douloureuses qu’elle connut, entre autres la drogue et la prostitution. Justesse du jeu et remarquable manipulation: Yngvild Aspelli nous donne à voir une enfant,  fragile poupée victime des attouchements de son père et de la maltraitance de sa mère Dorothy, vivant dans l’ombre du mythe de Marilyn Monroe et qui néglige son enfant, tout en lui ordonnant de « ne jamais oublier jamais de briller».

Paola Rizza, professeur à l’école Jacques Lecoq, avoue qu’en découvrant ce récit, elle a eu envie de “redevenir féministe“. Les traumatismes physiques du personnage qualifié de «première pute intellectuelle» sont remarquablement représentés. Une poupée nue, le corps coupé en deux, se livre à toutes les outrances pour survivre. En une heure, avec des projections et une musique originale style années soixante-dix, cette œuvre bouscule l’ordre masculin dominant et ces artistes nous embarquent dans une histoire douloureuse qui restera longuement dans nos mémoires.

 Jean Couturier

Le spectacle a été joué du 12 au 16 décembre, Carreau du Temple, 2 rue Perrée, Paris (III ème), en partenariat avec Le Mouffetard-Théâtre des Arts de la Marionnette.

Le 15 mars 2019, Théâtre de Châtillon 3 rue Sadi Carnot. T : 01 55 48 06 90, dans le cadre de festival MARTO organisé du 15 au 31 mars en Ile-de-France: http://www.festivalmarto.com 

La Faculté des rêves, traduit du suédois par Jean-Baptiste Coursaud, est publié chez Stock.

 

Ma Cuisine, un spectacle de Sylvain Maurice

Ma Cuisine, un spectacle de Sylvain Maurice, écrit avec les contributions de Nadine Berland, Aurélie Hubeau, Thomas Quillardet et Philippe Rodriguez-Jorda

82F93C00-349F-45D9-9EE4-1A2F1C9C8ABASylvain Maurice a concocté une série de formes courtes avec des préparations culinaires dont des crêpes, qui, à la fin, seront offertes au public. Ce que Victor, le maître-queux, prépare, est filmé et projeté sur une surface transparente. L’acte de peindre étant enregistré par une caméra placée en dessous d’une plan de travail en verre, beau miroir improvisé où on voit Victor, au visage rieur. La vision portée sur les objets, leur matière et leur couleur est  « autre »  grâce à cette transparence et les objets se superposent à l’infini. Une feuille vert pâle de salade ou de chou alterne avec quelques tiges de fleurs champêtres en bouquet serré dans un torchon en tissu Vichy..

Laurent Grais, qui joue aussi de la guitare basse, devient percussionniste avec des couverts sur une batterie de cuisine. Un mélange savoureux de théâtre d’objets, vidéo, textes et musique ; bref, une vraie cuisine improvisée et sentie selon l’humeur  de Victor. Le parcours de Philippe Rodriguez-Jorda, à la fois marionnettiste et cuisinier, a inspiré Sylvain Maurice qui en a fait un cuisinier en chef, enclin à l’autoportrait, à travers divers jeux culinaires inattendus. Joué par Brice Coupey avec, en commis de cuisine, Laurent Grais et comme marmiton, Nadine Berland, dont le petit paradis sur terre est plusieurs étagères en pin où des objets hétéroclites se pavanent, sûrs de leur utilité: il suffit de s’en servir.

 Un spectacle qui conte l’enfance de Victor jusqu’à sa maturité, à travers les cartes postales de sa grand-mère en Bretagne, dans un lieu privilégié pour ce petit Parisien en vacances. Et quand Victor grandit, il choisit de prendre le large, loin de la Bretagne : du Brésil au Japon. Il adresse à son tour, des cartes postales colorées et exotiques à sa grand-mère, même si, entre temps, la mort a rattrapé la vieille dame tant aimée. Une manière ludique de s’adresser à notre mémoire commune, entre souvenirs et sensations, rappels d’instants disparus à jamais qui trouvent ici leur renaissance.

 Un spectacle brillant, effervescent et plein d’enfance…

 Véronique Hotte

Théâtre de Sartrouville et des Yvelines-Centre Dramatique National, Place Jacques Brel, Sartrouville (Yvelines), jusqu’au 20 décembre. T. : 01 30 86 77 79.

La Nuit de la marionnette (festival M.A.R.T.O), Théâtre Jean Arp Clamart, les 16 mars et 20 mars. T.J.P.-Centre Dramatique National de Strasbourg-Grand Est, les 22 et 23 mars. Le Monfort, à Paris, du 26 au 30 mars.
Théâtre Nouvelle Génération-Centre Dramatique National à Lyon, du 23 au 25 mai.

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