Hiroshima mon amour de Marguerite Duras, adaptation et mise en scène de Bertrand Marcos
Hiroshima mon amour de Marguerite Duras, adaptation et mise en scène de Bertrand Marcos
Au printemps 1958, la société Argos sollicite Marguerite Duras : elle avait produit Nuit et brouillard d’Alain Resnais, et avait passé commande au cinéaste d’un long métrage sur Hiroshima et les effets de la bombe atomique. Le cinéaste veut donner à son film un éclairage féminin, et, après avoir pensé à Françoise Sagan et à Simone de Beauvoir, choisira Marguerite Duras.L’année de la parution de Moderato Cantabile, elle écrit le synopsis d’Hiroshima mon amour, en collaboration avec Alain Resnais et Gérard Jarlot.
La sortie du film, tourné en août et en septembre au Japon, puis en décembre à Nevers, avait été prévue pour le festival de Cannes 1959. Mais non retenu par la commission de sélection, il sera projeté hors festival : un succès ! La grande réussite du scénario tient à ce que Marguerite Duras a compris que, face à un tel thème, elle était confrontée à l’indicible : «J’ai voulu imposer l’impossibilité d’accrocher, d’amarrer l’événement d’Hiroshima à la catastrophe fantastique que représente Hiroshima, une affabulation quelconque.» Quand elle fait dire au début : «Tu n’as rien vu à Hiroshima », cela signifiait pour elle : tu ne verras jamais rien, tu n’écriras rien, tu ne pourras jamais rien dire sur cet événement. A partir de l’impuissance de parler de l’inouï, elle dit avoir fait le film.
Comme le note Bernard Pingaud (Inventaire), le film «n’est pas l’histoire d’un amour ou de deux amours, ni celle d’un bombardement» mais celle d’un oubli. Ainsi, se souvenir de l’être aimé comme de l’oubli de l’amour même, ou penser à cette histoire comme à l’horreur de l’oubli : «On croit savoir et puis, non jamais.» Le nombre de tués par l’explosion, la chaleur et la tempête de feu consécutive, n’est pas déterminé, mais le Département de l’Énergie des États-Unis l’évalue à 70.000 à Hiroshima le 6 août 1945, et 40.000 à Nagasaki, trois jours plus tard. Face à tous ces morts, l’histoire de la mort d’un seul amour est racontée par Elle qui n’en finit pas de souffrir « qu’avec le temps va tout s’en va.» Elle (Fanny Ardant), belle silhouette élancée à la robe noire et aux épaules nues et Lui , en voix off, grave, calme et imposante« Quatre fois au musée de Hiroshima. J’ai regardé les gens. J’ai regardé moi-même pensivement, le fer. Le fer brûlé, Le fer brisé, le fer devenu vulnérable comme la chair. J’ai vu… Des peaux humaines flottantes, survivantes, encore dans la fraîcheur de leurs souffrances. Des pierres. Des pierres brûlées. Des pierres éclatées… » Elle dit n’avoir rien inventé, il rétorque qu’elle a tout inventé, mais elle nie encore.
Comme dans l’amour, existe cette illusion de pouvoir ne jamais oublier, de même la femme a eu l’illusion devant Hiroshima de n’oublier jamais, amour et mort liés. A la fois majestueuse et fragile, Fanny Ardant fait quelques pas, perchée sur ses talons de ville, puis s’arrête pour une pause furtive, assise sur une chaise, et se relève encore pour s’accroupir plus tard. Avant de s’allonger, étendue et comme gisante, repliée dans la douleur et abandonnant son corps à une ultime passion dévorante. L’homme, l’amant d’Hiroshima, la questionne. Elle, est originaire de Nevers et toute jeune fille, est tombée amoureuse d’un soldat allemand -son premier amour- lors de la Seconde Guerre mondiale. On lui rasa les cheveux pour l’humilier puis, cachée par sa mère dans une cave, elle entend les cris de joie et de fête de la Libération. Objet de honte, elle est dite « morte » par sa famille méprisante, et ne sort que la nuit, dans le jardin.
Elle quittera Nevers à jamais pour la grande ville qu’est Paris, d’où elle ira à Hiroshima. Le cœur gros, elle associe inextricablement, face à son nouvel amant, les deux figures d’un désastre existentiel : la bombe d’Hiroshima qui a tué les vivants sans compter, et la mise à mort de l’amant, l’ennemi de la France, tué dans un jardin à Nevers. L’amour et la mort tombent dans un oubli irréversible, si ce n’est la douleur qui reste. Une performance d’actrice dont la puissance est au service de la musique de Marguerite Duras.
Véronique Hotte
Théâtre de l’Atelier, 1 place Charles Dullin, Paris XVIII ème, jusqu’au 31 décembre. T. : 01 46 06 49 24.
La version d’Hiroshima mon amour, scénario et dialogues, est éditée chez Gallimard.