A Love Suprême de Xavier Durringer, mise en scène de Dominique Pitoiset
A Love Suprême de Xavier Durringer, mise en scène de Dominique Pitoiset
L’écrivain et réalisateur de cinéma revient à ses premières amours, le théâtre, avec un solo pour femme, écrit sur un tempo digne de John Coltrane. Dominique Pitoiset lui en a passé commande pour le premier acte d’un cycle qu’il entame «sur l’homme blanc et la femme blanche de plus de cinquante ans».
Bianca est sous le choc. Virée sec: «Ils veulent que j’arrête. Ils veulent que j’arrête. C’est venu comme ça sans prévenir, sans le moindre signe (…) C’est dingue. J’ai rien vu venir même pas une réflexion avant, pour que je me prépare à ça. Rien d’avant-coureur, rien d’apparent que j’aurais pu voir venir ou sentir… Rien senti. Rien compris. Ils n’ont rien changé dans leur comportement. Rien. Que de la routine. (…) Et une balle dans la tête. C’est comme si on m’avait craché en plein visage, et que personne ne bouge, personne ne fasse attention. Je suis comme un mollard qui flotte et qui se disloque au fil de l’eau. J’ai honte. Ils veulent que j’arrête.»
Tout de go, elle déballe son histoire et son linge sale devant les machines d’une laverie automatique. Jeune provinciale désargentée, apprentie comédienne dans les années mille neuf cent quatre-vingt, elle travaille dans un peep-show, A Love Suprême… et y restera trente-deux ans. Elle raconte la Pigalle mythique qui n’est plus, «Pigalle la Blanche », celle de Claude Nougaro, les folles nuits du Palace et des Bains-Douches où elle se produisait nue, en pleine gloire et beauté. La vie d’artiste. Elle évoque les filles du strip-club, les amours transitoires… Mais le temps a passé, son corps s’est flétri. Internet a dévoré le marché du sexe et les danseuses du nu sont prêtes à tout pour se faire une place à la barre de pôle-danse.
Seule en scène, portée par l’écriture rythmée et imagée de Xavier Durringer, Nadia Fabrizio nous entraîne avec brio dans le passé de cette femme, sous les feux des projecteurs, ou dans l’intimité des cabines d’un peep-show. Du sordide sublimé par l’éclat des tubes fluo. Du clinquant qui claque et qui nous touche aussi. L’écriture ciselée et staccato de Xavier Durringer porte le jeu de la comédienne et inspire au metteur en scène des flashs d’images et de sons. Les hublots de la laverie se font médaillons où apparaissent les séquences de films de l’époque : Les Valseuses à Paris-Texas, ou Opening Night, sur fond de tubes de Bob Dylan, ou Should I stay or Should I go de Joe Strummer, des Clash, et bien sûr, A Love Supreme de John Coltrane.
Il faut souhaiter longue vie à ce joli spectacle, émouvant et sobre. Et quand Bianca dit : «Je suis bonne pour la casse! », au-delà de son propre destin, elle évoque celui des femmes de plus de cinquante ans, notamment les actrices qui, au sein de l’A.A.F.A. (Actrices Acteurs de France Associés) se sont mobilisées sur la question du “tunnel de la comédienne de cinquante ans“.(Voir Le Théâtre du Blog)
Mireille Davidovici
Spectacle vu le 17 décembre, à Bonlieu-Scène nationale d’Annecy. T. : 04 50 33 44 11.
Du 20 mars au 5 avril, Théâtre Marigny, Paris.
Le texte est publié aux Éditions Théâtrales